Bloc-notes Éco

Avantages des cibles d’inflation ponctuelles et inconvénients des zones cibles et bandes de tolérance

Mise en ligne le 15 Mars 2022

Billet n°261. L’objectif d’inflation d’une banque centrale peut être formulé en utilisant une cible ponctuelle, une zone cible ou une combinaison des deux avec des bandes de tolérance autour d’une cible ponctuelle. Dans ce billet, nous montrons les inconvénients d’une zone cible pour l’ancrage des anticipations d’inflation et la stabilisation macroéconomique. L’analyse conforte ainsi l’adoption par la BCE d’une cible d’inflation ponctuelle claire et symétrique de 2 %.

Image Graphique 1 : Objectifs d’inflation, T2 2020 Source : Sites internet des banques centrales, illustration des auteurs.
Graphique 1 : Objectifs d’inflation, T2 2020 Source : Sites internet des banques centrales, illustration des auteurs.

Notes : Objectifs d’inflation des banques centrales ayant adopté un ciblage de l’inflation et des États-Unis. La BCE n’est pas représentée, car jusqu’en 2021, son objectif n’entrait pas dans les catégories proposées.

L’objectif d’inflation : des formulations très diverses à travers le monde

Le succès de la stratégie de ciblage de l’inflation depuis le début des années 1990 a banalisé la formulation quantitative de l’objectif d’inflation d’une banque centrale. Si de nombreux pays ont adopté une définition numérique précise depuis des décennies, aucune manière unique de formuler l’objectif d’inflation ne s’est imposée. Alors que certaines banques centrales annoncent une zone cible pour l’inflation, d’autres ont une cible ponctuelle précise. Des versions hybrides sont également répandues, comme une bande autour d’un point focal, ou une cible ponctuelle avec une bande de tolérance explicite. En juillet 2021, la BCE a annoncé qu’une cible d’inflation de 2 % était mieux adaptée à son objectif de stabilité des prix à moyen terme. Le graphique 1 présente les formulations des cibles dans 40 pays début 2020.

L’adoption d’une bande de tolérance a également été étudiée dans le contexte des revues de la stratégie de la Fed et de la BCE (cf. notamment le chapitre 3 dans Occasional Paper "The ECB's price stability framework: past experience, and current and future challenges"). Une bande autour d’une cible ponctuelle pourrait sembler séduisante, car elle reflète explicitement l’incertitude des taux d’inflation à court terme, qui sont affectés avec un décalage par la politique monétaire.

Si le concept de cible ponctuelle est facile à comprendre, une taxonomie récente indique qu’il existe au moins trois interprétations différentes des zones cibles ou bandes de tolérances (Chung et al 2020). Premièrement, des bandes explicites peuvent refléter une incertitude quant aux chiffres de l’inflation à court terme et leur contrôle imparfait. Deuxièmement, une zone cible pourrait indiquer l’indifférence de la banque centrale quant aux réalisations de l’inflation à l’intérieur de la zone. Troisièmement, les bandes ou zones opérationnelles peuvent indiquer dans quelle mesure une banque centrale prévoit de suivre des objectifs secondaires en cas d’arbitrage sur l’inflation. Dans la pratique, les bandes sont le plus souvent utilisées pour signaler l’incertitude relative à l’inflation à court terme, tandis que les véritables zones cibles d'indifférence sont très rares.

Évaluation empirique : une zone cible réduit l’ancrage des anticipations d’inflation

Le but d’un objectif d’inflation est d’ancrer les anticipations d’inflation au niveau souhaité en dévoilant les intentions des décideurs politiques. Il n’est pas clair en théorie que de telles zones cibles et bandes explicites améliorent cet ancrage. D’un côté, la banque centrale pourrait gagner en crédibilité en révélant explicitement l’incertitude entourant l’inflation à court terme. D’un autre côté, les bandes explicites pourraient être interprétées à tort comme de véritables zones cibles d’indifférence ou opérationnelles, même si l’intention des responsables de la politique monétaire est de signaler que le réglage fin de l’inflation est impossible à court terme. Dans ce cas, l’anticipation d’inflation à plus long terme pourrait être ramenée à l’intérieur de la bande, affaiblissant ainsi l’ancrage des anticipations.

