Bloc-notes Éco

Économie, où sont les femmes ?

Mise en ligne le 7 Mars 2018
Auteurs : Anne Boring, Soledad Zignago

 

Billet n°51. En 2017, diverses études ont relancé le débat aux États-Unis sur la place des femmes dans la profession d’économistes, ainsi que sur les freins à lever pour la développer. La part de femmes économistes est faible dans la plupart des pays (19 % en moyenne mondiale), dans tous les champs de l’économie et stagne dans le temps. Il existe cependant des différences entre pays. En France, par exemple, la part des femmes est un peu plus élevée, notamment pour les maîtres de conférence.

Image Part de femmes-économistes par pays
Carte 1 : Part de femmes-économistes par pays
Source : Female representation in Economics, RePEc, janvier 2018

À l’été 2017, l’étude d’Alice Wu a fait grand bruit dans la profession en révélant des commentaires sexistes sur le site anonyme de rumeurs du job market américain. Largement médiatisée par le New York Times, elle a conduit l’Association Américaine d’Économie (AEA) à rédiger un code de conduite professionnelle. Plusieurs travaux, dont un article récent de Amanda Bayer et Cecilia Rouse, montrent que la sous-représentation des femmes dans la profession a un impact négatif sur la qualité de la recherche (en réduisant la diversité des points de vue) et de l’enseignement (car elle donne moins envie aux étudiantes de poursuivre des études en économie).

Quelle est la part d’économistes femmes dans le monde ?

La plupart des études sur la (sous)représentation des femmes en économie s’appuient sur des données américaines. Nous utilisons ici la base de données RePEc (Research Papers in Economics) qui répertorie plus de 52 000 auteurs d’articles de recherche en économie dans le monde. RePEc apporte un nouvel éclairage, en permettant des comparaisons internationales, par spécialisation et dans le temps. Selon RePEc (Carte 1), les pays européens connaissent une représentation des femmes supérieure à la moyenne mondiale (19 %), surtout les latins (Italie 30 %, Espagne 27 %, France 26 %) et ceux de l’Est (en particulier la Roumanie avec 52 %). Les femmes sont nettement sous-représentées dans les pays anglo-saxons : États-Unis 16 %, Royaume Uni 18 % (en rose sur le graphique 1). La situation en Amérique latine est assez contrastée, tandis que l’Asie affiche des taux de femmes économistes très bas : 6 % au Japon, Chine et Inde.

Image Représentation féminine parmi les économistes inscrits sur RePEc
Graphique 1 : Représentation féminine parmi les économistes inscrits sur RePEc
Sources : Female representation in Economics, classements académiques par pays et pour le monde (janvier 2018), et listes RePEc-Twitter.

Parmi les économistes RePEc actifs sur Twitter (environ 1 200), 16 % sont des femmes (en violet sur le graphique 1). Dans le Top 25 % de ceux-ci par nombre d'abonnés, la proportion de femmes baisse à moins de 13 % et on ne trouve que huit femmes parmi les 100 les plus suivis. D'ailleurs, l'audience qui revient aux femmes dans ce Top 25 % n’atteint pas 7 % (en excluant Paul Krugman, qui compte plus de 4 millions d’abonnés à lui seul), ce qui suggère un déficit de demande quant à leur prise de parole, pas seulement d’offre. La sous-représentation féminine est encore plus forte dans les classements RePEc basés sur le nombre et l’impact des publications, où l’on ne trouve qu’une femme parmi les 100 économistes les mieux classés au monde (en bleu sur le graphique 1). La France fait mieux que les États-Unis et le Royaume Uni mais moins bien que l'Espagne, notamment en termes de femmes classées parmi les 100 meilleurs économistes du pays (9 contre 13 en Espagne).

