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Inclusion et santé financières en Afrique subsaharienne

Mise en ligne le 13 Janvier 2025
Auteurs : Quentin Dufresne, Luc Jacolin, Albin Salmon

L’inclusion financière, c’est-à-dire l’accès aux services financiers par les populations et les entreprises, a considérablement progressé ces dernières années en Afrique subsaharienne (ASS). Accélérée depuis 2008 par l’essor de la banque mobile et plus généralement de la numérisation des services financiers, l’inclusion financière constitue une dimension majeure du développement financier. L’usage des services financiers accompagne la croissance économique tout en favorisant la cohésion sociale et la lutte contre la pauvreté. Elle constitue ainsi un objectif majeur du G20 et l’un des objectifs de développement durable (ODD) à l’horizon 2030. De tels bénéfices ne peuvent toutefois être effectifs que dans la mesure où les services financiers sont d’une qualité suffisante, d’un « coût abordable, utiles, adaptés à leurs besoins [des individus] et proposés par des prestataires fiables et responsables 1 » et contribuent également à la santé financière de leurs utilisateurs.

Au fur et à mesure de la progression de l’accès et de l’usage des services financiers, les objectifs de santé financière apparaissent de plus en plus prégnants. La santé financière – aussi appelée « bien-être financier » – recouvre, pour l’essentiel, la capacité des individus/ménages à répondre à leurs besoins et engagements financiers immédiats, à faire face à des chocs financiers négatifs, à se sentir confiants dans leur avenir et à atteindre leurs objectifs. Cette notion renvoie non seulement à des facteurs proprement financiers (gestion à court terme des encaisses et des risques de solvabilité, de liquidité, sécurité financière face aux chocs adverses, objectifs financiers de long terme au cours du cycle de vie ou générationnel), mais également aux principaux facilitateurs (éducation financière, protection du consommateur, par exemple) qui assurent le caractère responsable et durable de l’accès à la finance. Cette étude vise à faire apparaître les bénéfices d’une inclusion financière durable et de qualité pour les populations d’ASS. Cette dernière est conditionnée à l’essor des politiques de développement des infrastructures, de protection du consommateur et d’éducation financière adaptées, notamment pour faire face aux risques associés à la numérisation financière.

1| Les progrès dans l’inclusion financière des populations africaines créent des enjeux croissants de santé financière

La santé financière, une notion centrée sur les besoins financiers des utilisateurs de services financiers

La notion de santé financière a été développée au cours des dix dernières années comme outil de politique publique dans plusieurs pays avancés et par les organisations internationales spécialisées dans l’inclusion financière. Cette notion a été tout d’abord dérivée des objectifs d’éducation financière, comme dans le cas des États-Unis 2 et du Canada 3, tandis que la stratégie nationale de bien-être financier 2020-2030 4 lancée au Royaume-Uni en 2021 combine des objectifs d’éducation financière avec des objectifs de réduction des difficultés financières auxquelles font face les populations. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) aborde cette notion avant tout sous le prisme de l’éducation financière 5, tandis que le Consultative Group to Assist the Poor (CGAP) se concentre sur les politiques visant à promouvoir l’offre de services financiers ou la protection des consommateurs 6.

Au sein de l’Organisation des Nations unies (ONU), le Fonds d’équipement des Nations unies (UNCDF) privilégie le développement des infrastructures financières locales 7, parallèlement aux activités de la mandataire spéciale du Secrétaire général des Nations unies pour la finance inclusive pour le développement (UNSGSA) 8, qui promeut l’inclusion et la santé financières, plaidant pour leur intégration dans les agendas internationaux 9.

La notion de santé financière synthétise plusieurs composantes de la vie financière des individus (et des ménages). Elle reflète notamment leur capacité à faire face à des obligations de court terme, liées à leur consommation courante et à gérer les risques financiers engendrés par des chocs adverses (McKay et Zetterli, 2021). La santé financière englobe également la capacité des individus à disposer des moyens financiers nécessaires pour satisfaire leurs objectifs ou aspirations de long terme, par exemple les dépenses d’éducation (Gubbins et Heyer, 2022). Plus largement, la santé financière retranscrit la satisfaction des individus dans leur vie financière, ce qui peut mêler des éléments tant objectifs (gestion optimale des ressources et risques financiers) que subjectifs (sentiments et perceptions des individus, Sorgente et Lanz, 2019), qui affectent le comportement financier du public, notamment l’allocation des revenus, de l’épargne, et la demande de crédit (Anvari-Clark et Ansong, 2022).

Le niveau de santé financière est déterminé par de nombreux facteurs socioéconomiques et financiers. Le principal d’entre eux relève des variables de revenu courant et permanent, et de sécurité de l’emploi (Muir et al., 2017). La santé financière peut aussi être améliorée par les filets de sécurité sociaux qui procurent des revenus
complémentaires stables pour accéder aux produits et services de base et faire face aux accidents de la vie
(Gubbins et Heyer, 2022), leur développement constituant un enjeu central dans les pays en développement. La
santé financière reflète les traits psychologiques, attitudes et croyances d’un individu, mais également les normes
culturelles et sociales (Rhyne, 2020). La santé financière dépend ainsi de l’âge et du cycle de vie (Fan et Henager,
2022), du niveau d’éducation ou de santé, du genre et de l’appartenance à des minorités discriminées.

