Dans de nombreuses banques centrales, des initiatives visent actuellement à promouvoir une participation plus équitable des femmes au plus haut niveau. Outre le fait que cela permettra d’optimiser l’utilisation d’un réservoir de talents, l’éthique à elle seule justifie un tel rééquilibrage. Mais on peut aller plus loin et se demander si les femmes ont une orientation différente de celle des hommes s’agissant des objectifs de politique monétaire (cf. aussi un blog récent de VOX EU sur le sujet).
Les banquiers centraux femmes sont-elles des faucons ou des colombes ?
Selon la terminologie des analystes financiers, les femmes ont-elles tendance à attribuer la priorité à la lutte contre l’inflation (faucons) ou à privilégier le soutien à la croissance et à l’emploi (colombes) ? Nous examinons le cas du FOMC à l’aide d’éléments tirés d’une base de données unique, dans laquelle les membres du FOMC sont répartis selon qu’ils soient perçus comme des faucons ou des colombes, ou pouvant passer d’un camp à l’autre ("swingers"), (cf. Istrefi, 2018). Cette classification repose sur une analyse textuelle d’articles de journaux américains depuis les années 1960, recherchant la manière dont les responsables de la Fed sont décrits du point de vue de leur orientation en faveur de l’inflation ou de la croissance. Environ 20 000 articles ou rapports, tirés de plus de 30 journaux et rapports d’activité d’analystes suivant la Fed, ont été lus pour construire cet indicateur. Selon celui-ci, sur 130 membres du FOMC, 39 % sont perçus comme des faucons, 30 % comme des colombes et 24 % comme swingers. Le reste demeure inconnu. Au sein du FOMC, les présidents de Fed régionaux sont davantage perçus comme faucons et les membres du Conseil des gouverneurs comme colombes. Les femmes (14 membres sur 130) sont davantage perçues comme des colombes que les hommes (57 % contre 27 %).
Au-delà du genre : éducation, expériences de jeunesse et soutien politique
Peut-on interpréter ce constat comme le fait que les femmes siégeant au FOMC sont davantage colombes que les hommes ? Pas nécessairement. Premièrement, l’échantillon de femmes est trop réduit pour que ces chiffres soient statistiquement significatifs. Deuxièmement, une étude ultérieure utilisant cette classification (Bordo et Istrefi, 2018) souligne deux facteurs importants à l’origine des préférences de ces membres du FOMC en matière de politique monétaire : l’idéologie et les événements marquant leur jeunesse. Ainsi les chances d’être une colombe sont plus élevées pour ceux qui : ont fait leurs études dans des universités de tradition keynésienne, (Harvard, Yale) ; ont été nommés ; enfin, sont nés pendant des périodes de fort chômage. Cela se vérifie de façon égale pour les hommes et les femmes. De plus, la majorité des femmes (11 sur 14) ont débuté leur mandat à partir des années 1990, période durant laquelle les hommes étaient eux aussi plutôt des colombes.
Prenons par exemple le cas de Janet Yellen, qui a siégé au FOMC en tant que membre du Conseil des gouverneurs (1994-1997), présidente de la Fed de San Francisco (2004-2010) et enfin présidente de la Réserve fédérale (2014-2018). Diplômée de Yale, elle a été nommée pour la première fois au Conseil des gouverneurs par le Président Clinton en 1994, en même temps qu’Alan Blinder (diplômé du MIT). Pressentis tous les deux comme des colombes, ils ont été perçus comme tels durant leurs mandats respectifs au FOMC. Ainsi, avant leur confirmation par le Sénat, faisant allusion à leur éducation dans la tradition keynésienne et à leur nomination par un président démocrate, le Financial Times les qualifiait de "colombes de l’inflation".
Par ailleurs, les femmes perçues comme faucons et celles susceptibles de passer d’un camp à l’autre ont toutes, à une exception près, représenté des banques de réserve régionales. Fait intéressant, la moitié d’entre elles ont représenté la Fed de Cleveland, connue pour privilégier la lutte contre l’inflation (Loretta J. Mester dispose des droits de vote au FOMC pour 2018). Le genre n’apparaît donc pas être un indicateur pertinent d’orientation en matière de politique monétaire. Pour deviner l’orientation des membres du FOMC, il est plus instructif de connaître l’université dont ils sont diplômés, les événements économiques majeurs qui ont marqué leur jeunesse ou encore qui les ont nommés et à quel poste.