Mise en ligne le 6 Avril 2023
Auteurs : Clémence Berson, Elisa Busson

Billet n°313. Les changements d’emploi permettent généralement aux salariés d’améliorer leur salaire ou leurs conditions de travail. Ils sont donc un facteur important de la dynamique des salaires. Les démissions, indiquant souvent un changement d’emploi, peuvent être utilisées dans les prévisions de l’évolution des salaires et de l’inflation.

Image Évolution des taux de démission et de changements d’emploi en France
Graphique 1 : Évolution des taux de démission et de changements d’emploi en France
Source : DARES, INSEE, calculs des autrices.

Note : Démissions (établissements de plus de 10 salariés) = données trimestrielles ; changements d’emploi = données annuelles (Berson et al. 2020) ; périodes grisées = évolution négative du PIB en volume.

Salaires et changements d’emploi

La relation empirique négative entre l’évolution des salaires nominaux et le taux de chômage est connue sous le nom de courbe de Phillips. Une diminution du chômage augmenterait le pouvoir de négociation des salariés, ce qui pousserait les salaires à la hausse, et inversement.

Depuis quelques temps, cette corrélation est sujette à débat. Entre le début des années 1970 et jusqu’au milieu des années 1990, on a observé une diminution du coefficient de la relation, appelée dépentification de la courbe de Phillips. Il est depuis resté stable, menant à une courbe relativement plate (Rue de la banque n°56, février 2018).  Aux États-Unis, d’après Moscarini et Postel-Vinay (2016), la courbe de Phillips aurait même disparu. En revanche, ces auteurs mettent en avant une forte corrélation entre l’évolution des salaires d’une part, et le taux des démissions et des changements d’emploi d’autre part. En effet, les individus quittent généralement leur précédent emploi s’ils reçoivent une meilleure offre en termes de revenus ou de meilleures conditions de travail. Ainsi, les flux d’emploi à emploi mènent à une hausse des salaires nominaux des agents qui changent d’emploi. Ces mêmes flux peuvent également avoir un impact sur le salaire des individus qui ne changent pas d’emploi : les employeurs vont avoir tendance à augmenter les salaires de leurs employés pour les inciter à rester dans leur entreprise.

Les changements d’emploi n’étant généralement identifiables qu’avec retard, le temps de compiler les données, ils peuvent être approchés par le taux de démission dans l’économie. Ce taux peut être vu comme un indicateur de la croissance des salaires nominaux (voir Faberman et Justiniano, 2015 pour les États-Unis). En effet, les individus qui changent d’emploi démissionnent en général de leur précédent emploi et rejoignent directement un nouveau, sans passer par le chômage ou une sortie du marché du travail.

En France, les salaires sont corrélés aux démissions

Cette relation entre changements d’emploi et dynamique des salaires s’observe également en France.

En se limitant aux personnes ayant un emploi de plus d’un an, le salaire des personnes changeant d’emploi est généralement supérieur à celui des personnes restant dans le même emploi. Berson et al. (2020) ont en effet montré que les flux d’un emploi à un autre ont un lien substantiel avec la dynamique des salaires : toute choses égales par ailleurs, sur la période 1995-2015, le salarié français qui a changé d’emploi a gagné en moyenne 1,8 point de pourcentage de salaire en plus que s’il n’avait pas changé d’emploi. L’évolution des salaires reste néanmoins corrélée au taux de chômage départemental à travers les salaires des personnes changeant d’emploi car une augmentation d’un point de pourcentage du taux de chômage réduit le gain salarial d’un changement d’emploi de 0,23 point de pourcentage. La réaction moins importante des salaires aux changements d’emploi et l’impact significatif du taux de chômage en France par rapport aux États-Unis (voir Hahn et al. 2021) sont notamment dus au fait que les changements d’emploi sont moins fréquents en France, en raison de différences structurelles entre les deux économies et d’un marché du travail plus rigide.

Le taux de démissions et la dynamique des salaires sont également corrélés en France. Le graphique 1 montre le co-mouvement des changements d’emploi et des démissions, avec des vagues de démissions et de changements d’emploi pendant les périodes de croissance économique, et un reflux lors des périodes de stagnation ou récessions, matérialisées par les zones grisées. Les deux séries sont effectivement cycliques : les individus sont plus susceptibles de changer d’emploi lorsque la conjoncture économique est favorable et que davantage d’offres d’emplois sont disponibles. Les entreprises sont également plus susceptibles d’offrir des salaires plus élevés pour attirer des candidats. Ces salaires élevés constituent une incitation pour les individus à changer d’emploi. En période de récession, on observe l’effet inverse : les offres d’emploi sont moins nombreuses, les individus ont un pouvoir de négociation plus faible et démissionnent moins. On observe effectivement en France des pics de démissions lors des périodes de reprise économique.

