Billet n°211. Depuis le début de la crise sanitaire, la Banque de France et l’INSEE estiment chaque mois la perte d’activité des entreprises, secteur par secteur. Ces enquêtes mensuelles se sont avérées être un baromètre fiable et quasiment en temps réel de l’effet des restrictions. Parallèlement, nos deux institutions ont lancé un travail commun, différent et complémentaire sur le plan méthodologique : il est fondé ex post sur les chiffres d’affaires réels des entreprises (mesurés par les déclarations de TVA), il compare le « choc d’activité » à un contrefactuel qu’aurait été le chiffre d’affaires en l’absence de choc sanitaire, et il permet une analyse plus fine infrasecteur. Ce blog en présente les premiers résultats, cohérents avec nos enquêtes mensuelles. Ils seront ensuite prolongés par une analyse ex post de la situation de trésorerie et financière des entreprises.
De mars à décembre 2020, la crise sanitaire a fortement affecté l’activité des entreprises : leur chiffre d’affaires a subi un choc estimé à plus de 15 % en moyenne sur cette période, par rapport à la situation simulée qui aurait prévalu en l’absence de crise. Analyser les données individuelles d’entreprises fait ressortir à la fois la disparité du choc selon les secteurs, certains ayant été très affectés, mais aussi la variété des trajectoires/situations d’entreprises, certaines étant parvenues à limiter la baisse de leur activité.
Les mesures de restriction sanitaire qui se sont généralisées dans la plupart des pays à partir du mois de mars 2020 ont provoqué une baisse de l’activité économique mondiale. Mesurée au niveau macro-économique, l’ampleur du choc est certaine. Mais les tendances décrites par les approches macroéconomiques peuvent masquer des situations individuelles très diverses : parfois plus dégradées, ou au contraire meilleures que ne le laisserait penser la photo d’ensemble.
Les situations économiques et financières des entreprises étant par nature hétérogènes, il faut utiliser les données individuelles pour estimer des chocs d’activité au niveau de chaque entreprise et ainsi mieux comprendre la distribution de ces chocs entre les différentes entreprises, y compris au sein d’un même secteur d’activité. Dans le cas français, ces données sont les déclarations de TVA remises par les entreprises à l’administration fiscale. Elles retracent l’évolution du chiffre d’affaires de chaque entreprise au cours de l’année 2020.
Ces travaux au niveau des entreprises offrent un complément à la vision sectorielle du choc d’activité fournie par les enquêtes de conjoncture de la Banque de France et de l’Insee, les comptes trimestriels ou l’exploitation innovante d’indicateurs d’activité en temps réel (cf. Insee, 2020).
Mesurer tous les mois le choc d’activité au niveau de chaque entreprise
À partir des déclarations de TVA, nous avons construit des séries mensuelles de chiffre d’affaires pour près de 850 000 sociétés non financières (SNF) représentant plus de 75 % de la valeur ajoutée totale des SNF. Le choc d’activité subi par chacune d’entre elles est quantifié en comparant le chiffre d’affaires observé au chiffre d’affaires attendu hors crise, appelé contrefactuel. Ce dernier est d’abord estimé par secteur (hors énergie et finances - niveau A17 de la nomenclature), et par taille d’entreprise (TPE : très petites entreprises, PME : petites et moyennes entreprises, ETI-GE : entreprises de taille intermédiaire/grandes entreprises) au sein de chaque secteur en se basant sur l’activité mensuelle observée de 2014 à 2019. L’activité contrefactuelle au niveau de l’entreprise est ensuite obtenue en ventilant l’activité sectorielle en fonction de l’évolution de la part de marché de chaque entreprise, dans sa catégorie secteur x taille, en prenant en compte la saisonnalité propre de l’activité de l’entreprise et sa dynamique de développement récente.
Un choc d’activité économique brutal et présentant d’importantes différences sectorielles
Le graphique 1 présente le choc d’activité agrégé sur les entreprises. L’évolution obtenue correspond bien à celle de l’activité retracée par les différentes enquêtes de conjoncture et la comptabilité nationale : une perte marquée de chiffre d’affaires de mars à mai 2020 lors du premier confinement, de l’ordre de 27 %, puis une reprise avec un rattrapage seulement partiel de juin à septembre, enfin un relatif maintien de l’activité. Les études conjoncturelles de la Banque de France estiment une perte d’activité comparable sur la même période.
Note : le choc d’activité représente la différence relative entre le chiffre d’affaires observé et le chiffre d’affaires contrefactuel simulé. Le choc est présenté en cumulé sur mars-décembre (courbe rouge), puis selon trois sous-périodes (histogramme) : mars-mai, juin-septembre et octobre-décembre.
