Le rôle des caractéristiques du marché du travail dans la dynamique d’inflation
Les caractéristiques des négociations salariales sur les marchés du travail influencent la façon dont les chocs économiques du côté de l’offre et de la demande affectent l’économie. Si les institutions de négociation collective sont conçues de manière à internaliser les effets des ajustements salariaux sur l’ensemble de l’économie, par exemple via le chômage, la négociation collective sera probablement plus modérée après une hausse transitoire de l’inflation. En revanche, si les effets de rétroaction des résultats des négociations salariales sur le reste de l’économie sont pour la plupart ignorés, les syndicats peuvent négocier des salaires plus élevés, et rendre ainsi la dynamique d’inflation plus persistante (Bowdler & Nunziata 2007). L’indexation des salaires sur les prix constitue un cas particulier, car elle introduit une composante structurelle ancrée sur le passé dans les contrats salariaux nominaux (Fuhrer 2011).
Ces caractéristiques du marché du travail ont donc des conséquences sur la forme de la courbe de Philips pour les salaires, qui décrit la relation entre salaires actuels d’une part et salaires passés et chômage d’autre part. La principale conclusion est que lorsque les salaires sont indexés, l’inflation est plus sensible au chômage, ce qui rend la courbe de Phillips plus pentue, le cycle économique jouant un rôle plus important dans la fixation des salaires (Gali 2011).
L’indexation des salaires dans le temps et entre les pays
Le graphique 2 illustre la prévalence de l’indexation des salaires dans 56 pays de l’Union européenne et de l’OCDE depuis 1960, c’est-à-dire la proportion de pays dans lesquels les accords collectifs contiennent une clause reliant les salaires aux prix. C’était par exemple le cas en France avant 1983 (hormis en 1968 et 1976). Si la part des pays pratiquant l’indexation des salaires augmente en début de période, le graphique 2 montre que cette tendance s’inverse à la fin des années 1970, en cohérence avec l’effort des autorités pour affaiblir la boucle prix-salaires afin de limiter les conséquences inflationnistes du choc pétrolier de 1973. En 2020, la part des pays pratiquant l’indexation des salaires est d’environ 10 %, quatre fois moins qu’en 1960. Cinq des six pays de l’échantillon qui pratiquent l’indexation des salaires en 2020 sont toutefois situés dans l’Union européenne (notamment BE, BG, CY, LU et MT).
L’indexation des salaires conduit à des anticipations d’inflation moins bien ancrées
Les négociations salariales concernent les employeurs et les ménages. Malheureusement, la disponibilité de données relatives aux anticipations d’inflation des entreprises et des ménages sur un grand nombre de pays et sur un passé assez long n’est pas assez grande, malgré les progrès en cours (Bouche et al. 2022). Nous nous référons donc aux anticipations d’inflation des prévisionnistes professionnels, qui par leur large diffusion affectent les anticipations d’inflation des ménages et des entreprises (Carroll 2003). Les prévisionnistes professionnels fondent leur évaluation des perspectives d’inflation sur des modèles calibrés à partir de données historiques, qui reflètent notamment les caractéristiques institutionnelles de l’économie. Les prévisions d’inflation pour les pays incluant une fraction plus élevée d’indexation automatique des salaires nominaux sur l’inflation devraient donc impliquer une transmission plus importante de l’inflation actuelle aux anticipations d’inflation à court et moyen termes via ce canal de persistance de l’inflation. Toutefois, si les anticipations d’inflation sont bien ancrées, cet effet devrait se dissiper avec l’horizon de prévision. Les anticipations d’inflation à long terme ne devraient alors pas être affectées par le niveau de persistance de l’inflation à court et moyen termes, avec la conviction que la politique monétaire ramènera l’inflation à sa cible à moyen terme. Au contraire, si les anticipations ne sont pas bien ancrées, un choc temporaire d’inflation amorcera la boucle prix-salaires, entraînant une modification des anticipations d’inflation à long terme, et prolongeant ainsi l’effet de court et moyen termes.