La politique monétaire de la BCE peut influer sur le taux de change euro/dollar (EUR/USD) via les variations des taux sans risque mais également via des modifications des spreads souverains. Une politique monétaire plus accommodante devrait entraîner une dépréciation de l’euro. Cependant, des conditions de financement plus favorables pourraient également réduire le risque de fragmentation dans la zone euro, rassurer les investisseurs quant à la solidité de l’union monétaire et renforcer l’euro. Ce billet de blog examine si les données pour la période allant de 1999 à 2020 permettent d’observer ces deux effets opposés, en analysant plus particulièrement les variations des spreads souverains.
La corrélation entre spreads souverains et taux de change EUR/USD a varié au fil du temps
Avant 2009, les spreads souverains à dix ans français, espagnols et italiens par rapport au Bund allemand à dix ans étaient très bas et avaient tendance à évoluer en parallèle (figure 1). Mais avec la crise de la dette souveraine en Europe, les rendements ont divergé de manière significative. Les mesures non conventionnelles de la BCE ont fortement contribué à contenir ces spreads souverains.
S’agissant de l’évolution conjointe du taux de change nominal EUR/USD et des spreads souverains à dix ans, on observe que la corrélation entre les deux a évolué au fil du temps (figure 1). Sur l’ensemble de la période, les corrélations sont faibles (qu’elles soient calculées sur la base des niveaux mensuels ou des variations de ces variables). Après 2015, les corrélations sont plus fortes et négatives, les périodes de spreads bas coïncidant avec un euro plus fort. En Espagne, les corrélations ont atteint – 0,1 et – 0,5, respectivement, pour les variations et les niveaux.
La politique monétaire influe sur l’euro via les taux sans risque et les spreads souverains
Dans la suite de ce billet, nous examinons si la politique monétaire de la BCE influe sur le taux de change EUR/USD via les variations des taux sans risque uniquement, ou également via les modifications des spreads souverains. Pour cela, nous mesurons l’impact des nouvelles ou surprises de politique monétaire sur le taux de change EUR/USD au sein d’une fenêtre étroite de 90 minutes environ autour des annonces de politique monétaire de la BCE. Nous présentons ici les résultats pour la conférence de presse de la BCE, qui débute à 14h30 heure d’Europe centrale et dure environ 60 minutes. Durant cet événement, la présidente de la BCE lit à haute voix la déclaration introductive, qui résume l’évaluation par le Conseil des gouverneurs de la situation économique et les changements apportés à la politique monétaire. Ensuite, la présidente de la BCE et le vice-président répondent aux questions des journalistes.
Le contenu en informations des annonces de politique monétaire est identifié via : a) les variations du taux d’intérêt OIS à un mois ("surprise concernant la cible") ; b) les variations du rendement OIS à deux ans orthogonalisé par rapport au taux OIS à trois mois ("surprise concernant la trajectoire") ; et c) les variations des spreads souverains à dix ans français, italiens et espagnols par rapport au Bund allemand ("surprise concernant les spreads"). Ces différents types de surprises reflètent les nouvelles de politique monétaire qui prennent en compte les effets des mesures conventionnelles et non conventionnelles. Nous opérons ensuite une régression des variations du taux de change EUR/USD sur les surprises concernant la cible, la trajectoire et les spreads afin d’isoler l’effet que la politique monétaire de la BCE exerce sur le taux de change par le biais de chacune de ces composantes.
Comme prévu, une surprise positive (négative) concernant la cible de politique monétaire entraîne une appréciation (dépréciation) du taux de change EUR/USD. Par exemple, pour la période de 1999 à 2020, le taux de change EUR/USD enregistre en moyenne une dépréciation allant jusqu’à 1 % en réaction à une décision de politique monétaire accommodante inattendue de 10 points de base sur la fenêtre de la conférence de presse (cf. la surprise concernant la cible de la figure 2). La réaction aux surprises concernant la trajectoire est similaire s’agissant du signe, mais de moindre ampleur. En outre, nous observons que des spreads plus élevés (plus faibles) entraînent une dépréciation (appréciation) de la monnaie. Ces effets sont significatifs dans le cas des spreads souverains italiens et espagnols. Par exemple, le taux de change EUR/USD enregistre une appréciation allant jusqu’à 0,2 % en réaction à une diminution de 10 points de base des spreads espagnols sur la fenêtre de la conférence de presse.
Existence d’un canal du "risque de fragmentation" par lequel la politique monétaire influe sur l’euro
La relation négative entre taux de change et spreads souverains plus risqués décrite précédemment est prédominante en période de fortes tensions financières dans la zone euro, quantifiées par l’indicateur du risque de redénomination (RDR) de De Santis, 2019. En examinant l’écart de prix entre les contrats CDS libellés en euros et ceux libellés en dollars, l’indice RDR mesure le risque qu’une obligation souveraine soit relibellée dans une ancienne monnaie nationale (dévaluée). Lorsque cet indice est élevé pour certains pays de la zone euro, la demande d’actifs émis par ces pays diminue et leurs coûts de refinancement augmentent, ce qui entraîne des disparités entre pays s’agissant des conditions de refinancement. Une politique monétaire accommodante limite ce risque de fragmentation, renforçant ainsi la solidité de l’euro.
Ce résultat pourrait être globalement interprété comme une transmission de la politique monétaire via un canal du "risque de fragmentation", qui aurait donc un effet salvateur sur l’euro, conformément aux conclusions de Kane, Rogers, Sun (2020). Cet effet est cependant beaucoup moins fort que la dépréciation qui résulte du canal classique de transmission de la politique monétaire via les surprises en matière de cible et de trajectoire.