La plupart des études sur l’évolution à long terme des inégalités adoptent une approche transversale, c’est-à-dire que ces analyses sont basées sur des indicateurs annuels, et ne rendent pas compte des revenus individuels au cours du cycle de vie (Lifetime earnings ou LTE). Bien que les différences de revenus annuels entre femmes et hommes soient bien documentées dans la littérature, on ne dispose que de très peu d’information sur les écarts femmes-hommes sur l’ensemble de leur vie active. Plusieurs facteurs affectant différemment les revenus annuels des femmes et des hommes sont susceptibles d’affecter également leur LTE, par exemple des différences dans leur taux d’activité, leurs nombres d’heures travaillées, leur taux de chômage ou leur salaire horaire moyen.
Pour traiter cette question, Garbinti et al. (2023) calculent les LTE en France à partir de l’Échantillon démographique permanent (EDP) produit par l’INSEE. Ce large panel sociodémographique inclut des données administratives relatives à l’emploi fournies par les entreprises, et permet de suivre les rémunérations des salariés sur la période 1967-2017. Afin d’atténuer un éventuel biais lié de sélection, l’échantillon est sélectionné de manière à cibler des personnes présentant un lien suffisant avec le marché du travail (c’est-à-dire gagnant au moins un seizième du salaire minimum sur au moins la moitié de la période comprise entre 25 et 55 ans) et encore en vie à 55 ans. Pour chaque personne, le LTE correspond à la moyenne des revenus annuels entre 25 et 55 ans. Cette période de 31 ans, la « vie active », est disponible pour les personnes nées entre 1942 et 1962, la cohorte la plus jeune atteignant 55 ans en 2017. Dans cette analyse, une cohorte est identifiée par l’année de son 25e anniversaire. Le cadre méthodologique suit Guvenen et al. (2022) afin de fournir des comparaisons pertinentes entre les cas français et américain. Cette comparaison avec les États-Unis est particulièrement intéressante dans la mesure où la France se caractérise à la fois par un niveau plus faible d’inégalités transversales (par exemple, Alvaredo et al. (2018), Garbinti et al. (2018) ) et une mobilité du revenu limitée (Aghion et al. (2023), Kramarz et al. (2022)).
L’écart entre genres au cours de la vie active s’est réduit entre les cohortes (graphique 1), en France et aux États-Unis. Par exemple, en France, les revenus des femmes calculés en moyenne entre 25 et 55 ans ont atteint un pic à 70 % de ceux des hommes pour les cohortes 1983 et 1985. Ce ratio est passé de 61 % environ à 70 % entre les cohortes 1967 à 1983, alors qu'aux États-Unis, il a fortement augmenté, passant de 41 % environ à 60 % pour ces mêmes cohortes. Cette réduction de l’écart salarial femme-homme aux États-Unis a été étudié dans le détail par Claudia Goldin, lauréate du prix Nobel 2023 (cf. par exemple Goldin (2014)).
Pour toutes les cohortes, les LTE des femmes exprimés en pourcentage de ceux des hommes sont beaucoup plus élevés en France qu’aux États-Unis. La réduction de l'écart entre les genres résulte cependant de dynamiques très différentes entre les deux pays.
Contrairement aux États-Unis, les tendances diffèrent peu entre hommes et femmes en France
Aux États-Unis, la réduction de l'écart entre femmes et hommes reflète des tendances distinctes selon le genre. Le graphique 2 présente la dynamique des LTE pour les États-Unis, avec des pertes importantes pour les hommes (– 10 %) et des gains significatifs pour les femmes (+ 33 %) (Guvenen et al., 2022). Ces dynamiques différentes ont conduit à la forte réduction de l’écart entre genres observée dans le graphique 1.