Note : Démissions (établissements de plus de 10 salariés) = données trimestrielles ; changements d’emploi = données annuelles (Berson et al. 2020) ; périodes grisées = évolution négative du PIB en volume.
Salaires et changements d’emploi
La relation empirique négative entre l’évolution des salaires nominaux et le taux de chômage est connue sous le nom de courbe de Phillips. Une diminution du chômage augmenterait le pouvoir de négociation des salariés, ce qui pousserait les salaires à la hausse, et inversement.
Depuis quelques temps, cette corrélation est sujette à débat. Entre le début des années 1970 et jusqu’au milieu des années 1990, on a observé une diminution du coefficient de la relation, appelée dépentification de la courbe de Phillips. Il est depuis resté stable, menant à une courbe relativement plate (Rue de la banque n°56, février 2018). Aux États-Unis, d’après Moscarini et Postel-Vinay (2016), la courbe de Phillips aurait même disparu. En revanche, ces auteurs mettent en avant une forte corrélation entre l’évolution des salaires d’une part, et le taux des démissions et des changements d’emploi d’autre part. En effet, les individus quittent généralement leur précédent emploi s’ils reçoivent une meilleure offre en termes de revenus ou de meilleures conditions de travail. Ainsi, les flux d’emploi à emploi mènent à une hausse des salaires nominaux des agents qui changent d’emploi. Ces mêmes flux peuvent également avoir un impact sur le salaire des individus qui ne changent pas d’emploi : les employeurs vont avoir tendance à augmenter les salaires de leurs employés pour les inciter à rester dans leur entreprise.
Les changements d’emploi n’étant généralement identifiables qu’avec retard, le temps de compiler les données, ils peuvent être approchés par le taux de démission dans l’économie. Ce taux peut être vu comme un indicateur de la croissance des salaires nominaux (voir Faberman et Justiniano, 2015 pour les États-Unis). En effet, les individus qui changent d’emploi démissionnent en général de leur précédent emploi et rejoignent directement un nouveau, sans passer par le chômage ou une sortie du marché du travail.
En France, les salaires sont corrélés aux démissions
Cette relation entre changements d’emploi et dynamique des salaires s’observe également en France.
En se limitant aux personnes ayant un emploi de plus d’un an, le salaire des personnes changeant d’emploi est généralement supérieur à celui des personnes restant dans le même emploi. Berson et al. (2020) ont en effet montré que les flux d’un emploi à un autre ont un lien substantiel avec la dynamique des salaires : toute choses égales par ailleurs, sur la période 1995-2015, le salarié français qui a changé d’emploi a gagné en moyenne 1,8 point de pourcentage de salaire en plus que s’il n’avait pas changé d’emploi. L’évolution des salaires reste néanmoins corrélée au taux de chômage départemental à travers les salaires des personnes changeant d’emploi car une augmentation d’un point de pourcentage du taux de chômage réduit le gain salarial d’un changement d’emploi de 0,23 point de pourcentage. La réaction moins importante des salaires aux changements d’emploi et l’impact significatif du taux de chômage en France par rapport aux États-Unis (voir Hahn et al. 2021) sont notamment dus au fait que les changements d’emploi sont moins fréquents en France, en raison de différences structurelles entre les deux économies et d’un marché du travail plus rigide.
Le taux de démissions et la dynamique des salaires sont également corrélés en France. Le graphique 1 montre le co-mouvement des changements d’emploi et des démissions, avec des vagues de démissions et de changements d’emploi pendant les périodes de croissance économique, et un reflux lors des périodes de stagnation ou récessions, matérialisées par les zones grisées. Les deux séries sont effectivement cycliques : les individus sont plus susceptibles de changer d’emploi lorsque la conjoncture économique est favorable et que davantage d’offres d’emplois sont disponibles. Les entreprises sont également plus susceptibles d’offrir des salaires plus élevés pour attirer des candidats. Ces salaires élevés constituent une incitation pour les individus à changer d’emploi. En période de récession, on observe l’effet inverse : les offres d’emploi sont moins nombreuses, les individus ont un pouvoir de négociation plus faible et démissionnent moins. On observe effectivement en France des pics de démissions lors des périodes de reprise économique.