Image Taux de démission et évolution d’indicateurs de salaire en France
Graphique 2 : Taux de démission et évolution d’indicateurs de salaire en France
Source : Dares, Insee.

Note : Données trimestrielles ; les démissions et le SMB portent sur les établissements de plus de 10 salariés ; les évolutions sont en glissement annuel.

Le graphique 2.A et le tableau 1 montrent une corrélation d’environ 49 % entre la part des démissions dans l’emploi total et l’évolution du salaire mensuel de base (SMB), en variation d’une année sur l’autre. Le SMB ne comprend ni les primes (sauf, le cas échéant, la prime liée à la réduction du temps de travail), ni les heures supplémentaires. Il s’agit d’un salaire brut, avant déduction des cotisations sociales et avant versement des prestations sociales. La corrélation est la plus forte lorsqu’on utilise le taux de démissions, retardé d’un an par rapport au SMB (70 %). Ce coefficient de corrélation est proche mais légèrement inférieur à celui observé aux États-Unis (78 %). La corrélation avec le salaire moyen par tête (SMPT) est plus forte encore lorsque les deux indicateurs sont contemporains. Le SMPT est, lui, issu de la comptabilité nationale et rapporte les masses salariales brutes versées par l’ensemble des employeurs au nombre de salariés en personnes physiques. La part des démissions dans l’emploi total et l’indice de coût du travail, c’est-à-dire le coût moyen d’un salarié pour une entreprise, sont également corrélés (67 %) mais cette corrélation a eu tendance à décroître dans le temps (Graphique 3 et tableau 1).

Image Évolution du taux de démissions et du coût du travail unitaire en France
Graphique 3 : Évolution du taux de démissions et du coût du travail unitaire en France
Source : DARES et Insee, calculs des autrices.

Note : Données trimestrielles ; les démissions portent sur les établissements de plus de 10 salariés ; les évolutions sont en glissement annuel.

Ces liens entre le taux de démission, d’une part, le salaire de base et le coût du travail, d’autre part, nous amène à poser la question de sa relation avec l’inflation. En effet, le coût du travail faisant partie des coûts de production d’une entreprise, une hausse des coûts de production peut être transmise aux prix et avoir un impact sur le taux d’inflation. En outre, les individus consomment en fonction de leurs revenus : si ceux-ci augmentent, leur demande de biens et services augmente également, pouvant générer de l’inflation. Ainsi, le taux de démission dans l’économie pourrait être corrélé à l’inflation et en constituer un indicateur avancé.

La corrélation entre l’inflation et les démissions

Nous nous intéressons à la relation entre le taux de démission et l’inflation dite sous-jacente, ne prenant pas en compte les variations des prix les plus volatils qui sont ceux de l’énergie et l’alimentation (graphique 4).

La corrélation entre la part des démissions dans l’emploi total et l’inflation sous-jacente atteint son maximum lorsque l’indicateur des démissions est retardé de quatre trimestres (à 73 % sur données françaises). Ce test statistique indique que la part des démissions des trimestres passés peut aider à prévoir l’évolution de l’inflation.

Image Évolution du taux de démission et de l’inflation en France
Graphique 4 : Évolution du taux de démission et de l’inflation en France
Source : DARES, Eurostat.

Note : Les démissions portent sur les établissements de plus de 10 salariés ; les évolutions sont en glissement annuel.

Faberman et Justiniano (2015) ont montré qu’aux États-Unis, il existe une corrélation de 94 % entre le taux de démission et l’évolution des salaires (indice du coût du travail) deux trimestres plus tard et 53 % avec l’écart entre l’inflation actuelle et l’inflation de long terme. Cela suggère que les variations de la part des démissions dans l’emploi total mènent à des changements dans l’évolution des salaires et de l’inflation six mois à un an plus tard.

En France, les résultats sont moins tranchés mais on observe également une causalité statistique au sens de Granger indiquant que le taux de démission peut aider à prévoir l’évolution des salaires et, donc, l’inflation. En revanche, l’inverse ne s’observe pas : l’évolution des salaires ne prédit pas le taux de démission.

Image Corrélation entre taux de démission, évolution des salaires et écart d’inflation
Tableau 1 : Corrélation entre taux de démission, évolution des salaires et écart d’inflation
Source : Calculs des autrices basés sur des données DARES, Insee et Eurostat.

Note : Période du T4 1999 au T4 2019 ; évolution en glissement annuel.