Billet n°320. Selon la projection de la Banque de France, l’inflation française mesurée par l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) reviendrait progressivement vers 2% en 2025. Comment cette projection est-elle réalisée ? Ce billet décrit nos principaux outils et montre comment, en combinant modélisation et jugement d’expert, nous produisons des prévisions d’inflation désagrégées et cohérentes avec le scénario macroéconomique d’ensemble.
Source : Inflation IPCH (Indice des prix à la consommation harmonisé), INSEE jusqu’au 1er trimestre 2023, projections Banque de France sur fond grisé
L’inflation française reviendrait progressivement vers 2% en 2025
Au cours de l’année 2023, en l’absence de nouveau choc, l’inflation totale diminuerait nettement sur la deuxième partie de l’année selon nos Projections macroéconomiques de juin 2023. Elle s’établirait à 5,6 % en moyenne annuelle, mais serait à 4,0% en glissement annuel au quatrième trimestre 2023 (Figure 1). Ce recul marqué de l’inflation totale au second semestre 2023 viendrait principalement du ralentissement des prix de l’alimentation après celui des prix de l’énergie au premier semestre.
En 2024, avec l’accalmie des prix des matières premières (énergétiques et alimentaires), la contribution principale à l’inflation viendrait des prix des services, soutenus par les hausses retardées des salaires. En 2025, l’inflation totale continuerait de refluer sous le double effet de la poursuite de la normalisation des prix des matières premières, mais aussi de l’impact progressif du durcissement de la politique monétaire sur l’inflation sous-jacente. En particulier, les hausses des prix des services commenceraient à ralentir en lien avec des revalorisations salariales nominales moins marquées que les années précédentes.
MAPI, un modèle d’inflation désagrégé au cœur de nos outils
Les prévisionnistes de la Banque de France utilisent une palette d’outils pour réaliser les projections d’inflation, centrée autour du modèle d’analyse et de projection d’inflation, ou MAPI (Ulgazi & Vertier, 2022). À partir d’une approche désagrégée, c’est-à-dire composante par composante, ce modèle permet de prévoir à l’horizon 12 mois l’évolution des prix des quatre grands agrégats que sont l’alimentation, l’énergie, les biens industriels et les services. Ce modèle répond aux besoins de l’Eurosystème de disposer de projections mensuelles à l’horizon d’un an et de projections trimestrielles à l’horizon de trois ans réalisées par les banques centrales nationales.
À très court terme d’abord, c’est-à-dire à l’horizon de trois mois, nous réalisons des projections d’inflation pour des composantes très fines telles que les fruits, les carburants ou les transports aériens et ferroviaires. Plus précisément, vingt composantes désagrégées sont prévues. Nous nous fondons pour cela sur les informations économiques récentes (prix à la production, documents budgétaires, fédérations professionnelles), qui nous informent entre autres sur les aléas climatiques, les révisions de tarifs publics ou taxes, ou les négociations entre les producteurs et les distributeurs dans l’agro-alimentaire, informations utiles pour prévoir les prix à court terme. Nous tenons compte également de la saisonnalité que nous adaptons au contexte de chaque prévision. Par exemple, pour le transport aérien, les billets d’avion sont plus chers en été ou à l’approche des fêtes de fin d’année et il peut être nécessaire de renforcer cet effet en cas de prix du pétrole élevé.
À un horizon d’un an, notre modèle de projection porte sur des agrégats de taille plus importante, comme les produits manufacturés ou les services. Les projections d’inflation se décomposent cette fois en douze agrégats. La prévision repose en grande partie sur les équations économétriques de notre modèle MAPI. Celui-ci permet de s’appuyer à la fois sur des relations théoriques robustes, comme par exemple le lien entre le prix des services et les coûts salariaux, et sur des estimations économétriques qui permettent au modèle de « coller aux données » (Kalantzis & Ouvrard, 2018). Nos projections intègrent également le contexte international et notamment des hypothèses de prix à terme des matières premières alimentaires et énergétiques sur les marchés mondiaux, hypothèses qui sont communes à l’ensemble de l’Eurosystème (A guide to the Eurosystem/ECB staff macroeconomic projection exercises, 2016) .
