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Billet n°172. La demande de monnaie fiduciaire de la zone euro affiche une croissance supérieure à celle du PIB depuis la création de l’euro. Pourtant, paradoxalement, l’usage des espèces en tant que moyen de paiement a tendance à décliner. La hausse de la demande de billets semble essentiellement due à une augmentation de la demande de précaution émanant des agents économiques.
L’émission de billets a augmenté plus rapidement que l’activité économique dans la zone euro (cf Graphique 1) malgré un déclin de l’utilisation des espèces dans les paiements. Ainsi, le motif transactionnel n’explique pas à lui seul la croissance de la circulation fiduciaire (Rua, 2019 et Bartzsch, Rösl et Seitz, 2011). Cette tendance apparait plus marquée en Allemagne (de 6 à 22%) et dans l’ensemble de la zone euro (5 à 11%), qu’en France (de 2 à 6%).
Une hausse de la demande de monnaie suivie d’un retour à la tendance de long terme dans la zone euro?
… Comprendre les concepts de détention (stock) et d’usage (flux)
Les émissions nettes de billets en euros correspondent en France au stock des billets émis par la Banque de France depuis l’introduction de l’euro (émissions brutes), moins les billets retournés à ses guichets depuis cette date. Elles augmentent de l’écart entre les sorties (prélèvements) et les entrées (versements) de billets, qui constitue les sorties nettes. Elles constituent donc un stock, tandis que les entrées et sorties sont des flux.
L’écart entre les flux d’entrées et sorties, les variations des émissions nettes, résulte de différents facteurs : la demande nationale pour motif de transaction et de thésaurisation, la demande étrangère et les migrations de billets entre pays de la zone euro.
Toutefois, les émissions nettes ne traduisent pas la demande de billets dans un pays. En France par exemple, à fin juin 2020, les émissions nettes (158,2 mds€) ne correspondent ni au volume de billets circulant sur le territoire (des billets émis par d’autres BCN circulent en France), ni aux billets émis par la France qui circuleraient dans le monde.
… Un zoom sur les premiers mois de la crise
La détention de billets en euros (émissions nettes) a augmenté en mars 2020, dans des proportions proches de celles observées en octobre 2008 (+36 mds€ contre +43 mds€ en octobre 2008), et ce malgré une baisse déjà significative du volume de transactions (entre le 16 et le 31 mars, le nombre de paiements interbancaires par carte chutait de 43%). Cette forte croissance de la détention de billets en euros a résulté d’un écartement brusque et de courte durée entre les flux de prélèvements et de versements de billets aux guichets des banques centrales nationales (BCN). L’écart entre les deux est ainsi passé de 5 à 36 mds€ en un mois. Cette hausse a été soutenue par les coupures de haute dénomination, notamment en en Allemagne.
Depuis avril, l’évolution des émissions nettes en euros se rapproche de la tendance de long terme. Elles ont ainsi augmenté de 11 mds€ en juin, à comparer avec une hausse mensuelle moyenne d’environ 8 mds€ sur les deux dernières années.
Le recul historique est encore trop faible pour dire dans quelle mesure les effets de substitution entre moyens de paiement sont accélérés par la crise et s’il y aura effet d’hystérèse (Ashworth, Goodhart, 2020). Toutefois, les transactions sans contact ont plus que doublé en valeur en Juin par rapport au même mois l’année précédente. En parallèle, les paiements par carte avec contact diminuaient d’environ 10% et les retraits d’espèces de 15%.
… Un pic induit par des facteurs domestiques
Dans la semaine du 16 au 22 mars, on a enregistré 18,8 mds d’euros de sorties nettes.
Deux facteurs ont joué :
- Un surplus d’achats et de retraits aux automates. Les versements de billets ont ensuite baissé très vite suite à la fermeture des commerces.
