Sans la menace de nouveaux concurrents, les leaders ne sont plus incités à investir et innover, et c’est au final toute l’économie qui en pâtit, comme le souligne le FMI dans son World Economic Outlook d’avril.
De nouveaux défis face à l’émergence de géants du numérique
Ces écosystèmes constitués de quelques grands acteurs ne remettent pas en cause les principes économiques qui fondent le droit de la concurrence, mais ils posent en pratique des problèmes nouveaux dans son application, comme le souligne un rapport récent remis à la Commissaire européenne à la concurrence, Margrethe Vestager.
Les risques d'abus de position dominante sont par nature plus élevés quand le secteur est très concentré. Les leaders peuvent chercher à préserver ou renforcer leur position en rachetant par exemple des concurrents potentiels avant qu’ils n’aient le temps de se développer.
L'économie du partage et le phénomène d’"ubérisation" ouvrent la question de l’égalité entre les concurrents, dès lors que les fournisseurs traditionnels du service sont soumis à des régulations différentes de celles des plateformes. Le recours au travail indépendant et à l'activité des particuliers peut créer des distorsions de concurrence : AirBnB vs. hotels ou uber vs. Taxis par exemple. La concurrence devient biaisée car impôts, normes et charges diffèrent selon le type de producteur.
Enfin, la collecte et la détention de données personnelles par les géants du numérique est susceptible de favoriser des comportements anti-concurrentiels. L’accumulation d’information sur les utilisateurs peut conférer aux entreprises déjà en place un avantage et conduire à l’exclusion des concurrents.
Aux autorités de concurrence de relever ces défis en renforçant leurs compétences numériques et en adaptant leurs instruments de contrôle
Les problèmes rencontrés spécifiquement par les autorités de concurrence dans l’économie numérique sont de deux ordres. D’une part, le temps des procédures judiciaires est long vis-à-vis du rythme des affaires car le déploiement des effets de réseaux, une fois la taille critique atteinte, peut être extrêmement rapide. D’autre part, on observe dans tous les secteurs où la R&D joue un rôle important (numérique, mais aussi biotechnologies) des acquisitions prédatrices par lesquelles un acteur dominant achète un concurrent potentiel, qui n’en est souvent qu’au stade de la recherche (donc sans chiffre d’affaires) et le « tue » avant qu’il ne devienne un concurrent effectif (« killer acquisitions »).
Le premier problème requiert une montée en compétences dans le domaine numérique au sein des autorités de concurrence - spécialistes des données et des algorithmes. Par ailleurs, soumise à la fois au règlement 1/2003, qui précise les conditions d’octroi des mesures conservatoires (« interim measures ») et au contrôle strict de la Cour de Justice de l’Union Européenne, la Commission Européenne (DG Competition) ne peut facilement faire usage de cet instrument, qui permet de « figer » le marché dans un état qui préserve la concurrence jusqu’au moment où le cas est résolu au fond. Un tel instrument serait très utile pour traiter rapidement les cas, avant que des effets potentiellement délétères de certaines pratiques ne détruisent les chances des concurrents.
Plusieurs propositions visant à contrecarrer le risque des acquisitions prédatrices font débat, telles que (i) l’abaissement du seuil de notification des opérations de concentration auprès de l’Autorité de la concurrence, (ii) l’introduction d’un seuil de contrôlabilité exprimé en valeur de transaction, et (iii) la mise en place d’un contrôle des concentrations ex post. C’est sans doute cette dernière solution qui est préférable : elle permet de cibler le contrôle sur les seules acquisitions posant un problème de concurrence (contrairement à un abaissement des seuils), et cela sans introduire de nouveaux seuils dont la valeur serait manipulable (comme la seconde option).