Bulletin de la Banque de France

Transition vers la neutralité carbone : quels effets sur la stabilité des prix ?

Mise en ligne le 5 Avril 2023
Auteurs : Stéphane Dees, Annabelle De Gaye, Camille Thubin, Oriane Wegner

Bulletin n°245, article 3. Les politiques de transition écologique pourraient avoir des effets sur l’inflation en raison de la hausse des prix de l’énergie ou des intrants industriels, qu’elle soit causée par des augmentations du prix du carbone, des réglementations ou des tensions sur des minéraux critiques nécessaires aux énergies renouvelables. Le processus de transition écologique pourrait également affecter l’inflation du fait de délais d’ajustement des prix relatifs des biens intensifs en énergie, ou des perturbations économiques liées aux restructurations et adaptations de l’appareil productif. Au total, l’ampleur et la durée des effets de la transition vers la neutralité carbone sur l’inflation dépendront de la stratégie de transition choisie. Si plusieurs scénarios envisageables à court et moyen terme peuvent être inflationnistes, d’autres facteurs sont susceptibles à l’inverse de freiner l’inflation. En outre, plus la transition sera mise en œuvre tôt et de manière graduelle, plus les coûts liés à l’inflation seront faibles.

Image Effets de la transition écologique sur l'inflation en France dans quatre scenarios de court et moyen terme

Le sixième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat des Nations unies (Giec), publié en 2022, constate que les émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine ont continué de croître sur la décennie 2010‑2019. Le retard pris au cours des dernières années en matière d’actions climatiques risque de provoquer une transition écologique abrupte, et potentiellement désordonnée, avec des conséquences économiques importantes sur la croissance et l’inflation.

La hausse du prix des biens et services carbonés par rapport aux prix des autres biens et services est souhaitable pour envoyer un signal dissuasif au consommateur et favoriser la substitution de ces produits par des alternatives décarbonées, faiblement productrices de gaz à effet de serre. Toutefois, elle pourrait aussi se traduire par davantage d’inflation. Ce phénomène, appelé « inflation verte » (ou «  greenflation  »), refléterait la difficulté de réorienter à court et moyen terme les ressources vers des activités durables, mais également l’effet persistant sur les anticipations d’inflation d’une succession de chocs sur le prix de l’énergie.

1. La transition passera par un renchérissement des énergies

Des hausses nécessaires du prix des énergies fossiles

Les effets de la transition écologique sur les prix à la consommation passeront d’abord par l’impact direct du renchérissement de l’énergie. La demande pour les énergies fossiles (pétrole, gaz et charbon) est amenée à se réduire graduellement avec le passage à une économie bas‑carbone, pouvant entraîner des baisses de prix au niveau mondial. À l’inverse, tant que le mix énergétique n’aura pas évolué significativement, une tarification du carbone ambitieuse par rapport aux niveaux actuels renchérira le prix du recours à des combustibles fossiles pour le consommateur final et celui de l’énergie. Les scénarios du Réseau des banques centrales et des superviseurs pour le verdissement du système financier (Central Banks and Supervisors Network for Greening the Financial System, NGFS, 2022) explorent plusieurs trajectoires de transition possibles, plus ou moins ambitieuses, qui produisent des effets différenciés sur le prix des énergies fossiles. Les scénarios de prix du pétrole (cf.  graphique 1) montrent des augmentations assez rapides pour la France, notamment sous l’effet de la hausse du prix explicite et implicite du carbone.

Des pressions à court terme sur le prix de l’électricité et des métaux critiques

Le prix du carbone (prix d’une tonne de CO2 émise dans l’atmosphère) se situait en 2021 autour de dix dollars par tonne au niveau mondial (Pisani‑Ferry, 2021). Les scénarios du NGFS qui limitent le réchauffement sous 2°C prévoient des trajectoires de prix du carbone d’un niveau compris entre 200 et 800 dollars la tonne d’ici 2050, ce qui pourrait engendrer des hausses du prix final de l’électricité selon son mode de production. Avec l’organisation actuelle du marché de gros européen, le prix de l’électricité est lié à celui de la capacité de production marginale (dernière capacité appelée pour assurer l’équilibre du réseau) qui repose généralement sur des énergies thermiques sensibles à la tarification du carbone. Selon nos estimations pour la France, une trajectoire de prix du carbone du type "scénario NGFS neutralité carbone", mais avec une hausse concentrée sur les trois premières années, rehausserait de l’ordre de 0,1 à 0,4 point de pourcentage le glissement annuel de l’indice des prix à la consommation harmonisé, relativement à un scénario de référence sans politique de transition.

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