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Nouveaux scénarios NGFS (Phase 4) : impacts économiques pour la France

Mise en ligne le 24 Mai 2024
Auteurs : Annabelle De Gaye, Clément Payerols

Billet de blog n° 355. Fin 2023, le Réseau pour le verdissement du système financier (NGFS) a mis à jour ses scénarios climatiques, dont les impacts ont été réévalués pour refléter le retard accumulé dans la transition bas-carbone. Ils montrent que la transition précoce et ordonnée, bien que coûteuse à court terme, est toujours préférable à l’inaction, néfaste à long terme. Ce billet détaille les impacts pour la France.

Image graphique 1 - blog 355
Source: NGFS Phase 4, REMIND-NiGEM.
Note: Le prix du carbone (échelle de gauche, trait plein) est en EUR 2020. Les impacts sur le PIB de la France (échelle de droite, trait pointillé) sont en % d’écart par rapport à un scénario baseline sans risque physique ni politique de transition.

Le Réseau pour le verdissement du système financier (NGFS) est un groupe de banques centrales et superviseurs dont l'objectif est de contribuer à la prise en compte des risques financiers liés au climat et à l'environnement, et de soutenir la transition vers une économie durable. 

Les scénarios du NGFS modélisent les systèmes énergétiques, économiques et climatiques pour représenter des futurs plausibles. Ils sont classés en quatre catégories : les scénarios de transition ordonnée, où celle-ci commence immédiatement et progresse graduellement ; les scénarios de transition désordonnée, où le risque de transition est plus élevé car celle-ci est retardée ; les scénarios « hot-house world », qui sont sans transition et avec un risque physique élevé ; et les scénarios « too little, too late », avec des risques de transition et physiques élevés. 

Le NGFS a publié une mise à jour de ses scénarios climatiques en novembre 2023 pour inclure : (i) les impacts de la guerre en Ukraine et les nouvelles politiques climatiques annoncées (ii) un usage plus restreint des technologies de capture de carbone pour refléter l’incertitude liée à leur déploiement, (iii) une meilleure modélisation des événements climatiques extrêmes. Deux nouveaux scénarios ont été ajoutés : un scénario ordonné de sobriété énergétique qui doit encore être modélisé au niveau macroéconomique, et un scénario de transition sans coordination entre pays qui échoue à limiter les risques physiques.

Prise en compte du retard accumulé mais aussi des nouvelles politiques annoncées

Les émissions provenant des énergies fossiles devraient moins diminuer à court terme qu’anticipé dans les versions précédentes des scénarios. En France, le scénario Politiques actuelles anticipe une baisse de -17% des émissions de CO2 dans les secteurs énergétiques entre 2020 et 2030 (contre de -27% précédemment). Selon le Haut Conseil pour le Climat, les rythmes de baisse doivent presque doubler pour aligner la France avec les objectifs européens du paquet Fit-for-55. La révision de la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC), prévue en 2024 devrait en principe prendre en compte ces derniers. 

Ce retard initial rendra l’atteinte des objectifs climatiques plus coûteuse, d’où un prix du carbone implicite plus élevé dans les scénarios du NGFS, reflet des efforts de transition supplémentaires nécessaires. Pour la France, dans le scénario Net Zero 2050 (NZ) le prix du carbone passe par 270 EUR en 2030 pour atteindre 910 EUR en 2050 (en prix 2020, cf graphique 1). Les pertes de PIB sont plus importantes à court terme dans le scénario NZ, soit -1,4% en 2025 en France par rapport à un scénario sans aucun risque climatique, car la demande privée chute en réaction aux politiques de tarification carbone plus ambitieuses. Cette baisse de la demande n’est que partiellement compensée par une hausse de l’investissement public et des exportations nettes (cf. graphique 2 droite). Entre 2040 et 2050, la contribution de la consommation redevient positive tandis que les autres composants de la demande concourent pour une baisse permanente du PIB, de -1,4% au total en 2050 par rapport au scénario de référence. 

Les engagements de transition des pays ayant également évolué, le scénario des Contributions Déterminées au niveau National (NDCs) devient plus ambitieux, avec un prix du carbone pour la France de 134 EUR en 2030 (en prix 2020), traduction du plan Fit-for-55. Ce scénario ne respecte toutefois pas encore l’Accord de Paris et verrait un réchauffement moyen de 2,4° à horizon 2100. Ici, toutes les composantes du PIB chutent sur quasiment tout l’horizon, de sorte que les pertes de PIB atteignent -2,1% en 2050 (cf graphique 2 gauche). 
 