Ces facteurs socioéconomiques sont particulièrement prégnants dans les pays d’ASS. Les études menées montrent que la santé financière varie en fonction de la composition de la famille (Kempson et al., 2017), de la répartition dans le couple des prises de décision financière (Muir et al., 2017) et des apports financiers relatifs de chacun de ses membres (Bonke et Browning, 2009). Le capital social d’un individu, notamment le soutien communautaire, peut également améliorer sa santé financière, tant par l’accès à des fonds d’urgence que par l’accès au crédit via des coopératives de crédit informelles (tontines). Si dans ces pays la résilience financière (et donc la santé financière) est plus souvent affectée que dans les pays à revenu élevé par une moindre stabilité macroéconomique, ainsi que par des inégalités de revenu plus élevées (Gubbins, 2020), de tels réseaux sociocommunautaires peuvent contribuer à en limiter les effets négatifs.

Compte tenu de son caractère récent et de ses liens avec l’inclusion financière, la notion de santé financière demeure un concept évolutif, sans définition standardisée, tant dans la littérature académique que dans les instances internationales. Le Partenariat mondial pour l’inclusion financière du G20 (GPFI) s’est ainsi assigné comme objectif pour 2024 d’en proposer une définition harmonisée, ainsi qu’une méthodologie de mesure (GPFI, 2023). La recherche empirique vise à mieux faire apparaître le rôle des différents déterminants du bien-être financier et ses liens avec les objectifs de développement durable (Bashir et Qureshi, 2023). L’amélioration de la santé financière peut en effet contribuer autant à la lutte contre la pauvreté (ODD 1) qu’à la lutte contre les inégalités (ODD 10), au bien-être (ODD 3, 16) ou à l’égalité des sexes (ODD 5).

La mesure de la santé financière inclut une large palette d’indicateurs objectifs et subjectifs habituellement évalués par des questionnaires qualitatifs. Les indicateurs objectifs de la santé financière en constituent le premier fondement, en permettant d’évaluer l’accès des individus (ou des ménages) aux services financiers (la disponibilité de moyens de paiement, par exemple, peu dense dans les pays d’ASS), mais également le degré d’aisance dans la vie courante : paiement à temps des factures des services de base, adéquation du revenu aux besoins alimentaires, poids de la dette (Netemeyer et al., 2018). Les facteurs d’appréciation subjective constituent le second fondement de la mesure de la santé financière, et s’appuient sur diverses questions de perception. Les questionnaires qualitatifs utilisés pour mesurer ces éléments subjectifs peuvent porter sur les préoccupations relatives à l’épargne (CFPB, 2015), la capacité à faire face à des aléas financiers (Global Findex, 2021) 10, le degré de satisfaction des individus face à leur situation financière (Sorgente et Lanz, 2019) ou leur capacité de contrôle sur les finances (Kempson et al., 2017).

Intégrer des indicateurs de santé financière peut aussi contribuer à mieux cibler les politiques d’inclusion financière. Ces indicateurs sont susceptibles de proposer une image plus complète des motivations, des besoins et des priorités des différentes populations des pays de l’ASS, qui demeurent insuffisamment connus, notamment ceux des différents groupes exclus. Cantú et al. (2024) ont par exemple développé un indicateur synthétique de mesure de la santé financière, définie, à partir de la base de données Global Findex, comme la fraction moyenne d’individus déclarant avoir des inquiétudes pour couvrir leurs dépenses et ayant recours au secteur informel en cas d’urgence 11. Cet indicateur fait apparaître une relation positive entre santé financière et niveau de développement, ainsi que des corrélations positives et significatives entre santé financière et accès au crédit ou à l’épargne (cf. graphiques 1 et 2).

1 Source : Banque mondiale.
2 Consumer Financial Protection Bureau (2015), Financial Well-Being: The Goal of Financial Education, janvier, p. 5.
3 Financial Consumer Agency of Canada, Make Change that Counts: National Financial Literacy Strategy 2021-2026, p. 13.
4 Money and Pensions Service, UK Strategy for Financial Wellbeing, p. 10.
5 OCDE (2023), OECD/INFE 2023 International Survey of Adult Financial Literacy, décembre.
6 E. Rhyne (2023), Financial Health as a Consumer Journey, FinDev Gateway, CGAP, avril.
7 UNCDF (2022), Delivering Financial Health Globally: A collection of insights, approaches and recommendations, août.
8 UNSGSA (2021), Financial Health: An Introduction for Financial Sector Policymakers, septembre.
9 La définition donnée par l’UNSGSA est : « Financial health or wellbeing is the extent to which a person or family can smoothly manage their current financial obligations and have confidence in their financial future. »
10 A. Demirgüç-Kunt, L. Klapper, D. Singer et S. Ansar (2022), The Global Findex Database 2021: Financial Inclusion, Digital Payments, and Resilience in the Age of COVID-19, Banque mondiale, Washington DC.
11 Dépenses relatives à la santé, à l’éducation, aux charges mensuelles et à l’anticipation des vieux jours. Le recours au secteur informel est le recours à la famille ou aux amis en cas d’urgence sous sept et trente jours.

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Mise à jour le 15 Janvier 2025