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La résolution des crises bancaires : quel bilan en Europe et ailleurs ?

Mise en ligne le 28 Octobre 2024
Auteurs : Riad Benahmed

Billet de blog n° 371. Après la crise financière de 2008, les autorités ont mis au point une méthode de gestion des crises bancaires qui limite le recours aux fonds publics : la résolution. Ce billet présente le régime européen de résolution et en dresse un bilan, dix ans après sa création. Si ce régime a d’ores et déjà fait ses preuves, l’Europe peut tirer des leçons des turbulences bancaires de 2023.

Graphique 1 : La résolution, l’unique méthode de gestion des crises bancaires harmonisée en Europe 

Image Graphique 1 : La résolution, l’unique méthode de gestion des crises bancaires harmonisée en Europe Thématique Crise Banques Résolution Catégorie Bloc-notes Éco
Sources : ACPR, BDF
Lecture : Lorsque la situation financière d’une banque se dégrade, les autorités disposent de trois options pour gérer la crise : (i) prévenir la défaillance de la banque par un soutien financier de l’État ou du système national de garantie des dépôts ; (ii) si la défaillance est inévitable, la liquider conformément à la procédure nationale d’insolvabilité ; ou (iii) la mettre en résolution, une procédure de gestion de crise harmonisée à l’échelle européenne, pour atteindre certains objectifs qui sont conformes à l’intérêt public.
Note : Les fonctions critiques d’une banque peuvent notamment correspondre à la gestion des dépôts de ses clients et des moyens de paiement, la distribution de crédits et ses activités de marché.

Après la crise de 2008, des régimes de résolution bancaire ont été mis en place dans certains pays du G20 

Lors de la crise financière de 2008, les autorités n’ont eu qu’une seule alternative : sauver des banques en difficulté aux frais des contribuables ou les laisser faire faillite (Lehman Brothers) au risque de compromettre la stabilité financière. Pour y échapper, le Conseil de stabilité financière a défini en 2011 un standard international pour des régimes dits de résolution des crises bancaires, endossé par le G20. Ces régimes dotent les autorités de pouvoirs exceptionnels pour gérer, au nom de l’intérêt général, la défaillance des banques.

Dans la zone euro, un mécanisme de résolution a été mis en place à partir de 2014. Sous l’égide du Conseil de résolution unique, il constitue l’un des trois piliers de l’Union bancaire, à côté de la supervision unique et de l’harmonisation européenne des systèmes de garantie des dépôts. L’intérêt général commande de préserver la stabilité financière, de protéger les déposants et les fonds publics lors des crises bancaires (cf. graphique 1). Pour atteindre ces objectifs, les autorités européennes ont le pouvoir de restructurer ou démanteler un établissement défaillant au moyen d’instruments spécifiques à la résolution :
 
(i)    le renflouement interne (bail-in), qui met à contribution les actionnaires, puis les créanciers, pour absorber ses pertes ou le recapitaliser ;
(ii)    les opérations de transfert, c’est-à-dire la cession de ses activités, actifs ou passifs à un acquéreur, à un établissement-relais ou à une structure de gestion d’actifs (bad bank).

L’enjeu majeur de la résolution : son financement

Pour mener à bien une procédure de résolution, il est indispensable de disposer du financement nécessaire. Ce financement sert à absorber les pertes de la banque défaillante, à la recapitaliser ou à compenser un acquéreur qui accepterait de recevoir ses dépôts. On distingue trois sources de financement : (i) les actionnaires et les créanciers de la banque défaillante ; (ii) un fonds de résolution, abondé par des contributions du secteur bancaire ; (iii) l’État (bail-out). Les dépôts des ménages et des entreprises, quant à eux, sont protégés par la loi à hauteur du montant de la garantie des dépôts (100 000 euros en Europe, 250 000 dollars aux États-Unis).

Les régimes de résolution du monde entier posent pour principe que les investisseurs sont au premier chef mis à contribution, les fonds publics n’étant mobilisables qu’en dernier recours. Pour ce faire, les autorités imposent aux banques systémiques (FSB, 2023) de détenir un montant suffisant de fonds propres et de dettes subordonnées, conformément à la norme internationale de capacité d’absorption des pertes (TLAC, total loss-absorbing capacity). Les autorités ont le pouvoir de déprécier ou convertir en capital ces instruments pour financer une procédure de résolution. À fin 2023, ils représentaient environ 600 milliards d’euros dans le bilan des quatre banques systémiques françaises, avec environ deux tiers d’instruments de fonds propres et un tiers de dettes subordonnées (cf. graphique 2).
 

Graphique 2 : Fonds propres et dettes subordonnées (TLAC) des banques systémiques françaises à fin 2023

Image Graphique 2 : Fonds propres et dettes subordonnées (TLAC) des banques systémiques françaises à fin 2023 Thématique Crise Banques Résolution Catégorie Bloc-notes Éco
Note : montant des fonds propres et des dettes subordonnées en milliards d’euros.
Source : ACPR

Dans le Bulletin de la Banque de France, nous comparons les sources de financement de la résolution en Europe et aux États-Unis (Benahmed, 2024). Le modèle européen se caractérise par l’absence d’un budget fédéral et l’ambition de rompre le lien entre banques et émetteurs souverains. Dans la zone euro, le Fonds de résolution unique mutualise les contributions des secteurs bancaires nationaux. Pour limiter le partage transfrontalier des pertes, son utilisation est seulement autorisée après que les investisseurs ont été mis à contribution à hauteur de 8 % du bilan de la banque défaillante.
 