Image graphique 2 - blog 355
Note: Déviation du PIB en niveau, en % d’un scénario baseline sans risque physique ni de transition. Les barres indiquent la contribution à la déviation du PIB. L’impact des risques physiques aigus n’est pas inclus ici.
Source: NGFS Phase 4-REMIND-NiGEM

Net Zero vs NDCs : deux histoires sur l’investissement et l’inflation

La dynamique macroéconomique différente entre les scénarios NZ et NDCs provient notamment du profil d’investissement. Dans le scénario NZ, l’investissement public augmente (entre 0,4pt et 0,8pt de PIB par an sur dix ans) suite au recyclage d’une partie des revenus liés au prix du carbone. 

Ces montants sont plus faibles que les estimations de besoin d’investissement pour la France : entre 2 et 2,5 points de PIB, privé-public confondu, à horizon 2030 (voir Pisani-Ferry-Mahfouz, 2023, I4CE, 2023). À noter que ces chiffres proviennent en général d’estimations sectorielles quand le NGFS fournit des estimations plus agrégées.

Les scénarios NZ et NDCs se différencient également dans leur dynamique d’inflation. Dans le scénario NDCs, l’impact sur l’inflation est faible (entre +0,1pp et +0,4pp d’ici 2030). Le scénario NZ nécessitant, lui, des politiques de transition plus agressives et immédiates, l’inflation augmente relativement fortement à court terme (cf. graphique 3). Le choc sur l’inflation (autour de +1pp sur deux ans) se résorbe ensuite du fait de la réaction de la politique monétaire, car les taux directeurs en zone euro augmentent entre 100 et 150pb d’ici 2030. Cet impact sur l’inflation reflète les tensions sur l’appareil productif lié à l’introduction immédiate de mesures de tarification du carbone. Or, il subsiste encore beaucoup d’incertitude sur l’ampleur des effets inflationnistes de la transition (voir Dees et al, 2023), qui dépendra à la fois du type de politique de transition mise en œuvre, de l’évolution des coûts d’utilisation de l’énergie verte et de la réaction des agents (s’ils anticipent ou non la transition).
 

Image graphique 3 - blog 355
Note : Écart au scénario baseline en p.p.
Source: NGFS Phase 4

Un coût de l’inaction plus fort en raison de risques physiques plus importants 

Si les politiques de transition ont un coût économique, les scénarios du NGFS montrent que celui-ci sera bien inférieur au coût de l’inaction. Le scénario Politiques actuelles, où aucune nouvelle politique climatique n’est mise en place, permet d’évaluer ces coûts liés au changement climatique. On distingue le risque physique chronique (ex. baisse de productivité du travail due au réchauffement) et le risque physique aigu (ex. évènements extrêmes comme les cyclones ou les canicules). Le premier est évalué selon la fonction de dommage de Kalkhul & Wenz (2020). Pour la France, son impact serait de -2,9% sur le PIB en 2050 dans le scénario Politiques actuelles et -1,1% dans le scénario NZ. S’agissant des risques liés aux événements extrêmes, les scénarios NGFS incluent quatre types d’aléas : inondations fluviales, cyclones tropicaux, sécheresses et vagues de chaleur. Pour chacun, le NGFS modélise la hausse de leur fréquence et de leur intensité liée au réchauffement climatique, et leur impact sur l’économie réelle (par ex. les sécheresses affectent la productivité agricole). Les événements affectant le plus l’économie française seraient, dans le scénario Politiques actuelles, les sécheresses (-3,2% du PIB), les vagues de chaleur (-2,1%) et les inondations (-0,3%). 

En cumulé, l’impact sur le PIB des risques physiques et de transition en 2050 seraient de -8,5% dans le scénario Politiques actuelles contre -4,1% dans le scénario NZ (cf. graphiques 4).
 

Image graphique 4 - blog 355
Note: Déviation du PIB en niveau, en % d’un scénario baseline sans risque physique ni de transition, par type de risque modélisé. Les impacts des évènements extrêmes correspondent au 90ème centile de la distribution.
Source: NGFS Phase 4

Prochaines étapes

Les scénarios du NGFS font l’objet d’améliorations continues, mais restent perfectibles, notamment sur la modélisation des risques physiques et l’inclusion de plans d’adaptation. Dans la prochaine version des scénarios, en 2024-2025, le NGFS devrait fournir une meilleure désagrégation sectorielle, améliorer la modélisation des risques physiques, et développer des scénarios de court terme, pour étudier les implications macroéconomiques et financières à 3-5 ans de la transition et des événements extrêmes.
 

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Mise à jour le 24 Mai 2024