Lors de la forte hausse de l’inflation en 2021-2022, le pourcentage d’entreprises françaises ayant décidé d’augmenter leurs prix a été exceptionnellement élevé. Le graphique 1 présente les moyennes annuelles de la fréquence mensuelle des augmentations de prix (% d’entreprises ayant augmenté leurs prix chaque mois au cours d’une année donnée) dans le secteur manufacturier français. Les entreprises sont définies comme étant contraintes financièrement (respectivement, non contraintes) pour une année donnée lorsque, l’année précédente, leur ratio de capacité d’autofinancement (CAF) se situait dans le quartile inférieur (respectivement, supérieur) de la distribution. Lorsque les entreprises ont des contraintes financières plus fortes, elles semblent dans l’ensemble augmenter plus souvent leurs prix.
Plusieurs facteurs, dont les contraintes financières, peuvent déclencher des hausses de prix
L’évolution des prix à la production résulte, au niveau agrégé, des comportements individuels des entreprises en matière de fixation des prix. Certaines entreprises décident de changer leurs prix, d’autres non. Celles qui modifient leurs prix peuvent les augmenter ou les baisser, et choisir l’ampleur de ce changement. L’évolution agrégée des prix dépend in fine de la proportion d’entreprises modifiant leurs prix (marge extensive) et de l’ampleur moyenne de ces changements (marge intensive). La fréquence des augmentations de prix est la composante la plus importante en période d’inflation élevée. Hors variations de prix résultant des soldes et des promotions, la marge extensive est le principal déterminant des variations agrégées de prix en France, et ceci même en période de faible inflation.
Les entreprises peuvent avoir de nombreuses raisons d’augmenter leurs prix. Plusieurs sont dues à la situation macroéconomique ou à des circonstances sectorielles. Au-delà des facteurs communs à toutes les entreprises opérant dans un secteur et une année donnés, une entreprise peut décider d’augmenter ses prix pour un certain nombre de raisons idiosyncratiques qui lui sont propres. En particulier, les augmentations sont susceptibles d’être déclenchées par une hausse des coûts des intrants de l’entreprise, tels que les matières premières, comme cela a été le cas ces dernières années en raison des goulets d’étranglement au niveau de l’offre à la suite de l’apparition de la Covid et de l’invasion de l’Ukraine. En outre, une entreprise est susceptible d’augmenter ses prix lorsque la demande pour ses produits augmente. Les contraintes financières auxquelles une entreprise est soumise constituent un autre déterminant moins évident, mais significatif, des augmentations de prix.
Intuitivement, pour une entreprise confrontée à du financement externe coûteux et tributaire de marges dans des marchés de clientèle, il existe un arbitrage entre ses bénéfices actuels et sa part de marché à long terme. Lorsqu’elle est soumise à des contraintes financières, une entreprise peut alors augmenter ses prix pour accroître sa liquidité, en dépit de la perte de parts de marché futures. Toutefois, il n’est pas simple de vérifier cette intuition de façon empirique. En effet, les contraintes financières ne sont pas facilement observables et sont difficiles à quantifier. Plusieurs caractéristiques au niveau de l’entreprise peuvent potentiellement servir à évaluer ses contraintes financières.
Plusieurs méthodes permettent d’évaluer les contraintes financières des entreprises
La cotation de crédit de la Banque de France, fondée sur les états financiers de l’entreprise et complétée par d’autres informations détenues par les analystes, constitue une mesure complète de la santé financière des entreprises. Toutefois, puisqu’il s’agit d’une mesure qualitative disponible pour les entreprises dont le chiffre d’affaires annuel est au moins égal à 750 000 euros, il est utile d’évaluer les contraintes financières à l’aide de mesures quantitatives alternatives. Plusieurs semblent liées de façon monotone aux catégories de cotation de crédit, qui regroupent l’échelle de cotation originale en « bonne », « intermédiaire » et « compromise », plus une catégorie résiduelle pour les entreprises sans cotation de crédit.
Le graphique 2 montre la moyenne normalisée de plusieurs indicateurs de contraintes financières, notamment l’exiguïté du ratio de capacité d’autofinancement (CAF), le ratio de liquidité générale (c’est-à-dire les actifs courants sur les passifs courants) et la marge bénéficiaire brute, ainsi que les incidents de paiement sur effets de commerce, le ratio de levier et l’indice Whited-Wu (c’est-à-dire les contraintes de financement externe), par catégories de cotation de crédit (bonne, intermédiaire, compromise, pas de cotation de crédit). Le ratio de CAF est compris entre un taux négatif (– 5 %) pour les entreprises dont la capacité de remboursement des crédits est compromise, et respectivement 3 % et 10 % pour les entreprises caractérisées par une cotation de crédit intermédiaire et bonne. Le ratio de liquidité générale et la marge bénéficiaire brute augmentent également de façon monotone avec les catégories de cotation de crédit des entreprises (partie supérieure du graphique 2). D’autres mesures des contraintes de financement, telles que l’incidence des incidents de paiement sur effets de commerce, le ratio de levier et l’indice Whited-Wu, diminuent de façon monotone (partie inférieure du graphique 2) car dans leur cas, des niveaux plus bas reflètent une meilleure santé financière.