Dans une nouvelle étude empirique, Ehrmann (2021) conclut que la transmission de l’inflation réalisée aux anticipations d’inflation à court terme est plus faible dans les pays ayant adopté une zone cible que dans ceux utilisant des formulations de cibles ponctuelles ou hybrides. Si ces résultats suggèrent un meilleur ancrage des anticipations d’inflation pour les zones cibles d’inflation, le niveau de cet ancrage reste une question ouverte.

Dans une analyse empirique complémentaire, Grosse-Steffen (2021) constate que par rapport aux zones cibles, les cibles ponctuelles et hybrides sont associées à une probabilité nettement plus élevée que les prévisionnistes professionnels situent l’inflation dans un intervalle étroit autour du (point central) de la cible (zone). L’impact d’un point focal numérique explicite est d’ampleur comparable pour différents horizons de prévision de deux à six ans. De plus, lors de périodes de déviations persistantes de l’inflation réalisée par rapport à la cible, les prévisions extrêmes ou "valeurs aberrantes" sont moins fréquentes. De fait, les cibles ponctuelles atténuent au maximum la hausse des prévisions "aberrantes", contribuant à l’ancrage solide des anticipations même en périodes de turbulences. Les résultats empiriques sont cohérents avec le fait que les prévisionnistes interprètent les bandes, au moins dans une certaine mesure, comme des zones où la politique monétaire est moins active, soit en raison d’une indifférence aux chiffres de l’inflation à l’intérieur de la bande, soit en raison d’une priorité relative plus élevée accordée à des objectifs secondaires.

Une évaluation fondée sur un modèle : une zone cible d’inflation détériore la stabilité macroéconomique

Après analyse des effets des formulations des cibles sur la formation des anticipations, quelles seraient les implications sur les résultats macroéconomiques ? Une approche par modélisation comparant un objectif avec une zone cible d’inflation et un objectif ponctuel peut apporter un éclairage.

L’objectif avec une zone cible d’inflation correspond au cas où la banque centrale réagit moins fortement lorsque l’inflation se situe à l’intérieur d’une zone autour de la cible que lorsqu’elle est à l’extérieur. De plus, il est possible de faire varier le degré d’asymétrie avec lequel la banque centrale réagit à l’écart d’inflation entre l’intérieur et l’extérieur de la zone.

Le modèle nous indique alors quel est l’impact sur la stabilité macroéconomique. Globalement, Le Bihan et al. (2021) montrent que les zones d’inaction – c’est-à-dire un degré de réaction excessivement faible à l’écart d’inflation à l’intérieur d’une zone cible – peuvent être déstabilisantes, car elles peuvent générer des fluctuations macroéconomiques supplémentaires sans lien avec les fondamentaux (taches solaires, c’est-à-dire des variables non pertinentes qui coordonnent les anticipations des agents économiques). Ce constat est cohérent avec d’autres études récentes, qui montrent que les zones cibles induisent une volatilité plus forte pour l’inflation et l’activité.

En outre, Le Bihan et al. (2021) mettent en évidence un arbitrage défavorable entre l’activisme à l’intérieur et à l’extérieur de la zone cible : la réaction à l’inflation à l’extérieur doit être très forte pour compenser une diminution, même faible, de la réaction à l’intérieur. Le graphique 2 illustre les conséquences de ce résultat. L’axe des abscisses décrit l’écart entre l’activisme à l’extérieur et à l’intérieur de la zone : le cas limite x = 0 (coin inférieur gauche) correspond à une cible ponctuelle, tandis qu’une augmentation de x représente un activisme plus fort à l’extérieur de la zone qu’à l’intérieur. La ligne bleue représente le niveau de volatilité du taux d’intérêt nécessaire pour garantir un niveau donné de volatilité de l’inflation, quand nous faisons varier l’asymétrie de la réaction entre l’extérieur et l’intérieur de la zone. Cela entraîne une hausse non désirée de la volatilité de l’écart de production (en violet). On peut en conclure que les zones cibles d’inflation ont des effets déstabilisants du point de vue macroéconomique.

En particulier, l’adoption d’une cible d’inflation symétrique de 2 % à moyen terme a été l’une des conclusions de la Revue de la stratégie.

Image Graphique 2 : Volatilités des variables macroéconomiques en fonction d’une différence de réaction
Graphique 2 : Volatilités des variables macroéconomiques en fonction d’une différence de réaction. Source : Le Bihan et al. (calculs des auteurs)

Note : Hausse relative de la volatilité des taux d’intérêt (%, échelle de gauche) et volatilité de l’écart de production (%, échelle de droite) garantissant un niveau de volatilité donné pour l’inflation.