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Billet n°247. Depuis la dernière évaluation stratégique de la BCE en 2003, les interdépendances entre pays se sont accrues, exposant davantage les conditions économiques et financières de la zone euro aux influences extérieures. Toutefois, d’après les analyses qui sous-tendent la nouvelle évaluation stratégique de la BCE, la mondialisation ne constitue pas un frein à l’objectif de stabilité des prix de la BCE, mais elle nécessite une adaptation de ses instruments et de sa boîte à outils d’analyse.
Une intégration commerciale et financière beaucoup plus profonde aujourd’hui qu’en 2003
L’évaluation stratégique de la BCE, lancée en janvier 2020, s’est conclue en juillet 2021 par l’annonce d’une nouvelle stratégie de politique monétaire et la publication des analyses détaillées sous-jacentes. La précédente évaluation stratégique de la BCE a été menée en 2003, c’est-à-dire avant l’ère de l’"hyper mondialisation". Le système commercial mondial a connu des changements structurels majeurs, avec une augmentation particulièrement forte du poids des économies émergentes, notamment de la Chine et des autres pays asiatiques, et le développement massif de réseaux de production mondiaux grâce aux chaînes de valeur mondiales (Berthou, Carluccio et Gaulier, 2020). Les flux financiers transfrontières bruts sont passés de 2,5 % du PIB mondial au début des années 1990 à 20 % environ en 2007, avec en particulier une expansion de l’activité bancaire mondiale (Graphique 2, où les "autres investissements" recouvrent essentiellement les flux bancaires qui ont enregistré une forte hausse avant 2008 puis se sont stabilisés par la suite).
Dans l’ensemble, en dépit de la stabilisation observée après la Grande crise financière et qui a moins concerné la zone euro que le reste du monde, la plupart des économies sont actuellement beaucoup plus intégrées qu’en 2003 et peu de signes indiquent une inversion pure et simple du processus de mondialisation. Ces changements ont profondément influé sur le paysage dans lequel la politique monétaire opère, comme le met en évidence un rapport récent mené dans le cadre de l’évaluation de la stratégie de politique monétaire de la BCE.
Une synchronisation accrue des cycles économiques et financiers des différents pays
Les variables économiques et financières des différents pays sont en corrélation plus étroite dans un monde caractérisé par des liens commerciaux et financiers plus forts. Cette synchronisation est visible pour les variables réelles, telles que les cycles d’activité, et pour les variables financières. Les fluctuations des flux de capitaux et des prix des actifs risqués résultent de facteurs mondiaux qui sont communs aux différents pays. En particulier, l’inflation dans la zone euro affiche une synchronisation croissante avec celle des autres économies avancées, notamment en raison de la corrélation entre les composantes les plus volatiles de l’indice des prix à la consommation (IPC). En outre, l’analyse conclut que, en dépit de son incidence sur la détermination des prix et des salaires, la mondialisation a eu un effet de second ordre sur l’inflation tendancielle et sur l’aplatissement de la courbe de Phillips par rapport à d’autres facteurs tels que le désancrage des anticipations d’inflation. On peut notamment expliquer ce résultat – peut-être contre-intuitif – par le fait que, même si l’ouverture commerciale peut intensifier la concurrence et donc exercer une pression à la baisse sur l’inflation, elle est également associée à l’émergence d’entreprises "superstars" qui, opérant dans des contextes oligopolistiques, tendent à absorber les fluctuations de coûts dans leurs marges. En outre, malgré le doublement de la part de biens provenant de pays à bas salaires dans les dépenses de consommation de la zone euro depuis le début des années 2000, la contribution globale à la hausse de l’IPC a été relativement modeste car l’inflation dans ces pays a augmenté à un rythme comparable à celui de la zone euro (et même légèrement plus rapide) – cf. Balatti et al, (2021) pour une analyse détaillée de l’impact de la mondialisation sur l’inflation).
La mondialisation influe sur l’environnement dans lequel la politique monétaire opère
L’étude sur la mondialisation menée dans le cadre de l’évaluation stratégique conclut que l’intégration commerciale a contribué à stimuler la croissance de la productivité en améliorant l’allocation des ressources vers des pays, secteurs et entreprises plus productifs et en incitant à l’innovation technologique. Elle montre également que l’intégration financière explique dans une certaine mesure la baisse du taux d’intérêt naturel (le taux auquel l’inflation est constante sur le long terme, appelé r*) car elle accroît l’offre d’épargne mondiale et la demande mondiale d’actifs sûrs. Le taux r* a enregistré une baisse constante au cours des dernières décennies (Graphique 3, Banque fédérale de réserve de New York ) (Marx, Mojon et Velde, 2017 ; Brand, Bielecki et Penalver, 2018). Le rapport montre également que la mondialisation a été associée à une plus grande inégalité des revenus et de la richesse au sein des pays.
La mondialisation altère les canaux de transmission de la politique monétaire mais pas leur pertinence
La question, naturellement, est de savoir si et comment l’interconnexion internationale influe sur les mécanismes de transmission de la politique monétaire. Par son impact sur r* et sur les inégalités, la mondialisation limite le "canal du taux d’intérêt" en réduisant (dans une certaine mesure) la marge de manœuvre de la politique monétaire et en modifiant la propension agrégée à consommer, les ménages faiblement rémunérés tendant à épargner moins. La mondialisation affecte également le "canal de la richesse", c’est-à-dire l’impact des taux d’intérêt sur la demande via les portefeuilles détenus, la richesse étant plus concentrée et davantage détenue à l’étranger. Aspect le plus important, la mondialisation est associée à une dynamique plus complexe des taux de change. La mondialisation financière implique une plus grande sensibilité des taux de change aux chocs de politique monétaire, via un rééquilibrage rapide des portefeuilles et des effets de valorisation liés aux expositions en devises, ainsi qu’un rôle plus actif des banques mondiales dans la transmission transfrontière des chocs (hypothèse du "cycle financier mondial"). L’intégration commerciale, quant à elle, permet aux consommateurs de réorienter leurs dépenses entre biens domestiques et biens étrangers à la suite d’une variation du taux de change résultant de la politique monétaire, renforçant ainsi le canal du taux de change. Toutefois, la mondialisation est associée dans le même temps à un rôle accru des devises dominantes, en particulier le dollar américain et l’euro, dans la facturation des échanges internationaux, ce qui atténue les effets réels des dévaluations.
Conclusion
Le monde est beaucoup plus ouvert et interconnecté aujourd’hui qu’au moment de l’introduction de l’euro. Une économie plus ouverte est davantage exposée aux chocs (positifs ou négatifs) qui surviennent ailleurs dans le monde. On pourrait penser que cette interconnexion risque de faire obstacle à la souveraineté de la politique monétaire, mais les études réfutent ce point de vue, ce qui constitue une bonne nouvelle : l’inflation à moyen terme dans la zone euro reste sous le contrôle de la BCE comme c’était le cas au début des années 2000. En effet, la BCE a très activement développé de nouveaux instruments pour fournir un stimulus monétaire durant la crise, notamment durant sa phase très aiguë début 2020, en introduisant par exemple des lignes de swaps pour remédier à la pénurie de liquidité en dollar (Schmidt, 2020) et en euro (Albrizio et al, 2021). La mondialisation exige avant tout des travaux supplémentaires des services de l’Eurosystème afin d’appréhender les complexités du monde intégré et de les incorporer dans leur boîte à outils d’analyse.
Mise à jour le 25 Juillet 2024