Document de travail

Impact des importations des pays à bas salaire sur l’inflation française

Mise en ligne le 6 Avril 2018

Document de travail n°672. Juan Carluccio, Erwan Gautier et Sophie Guilloux-Nefussi évaluent l'impact des importations en provenance des pays à bas salaire sur l'inflation de l'IPC en France entre 1994 et 2014 à partir de données individuelles détaillées sur les importations et les exportations. La part des importations en provenance des pays à bas salaire dans la consommation est passée d'environ 2% à 7% et a eu un impact négatif sur l'inflation d'environ 0,17 pp par an en moyenne. Cet effet se décompose en trois canaux. 1) Le canal substitution, qui mesure le remplacement de la production domestique par des biens provenant des pays à bas salaire, représente environ 0,05 pp. 2) L'augmentation de la proportion de biens produits dans des pays à bas salaire dans les importations totales a pesé sur l'inflation importée. Ce canal a réduit l'inflation de l'IPC de 0,06 pp par an. 3) L'estimation par variables instrumentales du canal de la concurrence montre que la hausse de la part de marché des pays à bas salaire a eu un effet négatif d'environ 0,06 pp par an sur l'inflation de l'IPC.

Image French inflation and the decomposition into tradables and non tradables

Une caractéristique majeure de la phase actuelle de mondialisation, qui a débuté au début des années 1990, est l'intégration rapide et sans précédent des économies émergentes dans le commerce mondial.  En théorie, cette évolution devrait profiter aux ménages des pays développés en réduisant les prix à la consommation. La figure 1 illustre l'inflation française (IPC hors énergie) et sa décomposition en inflation des biens et services échangeables et non échangeables. L'inflation des biens échangeables a été constamment plus faible depuis le milieu des années 1990, ce qui corrobore l'intuition selon laquelle l'ouverture au commerce international aurait pesé sur l'inflation.

Dans cet article, nous évaluons l’effet des importations en provenance de pays à bas salaire sur l'inflation en France de 1994 à 2014, en quantifiant les différents canaux par lesquels l'effet a joué. Nous estimons que la part des importations en provenance des pays à bas salaire dans la consommation française a triplé au cours de la période, passant de 2,4 % en 1994 à 6,9 % en 2014. Le principal résultat de notre analyse est que, si cette part était restée à son niveau de 1994, l'inflation française aurait été supérieure de 0,17 pp par an en moyenne. À titre de comparaison, l'inflation française (hors énergie) était de 1,3 % en moyenne sur cette période, et l'inflation des biens manufacturés était de 0,7 %. Le principal pays contributeur à cet effet est la Chine. La part des biens chinois dans la consommation française est passée de 0,7 % à 3,5 % sur la période de l'échantillon, soit cinq fois plus. Nous constatons que les importations en provenance de la Chine à elles seules ont contribué à réduire l'inflation française de 0,10 pp en moyenne, soit un peu plus de la moitié de l'effet total.

Nous utilisons des données quasi-exhaustives, au niveau entreprise, provenant des douanes françaises avec des informations sur les quantités et les valeurs des importations par produit et par pays d'origine, à partir desquelles nous construisons des indices détaillés des prix à l'importation. Nous créons une table de concordance pour affecter chacun des produits importés à une catégorie de consommation dans l'IPC français. Ces données nous permettent de documenter l'évolution de la part des importations dans la consommation française par pays d'origine et d'évaluer dans quelle mesure ces évolutions ont contribué à la dynamique des prix à la consommation. L'utilisation de prix détaillés au niveau des produits (par pays d'origine) est un élément clé car elle permet d'obtenir des mesures des différences de niveaux de prix qui sont essentielles à notre exercice.

Nous décomposons l'effet global en trois canaux additifs. Premièrement, les importations en provenance de pays à bas salaire ont remplacé les biens qui étaient auparavant produits sur le marché intérieur, et le changement correspondant dans le panier de consommation s'est traduit par une baisse des prix. Nos estimations suggèrent que ce canal de substitution a réduit l'inflation française des prix à la consommation de 0,05 pp par an en moyenne, ce qui représente environ un tiers de l'effet global.

Un second canal, appelé canal de l'inflation importée, transite par l'évolution des prix à l'importation: le taux de croissance des prix des biens importés affecte l'IPC proportionnellement à la part de ces biens dans la consommation totale. Nous décomposons l'évolution de l'indice des prix à l'importation en fonction de l'origine des importations. Nous constatons que la part croissante des pays à bas salaire dans les importations françaises totales de biens de consommation a fait baisser l'inflation des prix à l'importation d'environ 0,4 pp par an. Cela a réduit l'inflation française de l'IPC de 0,06 pp par an en moyenne.

Enfin, l'augmentation des importations en provenance des pays à bas salaire modifie le comportement des entreprises françaises en matière de fixation des prix, ce qui a une incidence indirecte sur l'inflation des prix à la consommation que nous appelons le canal de la concurrence. Une concurrence accrue peut avoir un impact négatif sur les prix. Nous constatons que l'élasticité des prix à la production par rapport à la pénétration des importations en provenance des pays à bas salaire est d'environ -1. Compte tenu de la part des importations dans la consommation totale et de l'augmentation des importations en provenance des pays à bas salaire sur la période, ce troisième canal explique une réduction de l'inflation de 0,06 pp par an en moyenne.

Il faut noter que nos estimations ne tiennent pas compte des effets indirects d'équilibre général qui pourraient se produire à long terme (tels que des ajustements de prix dans les biens échangeables résultant d'un effet de revenu, ou des ajustements des salaires et de l’emploi). L'estimation des effets d'équilibre général nécessiterait un modèle macro-structurel, ce qui fera l’objet de recherche future. Ce travail se concentre sur la quantification de l'effet direct sur les prix à la consommation.

Mise à jour le 25 Juillet 2024