Des disparités existent aussi selon les champs de recherche. La part de femmes peut même baisser à 9-12 % pour les domaines où elles sont le moins représentées - finance, économétrie, économie du sport -  alors qu’elle s’élève à 32-37 % dans ceux où elles sont le plus représentées - démographie, pays de l’Est, économie du tourisme (détail ici). Anusha Chari et Paul Goldsmith-Pinkham montrent également que les femmes sont particulièrement sous-représentées en finance, en macroéconomie et en économie internationale. En termes d’évolution dans le temps, le graphique 2 montre que la part de femmes par cohorte de docteurs sur RePEc au cours des vingt dernières années stagne autour de 17-18 %. La proportion de femmes serait même à la baisse aux États-Unis, selon Justin Wolfers : elles n’y représentent actuellement que 35 % des étudiants en licence d’économie alors qu’elles étaient un peu plus de 40 % dans la seconde moitié des années 90.

Image Parts de femmes par cohortes de doctorants dans RePEc
Graphique 2 : Parts de femmes par cohortes de doctorants dans RePEc (%)
Source : Female representation in Economics, RePEc, janvier 2018.

Qu’en est-il en France ?

D’après les données du Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (données 2016-17), la proportion de femmes est plus élevée parmi les étudiants en France, avec 43 % de femmes en première année de licence et 51 % en master 2, mais 38 % en doctorat d’économie. La tendance est stable depuis 2010-2011, malgré une légère diminution des femmes inscrites en doctorat d’économie (41 % en 2010).

Alors qu’aux États-Unis, seulement 29 % des assistants professors et 14 % des full professors en économie sont des femmes, la situation est un peu plus équilibrée en France : la proportion de femmes maîtres de conférence (MCF) était de 43 % en 2016, tandis que celle des femmes professeurs d’universités (PR) était de 24 % (graphique 3, gauche). Comme l’indique la partie droite du graphique 3, les plus jeunes cohortes de MCF (moins de 36 ans), sont quasi paritaires. Il reste à voir si les femmes MCF dans ces jeunes cohortes vont passer PR dans les mêmes proportions que leurs collègues masculins. Du côté des chercheurs CNRS, Clément Bosquet, Pierre-Philippe Combes et Cecilia García-Peñalosa montrent aussi des écarts importants entre la part de femmes chargées de recherche et directrices de recherche.

Image Pourcentage de femmes par grade académique, en France et aux États-Unis (à gauche) et effectifs de maîtres de conférence et professeurs dans l’enseignement supérieur en sciences économiques par âge, 2016-17
Graphique 3 : Pourcentage de femmes par grade académique, en France et aux États-Unis (à gauche) et effectifs de maîtres de conférence et professeurs dans l’enseignement supérieur en sciences économiques par âge, 2016-17 (à droite)
Sources : Open data Enseignement Supérieur et Innovation et Justin Wolfers pour les États-Unis.

Enfin, par rapport à d’autres disciplines, l’économie se situe en France plutôt dans la moyenne en termes de féminisation (cf. graphique 4). De façon générale, les disciplines ayant le pourcentage le plus élevé de femmes MCF ou PR sont aussi logiquement celles où les femmes sont majoritaires en master. Pour donner un exemple proche des sciences économiques, 56 % des MCF et 36 % des PR en sociologie sont des femmes, contre 65 % de femmes inscrites en master 2 et 59 % en doctorat (en 2016). Aux États-Unis, la situation relative des économistes femmes semble être moins favorable et dynamique que dans d’autres disciplines. Selon une étude basée sur des données de la National Science Foundation, cela conduit à une différence significative des taux d’insatisfaction des femmes par rapport aux hommes de la profession, qui ne s’observe pas dans d’autres filières scientifiques comme les mathématiques, l’informatique, la physique.

Image Part de femmes maîtres de conférence et professeures par section CNU
Graphique 4 : Part de femmes maîtres de conférence et professeures par section CNU, 2016-17
Source : Open data Enseignement Supérieur et Innovation. CNU : Conseil National des Universités.