Bulletin de la Banque de France

Leçons pour les 90 ans de la Banque des règlements internationaux. Comment rester central dans un environnement mouvant

Mise en ligne le 13 Novembre 2020
Auteurs : Paul Salez, Bruno-Philippe Jeudy

Bulletin n°232, article 2. Création audacieuse et première institution financière internationale, chargée à l’origine du règlement des contentieux financiers issus de la Première Guerre mondiale, la BRI a survécu à l’obsolescence de sa mission initiale, ce qui est source d’enseignements. Par des évolutions profondes de ses missions comme de sa gouvernance et de son actionnariat, elle s’est adaptée aux mutations économiques, financières, technologiques, géopolitiques du monde, pour occuper aujourd’hui dans l’architecture financière internationale une place importante, mais singulière pour la communauté internationale, en marge des organes politiques. À l’occasion de ses 90 ans, il est intéressant de revenir sur son histoire, reflet de l’histoire économique mondiale, et sur les enjeux et défis auxquels elle est aujourd’hui confrontée, de la réponse économique à la pandémie de Covid 19 à l’élaboration de politiques publiques adaptées aux principaux enjeux climatiques, technologiques, numériques, monétaires et financiers du monde de demain.

Image 90 ans de la Banque des règlements internationaux Description La frise retrace les grands événements qui ont marqué l'histoire des règlements internationaux dans le monde de 1930 à 2019 : 17 mai 1930 : Création de la BRI ; 1944 : Accords de Bretton Woods ; 1950 : Union européenne des paiements ; 1974 : Création du Comité de Bâle ; 1996 : Elargissement de l'actionnariat (Chine, Inde, Hong Kong, Singapour, Russie, Brésil, Arabie Saoudite) ; 2011 : Réforme des statuts de la BRI ; 2019 : Création de l'Innovation Hub.

Il y a quatre vingt dix ans, le 17 mai 1930, était fondée à Bâle la première institution financière internationale, chargée du règlement des contentieux financiers issus de la Première Guerre mondiale : la Banque des règlements internationaux (BRI). Si l’institution a évolué, dans ses missions comme dans sa gouvernance, au gré des mutations économiques, financières, technologiques et géopolitiques du monde, sa permanence et la place qu’elle occupe aujourd’hui dans l’architecture financière internationale sont sources d’enseignements utiles pour la communauté internationale. Comment, en effet, est elle parvenue à rester centrale dans un environnement mouvant et à établir une légitimité propre dans la coordination de politiques publiques sur les plans monétaire et financier ?

1. Une création audacieuse

La BRI marque d’abord par sa précocité. Si la mémoire commune a volontiers retenu les accords de Bretton Woods de 1944 comme point de départ du multilatéralisme économique institutionnalisé, la BRI non seulement les précède de plus d’une décennie, mais encore est créée au début des années 1930 dans un contexte marqué tant par les suites du premier conflit mondial que par celles du krach boursier d’octobre 1929. C’est, paradoxalement, dans une période de replis souvent protectionnistes, parfois nationalistes, peu propice au multilatéralisme, qu’une coopération économique internationale nouvelle s’incarne à travers la banque bâloise. Conçue pour faciliter le règlement des réparations de guerre internationales, elle émane des banquiers centraux des pays vainqueurs et vaincus, sous l’impulsion de leurs gouvernements, respectivement créanciers et débiteurs de l’importante dette de guerre établie aux termes du traité de Versailles. Dès l’origine, elle se distingue d’autres institutions internationales, telles que la Société des Nations, par sa forme juridique, celle d’une société anonyme par actions dont les actionnaires sont des banques centrales mais aussi – jusqu’en 2001 – des particuliers, et par son indépendance fonctionnelle et financière, puisque la Banque n’est pas liée au pouvoir politique et couvre seule ses dépenses en générant des profits tirés d’activités de gestion de portefeuilles. Ainsi, au 31 mars 2019, la BRI gère plus de 291 milliards de droits de tirage spéciaux (DTS) d’actifs pour compte de tiers et pour compte propre (cf. extrait ci après du Rapport annuel 2018/2019 de la BRI).

2. Après guerre, la BRI se voit menacée dans son existence même

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, après quinze ans de fonctionnement, dont le tiers au cours d’un conflit qui n’a pas interrompu les rencontres entre banquiers centraux, y compris et surtout issus des puissances belligérantes, la question de l’avenir de la BRI se pose avec acuité.

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