Outre une différence d’intensité, les 1er et 2nd confinements diffèrent également par le nombre de secteurs significativement touchés (graphique 2) :
- le 1er confinement (mars-avril) constitue un choc généralisé, qui touche tous les secteurs, mais avec une ampleur variable. L’hôtellerie-restauration ou la fabrication de matériel de transport sont les secteurs les plus affectés. À l’inverse, le secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC) a le mieux résisté ;
- le constat est très différent lors du 2nd confinement (octobre-novembre) durant lequel le choc est plus localisé. Seuls certains secteurs sont touchés de manière significative, tels l’hôtellerie-restauration et les services à la personne (inclus dans les "autres services") tandis que, pour l’essentiel des autres secteurs, l’activité ne baisse que de façon plus limitée. Cet impact tient à la fois à des mesures de confinement moins strictes, et à l’adaptation des entreprises à ces nouvelles conditions d’activité à la suite du premier confinement.
Au-delà du choc sectoriel, des situations individuelles contrastées
Pour apprécier la variété des trajectoires individuelles en 2020, il faut la mettre en regard de ce qui se passe une année "normale". En effet, même en l’absence de choc majeur on observe une grande hétérogénéité d’évolution entre secteurs ainsi qu’entre entreprises d’un même secteur. Mais avec la crise de 2020, cette diversité de trajectoires est amplifiée.
Les deux graphiques 3a et 3b illustrent ces points. Le premier (3a) présente par secteur d’activité les principaux quantiles de la distribution des chocs d’activité en 2020, année exceptionnelle. Le second (3b) montre ces mêmes indicateurs lors d’une année "normale", en l’occurrence l’année 2019. Les chocs y apparaissent significativement dispersés. La médiane est relativement proche de zéro et certaines entreprises ont enregistré des évolutions plus favorables ou défavorables qu’attendu. Même si certains secteurs semblent avoir globalement eu en 2019 une activité meilleure ou moins bonne qu’anticipé par le contrefactuel, les différences entre secteurs ne sont pas massives.
La situation diffère en 2020 (graphique 3a) d’un triple point de vue. D’abord, l’ensemble de la distribution des chocs est translaté vers le bas, ce qui reflète la chute globale de l’activité et une proportion globalement beaucoup plus forte de reculs d’activité / chocs d’activité négatifs. En second lieu, les évolutions diffèrent notablement entre secteurs d’activité. Enfin, la dispersion au sein de chaque secteur est également plus importante en 2020 qu’en année normale.
Une contribution sectorielle un peu renforcée au pic de la crise
La plus forte hétérogénéité intra-sectorielle des chocs d’activité en 2020 peut traduire une plus forte prévalence de chocs de grande ampleur ou une inégale exposition ou adaptation à la crise des entreprises d’un même secteur. Elle peut aussi résulter du fait qu’au sein de certains secteurs d’activité, toutes les entreprises n’ont pas été contraintes de la même manière en 2020 : par exemple, dans le commerce, les décisions de fermetures administratives relèvent d’une définition sectorielle plus fine, fondée sur l’activité principale exercée par l’entreprise.
Pour caractériser la nature et l’importance de l’hétérogénéité sectorielle à un niveau très fin (code d’activité sur 732 positions), la variance globale des chocs individuels peut être décomposée en une composante inter-sectorielle (reflétant la dispersion des chocs entre secteurs à un niveau fin) et une composante intra-sectorielle. Au plus fort de la crise (avril 2020), la dimension sectorielle n’explique pas plus de 20 % de la variance des chocs. La dimension sectorielle joue un rôle nettement plus important que lors d’une année normale (moins de 5 % sur un mois donné en 2019). Cependant, même en raisonnant à ce niveau très granulaire, elle n’explique qu’une part limitée de la dispersion des chocs d’activité. Le rôle du secteur est également plus marqué dans les secteurs davantage contraints par des mesures administratives spécifiques (par exemple, l’hébergement-restauration) que dans ceux qui n’ont été affectés que par des mesures générales : la part de variance expliquée par le secteur en 2020 pour les premiers est 6 fois supérieur à son niveau de 2019 contre seulement 2 fois pour les seconds.
Mieux comprendre les déterminants de la résistance ou de la vulnérabilité des entreprises face à la crise au sein d’un même secteur est une piste prometteuse pour tirer les leçons de cette crise. Les facteurs ayant contribué à la résilience de certaines entreprises (numérisation, localisation, réaménagements du mode d’activité, etc.) sont certainement porteurs d’enseignement plus généraux sur l’évolution souhaitable du tissu économique.
Enfin, du point de vue des politiques publiques, ces constats suggèrent que, si l’appartenance sectorielle joue un rôle plus important que d’habitude, il peut difficilement être le seul critère à considérer pour la définition des politiques de sortie de crise.
Lecture : chaque barre correspond à un secteur. Les différents traits des graphiques correspondent, du bas vers le haut, aux 5e centile, 1er décile, 1er quartile, médiane, 3e quartile, 9e décile et 95e centile. Les chocs sont pondérés par les effectifs des entreprises. En 2020, 5 % des employés du secteur de l’agriculture-pêche travaillaient dans des entreprises ayant subi une baisse d’activité supérieure à 46 %.
Mise à jour le 25 Juillet 2024