- Un pic de thésaurisation domestique. Les banques ont conforté leurs encaisses en espèces, en prévention d’une interruption éventuelle des circuits d’approvisionnement, notamment en Allemagne. Les particuliers ont également retiré des montants plus importants que d’habitude, en anticipation des restrictions de déplacement.
En revanche, contrairement aux précédentes crises, la demande non résidente de billets en euros a peu contribué à la hausse des sorties nettes. Cela tient probablement aux difficultés du fret aérien dans le contexte de la crise sanitaire.
Existe-t-il des spécificités liées aux différentes dénominations en France ?
On évalue ici les sorties nettes réelles pour chacune des dénominations entre les premiers trimestres des années 2003 et 2020.
Sources : BdF et CIS de l’Eurosystème
Les sorties nettes semblent résulter de facteurs spécifiques. La crise de 2008 se distingue par une poussée des hautes dénominations (100, 200 et 500€, cf. Graphique 2). En revanche, celles-ci, en net recul depuis 2012, n’ont pas marqué de reprise significative lors de la crise sanitaire. La coupure de 50€, très demandée en 2008, est le principal moteur des sorties nettes françaises depuis 2014. Utilisée à la fois à des fins de transaction et de thésaurisation, sa part a continué d’augmenter pendant la crise sanitaire. D’une manière générale, la part en valeur des billets de 10 et 20€, surtout destinés aux usages transactionnels, décline.
Source : calculs des auteurs Note : les cases en bleu indiquent l’existence d’une causalité : plus celles-ci sont foncées, plus la relation est significative. EPU : Economic Policy Uncertainty
L’analyse de causalité souligne que les nouveaux moyens de paiement tendent à se substituer aux petites dénominations. Celles-ci sont également sensibles à l’incertitude économique, mesurée par l’EPU, cf Graphique 3). La coupure de 50€ réagit aux taux courts, à la production industrielle et à la confiance des ménages. De leur côté, les hautes dénominations réagissent aux prix de matières premières (or, brent), aux taux de change réels (arbitrage international), aux taux courts, mais aussi à l’économie informelle (trafic de stupéfiants, …).
Par ailleurs, toutes coupures confondues, seuls les indicateurs d’incertitude et le taux de change ont un effet causal significatif. Enfin, il est judicieux de comparer les effets de chocs exogènes sur la demande de billets.
Y-a-t-il une marge pour arbitrer entre la détention de monnaie et celle d’actifs ?
On utilise ici un modèle vectoriel autorégressif (VAR), un système dynamique d’équations dans lequel chaque variable est expliquée par ses propres valeurs passées et par celles des autres variables du modèle. Le VAR est appliqué aux composantes cycliques du total de billets, de la consommation privée et du taux de rémunération des dépôts de maturité à un an. S’intéresser aux fluctuations cycliques de ces variables autour de leur tendance permet d’évaluer les effets de divers chocs issus des cycles économiques sur la demande d’espèces (cf Graphique 4).
Selon nos estimations, un choc positif sur la consommation privée se traduit par une augmentation de la demande de billets sur 6 trimestres. À l’opposé, le même type de choc sur le taux des dépôts à 1 an entraîne une baisse de la demande de billets sur également 6 trimestres. L’arbitrage entre détention de monnaie (optique de transaction) et actifs financiers (moins liquides mais source de rentabilité) reste donc pregnant.
Si la dimension transactionelle des espèces s’atténue, elle n’a pas totalement disparu. En revanche, il apparait que le moteur principal de la demande de monnaie est devenu le motif de précaution. Malgré leur niveau actuel, les taux d’intérêt restent un véritable coût d’opportunité à la détention d’espèces. En résumé, les évolutions fiduciaires des premiers mois de la crise sanitaire devront être analysées à l’aune des facteurs explicatifs traditionnels. La forte progression des paiements par carte sans contact pourrait ainsi accélérer la substitution des paiements électroniques aux espèces, avec un impact marqué sur les coupures de transaction.
Mise à jour le 25 Juillet 2024