Les exigences de fonds propres et de dettes éligibles (MREL, minimum requirement for own funds and eligible liabilities), c’est-à-dire d’instruments financiers mobilisables en cas de défaillance, constituent dès lors la clef de voûte du financement de la résolution européenne. La norme européenne MREL et la norme internationale TLAC ont la même finalité, mais elles ne mesurent pas exactement les mêmes objets : certains critères d’éligibilité sont différents. En outre, les exigences MREL, propres à l’UE, sont de niveau plus élevé que le standard international TLAC (cf. graphique 3) et s’imposent à plus de 300 établissements européens, qu’ils soient ou non systémiques.

À l’inverse, les États-Unis offrent un modèle de financement appuyé sur le crédit d’un Trésor fédéral : seules les huit banques américaines systémiques sont soumises aux exigences TLAC et la Federal Deposit Insurance Corporation peut mobiliser librement les ressources du fonds de résolution en cas de crise.
 

Graphique 3 : Niveau des exigences MREL et TLAC des banques systémiques françaises à fin 2023

Image Graphique 3 : Niveau des exigences MREL et TLAC des banques systémiques françaises à fin 2023 Thématique Crise Banques Résolution Catégorie Bloc-notes Éco
Note : en % des actifs pondérés des risques. Des exigences de coussins de fonds propres s’ajoutent au montant minimal de fonds propres et de dettes requis par les exigences MREL et TLAC.
Source : ACPR

Les turbulences bancaires de 2023 ont conforté la légitimité des régimes de résolution

Le mécanisme européen de résolution a fait ses preuves depuis 2014, comme l’atteste la revue (Benahmed et Houarner, 2024) des principaux cas de résolution dans la zone euro (Sberbank, Banco Popular), en Pologne et au Danemark. On s’aperçoit que les autorités européennes ont préféré les opérations de transfert au maintien des activités par le renflouement interne. Les premières sont efficaces pour gérer des crises de liquidité et de confiance, alors que le second pallie les problèmes de solvabilité.

Aux États-Unis et en Suisse, la gestion des turbulences bancaires de 2023 n’a pas suivi le mode d’emploi de la résolution ni son mode de financement (FSB, 2023). Le rachat du Crédit Suisse par UBS a été organisé hors du cadre de résolution, sans que les actionnaires perdent l’intégralité de leur investissement. De plus, les autorités ont dû recourir à des mesures exceptionnelles, qui ont fait peser un risque sur les finances publiques : garanties offertes aux repreneurs, protection de l’ensemble des dépôts (y compris les dépôts non couverts par la garantie des dépôts) de Silicon Valley Bank et Signature Bank et prêts extraordinaires des banques centrales face à des fuites de dépôts d’une vitesse sans précédent.

Seule l’activation des mécanismes de résolution aurait pu permettre de préserver à la fois la stabilité financière et la discipline de marché. Si les banques régionales américaines avaient été soumises à des exigences de capacité d’absorption des pertes comme le TLAC ou le MREL, leur faillite aurait été moins coûteuse pour l’industrie bancaire et la garantie intégrale des dépôts n’aurait peut-être pas été nécessaire. Quant aux rachats en urgence comme celui du Crédit Suisse par UBS, ils pourraient être répliqués lors d’une résolution avec de moindres risques pour les contribuables, en les combinant avec le renflouement interne.

Les turbulences bancaires de 2023, comme l’expérience européenne, montrent que les régimes de résolution peuvent toutefois être renforcés par l’alliage de trois éléments :

(i)    des standards de résolution, en particulier une capacité suffisante d’absorption des pertes, qui s’appliquent non seulement aux grands établissements mais aussi à des banques petites et moyennes ; 
(ii)    une préparation renforcée des autorités à utiliser tous les instruments à leur disposition, sans se limiter au renflouement interne ;
(iii)    un dispositif exceptionnel de fourniture de liquidités, notamment pour parer à l’éventualité des retraits massifs de dépôts de l’ère du numérique. 

Les deux derniers éléments de l’alliage manquent encore au régime européen de résolution.

D’une part, la politique européenne de gestion de crise manque de souplesse, car elle tend, pour les grandes banques, à privilégier le seul renflouement interne. Or, il n’est pas possible de réduire les crises bancaires à des problèmes classiques de solvabilité, a fortiori devant l’émergence de nouveaux risques (climatique, géopolitique, cyber, nouvelles technologies). Les autorités doivent dès lors se préparer à des combinaisons originales d’instruments de résolution (Benahmed et Houarner, 2023) : par exemple, des cessions de filiales ou d’actifs compromis en complément du renflouement interne. 

D’autre part, les grandes banques européennes n’ont pas accès à des dispositifs exceptionnels de fourniture de liquidités en cas de défaillance, à la différence de leurs homologues britanniques, américaines ou japonaises. Une « liquidité de l’Eurosystème pour la résolution » pourrait combler cette lacune (Villeroy de Galhau, 2023) et consolider l’Union bancaire.
 

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Mise à jour le 28 Octobre 2024