Une projection d’inflation nourrie par du jugement et par un apprentissage des erreurs passées
Au-delà de la projection mécanique issue du modèle, la prévision est abondamment nourrie par du jugement d’expert. En effet, nous devons toujours tenir compte des chocs qui peuvent être spécifiques à une période donnée comme la perturbation des chaines d’approvisionnement ou de certaines politiques pour répondre à ces chocs, comme le bouclier tarifaire énergétique. Ces différents éléments nécessitent une compréhension fine, qui ne passe pas nécessairement par un modèle, ce dernier s’appuyant essentiellement sur des régularités historiques. Cela permet aussi de rappeler l’essentiel : les projections d’inflation sont d’abord le fait d’une équipe de prévisionnistes, qui utilise des modèles robustes et cohérents, mais qui se fonde aussi sur son appréciation la plus complète possible de la réalité économique.
Les chocs exogènes qui ont affecté l’économie mondiale depuis 2020 ont conduit à des erreurs de prévision plus importantes que les années précédentes. La pandémie de Covid-19 a créé un choc désinflationniste, conduisant à une surestimation de l’inflation, notamment pour les composantes liées à la mobilité (services de transports, produits pétroliers). A l’inverse, la reprise économique post-Covid puis la guerre en Ukraine ont contribué à une forte hausse non anticipée des prix des matières premières énergétiques et alimentaires conduisant à une sous-estimation de l’inflation pour ces composantes volatiles. À chaque fois, ces erreurs de prévisions sont analysées dans le but d’affiner le jugement des prévisionnistes pour les projections ultérieures.
Une projection d’inflation cohérente avec notre scénario macroéconomique
Au-delà d’un horizon d’un an, nous continuons à utiliser notre modèle de prévision d’inflation « MAPI » tout en donnant un rôle accru aux interactions avec notre scénario macroéconomique d’ensemble. Celui-ci repose en particulier sur notre modèle semi-structurel « FR-BDF » (Lemoine et al., 2019), qui nous permet de réaliser à un horizon de trois ans des projections détaillées sur les grandeurs macroéconomiques dites « réelles » telles que le PIB, l’emploi, la consommation et le revenu des ménages. Grâce à FR-BDF, nous pouvons aussi prévoir les variables dites « nominales », en particulier les salaires, qui dépendent notamment de l’évolution anticipée du taux de chômage. Dans la pratique, nous combinons les avantages de nos deux modèles, c’est-à-dire le niveau de détail et la fiabilité des prévisions de MAPI sur les différentes composantes de l’inflation, avec la cohérence macroéconomique et la robustesse du modèle FR-BDF sur un horizon temporel de moyen terme.
Source : auteur
Plus précisément, nous faisons communiquer les deux modèles dans un cadre cohérent : le modèle FR-BDF projette les variables macroéconomiques telles que les salaires ou le taux de chômage et les envoie à MAPI, qui lui fournit en retour sa prévision d’inflation IPCH, garantissant ainsi un plein bouclage entre les dynamiques des sphères réelle et nominale de l’économie.
Ainsi, à moyen terme, nos projections d’inflation sont essentiellement déterminées par l’évolution de notre scénario macroéconomique. En particulier, la dynamique des salaires, principal déterminant des prix des services, joue un rôle essentiel pour l’inflation totale à moyen terme.
Enfin, nous utilisons également des courbe de Phillips (voir Berson et alii, 2018) pour nous assurer de la cohérence de nos projections d’inflation. En effet, en comparant notre prévision d’inflation désagrégée à des relations statistiques estimées entre variables macroéconomiques (taux de chômage, prix d’importation), nous vérifions que nos diagnostics sur les composantes désagrégées sont cohérents avec l’évolution des variables macroéconomiques d’intérêt pour l’évolution des prix.
Mise à jour le 25 Juillet 2024