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Mesurer l’effet des mouvements sociaux sur l’activité
Billet n°331. Quel a été l’impact sur le PIB français des mouvements sociaux du premier trimestre 2023 ? Nous apportons une proposition de chiffrage de cet effet à l’aide de l’Enquête Mensuelle de Conjoncture (EMC) de la Banque de France et des modèles de prévisions macroéconomiques. Il a été marqué dans certains secteurs et endroits, avec toutefois des effets de rattrapage à l’œuvre au deuxième trimestre.
Note : secteurs couverts par l’EMC (industrie manufacturière, services marchands, bâtiment)
Analyse textuelle des informations complémentaires de l’Enquête Mensuelle de Conjoncture (EMC)
En complément des questions de conjoncture contenues dans l’enquête, des commentaires peuvent être renseignés par les chefs d’entreprise. En nous appuyant sur ces données textuelles, nous avons recherché les références aux grèves, afin de calculer une proportion d’entreprises se disant impactées par celles-ci. Pour le mois de mars 2023, 9 % des entreprises de l’industrie, 13 % des entreprises des services marchands et un peu plus de 2 % des entreprises du bâtiment ont mentionné un impact des grèves sur leur activité. En répliquant cette méthode sur une plus longue période, on obtient la courbe du graphique 1, où nous avons fait correspondre les différents pics observés avec les différents mouvements sociaux ayant été très présents dans le débat public. Une telle méthode de recherche a déjà été utilisée pour analyser l’impact des mouvements des « gilets jaunes » sur l’activité économique et avait alors conclu qu’environ 20 % des entreprises avaient vu leur activité perturbée par ce mouvement au fil des mois.
L’effet des grèves sur les soldes d’activité économique
L’EMC permet de produire chaque mois des soldes d’opinion des chefs d’entreprise sur l’activité économique. Nous avons recalculé ces soldes en excluant les entreprises ayant fait mention des grèves, ceci revient à leur assigner la moyenne des réponses des autres entreprises dans leur secteur. Ceci nous permet de construire un solde contrefactuel corrigé de l’effet des grèves, pour les secteurs couverts par l’enquête. En comparant le solde contrefactuel et le solde d’opinion, nous constatons, pour certains secteurs parmi lesquels l’industrie chimique et les transports routiers en particulier, un effet négatif de la mention des grèves sur la valeur du solde. Ceci signifierait que les grèves ont eu un impact économique sur l’activité des entreprises couvertes. Cet impact est toutefois modéré (maximum 12 points de solde au mois de mars 2023 pour une échelle s’échelonnant sur 400 points, de -200 pour l’activité la plus basse possible à 200 pour une activité la plus haute possible). Au mois d’avril, l’effet se dissipe largement avec une atténuation du phénomène dans les commentaires.
Estimation de l’impact des grèves sur la croissance du PIB au 1er et 2e trimestres 2023 en temps réel
Pour les secteurs couverts par l’EMC, à savoir l’industrie manufacturière hors cokéfaction-raffinage, le bâtiment, la réparation automobile, le transport routier de fret, l’hébergement-restauration, l’information-communication, les services aux entreprises et les services aux ménages, nous pouvons estimer l’impact du mouvement social sur la croissance du PIB à partir de l’estimation de l’effet des grèves sur les soldes d’activité économique de l’enquête en mars. Pour cela, nous réalisons une prévision de croissance à partir des données publiées de l’EMC, et une prévision de croissance à partir des données contrefactuelles du mois de mars purgées de l’effet des grèves. La différence entre les deux correspond à l’impact des grèves sur l’activité. L’effet du mouvement social au 1er trimestre dans les secteurs couverts par l’enquête est estimé à moins d’un demi dixième de point de PIB trimestriel.
Par ailleurs, certains secteurs non ou mal couverts par l’enquête ont été fortement affectés par les grèves au 1er trimestre. C’est le cas de la cokéfaction-raffinage, de la production et distribution d’énergie, eau, gestion des déchets, des services de transports, en particulier le transport de personnes, ou encore du commerce de détail. En temps réel, lors de notre prévision d’activité pour le 2e trimestre, nous avons utilisé les variations de l’indice de production industrielle (IPI) et de production dans les services (IPS) des épisodes de grèves passés (les IPI et IPS contemporains n’étant pas disponibles) afin de prévoir les évolutions de l’activité de ces secteurs.
Pour les secteurs de la cokéfaction-raffinage et de l’énergie, eau, déchets, nous avions retenu trois épisodes de grève survenus en octobre 2022 (grèves dans les raffineries et dépôts de carburants dans l’objectif d’obtenir des augmentations de salaire), au printemps 2016 (mouvement contre la loi Travail) et en octobre 2010 (mouvement contre la réforme des retraites). Pour le secteur des services de transport, nous avions retenu le mouvement social de la SNCF contre la réforme des retraites de décembre 2019, et celui contre la réforme ferroviaire au printemps 2018. Cette méthode simple n’est évidemment pas sans limite puisqu’elle suppose une linéarité des réponses, néglige les effets saisonniers et tout autre choc concomitant. Elle permet néanmoins d’avoir une approximation mensuelle de l’effet des grèves sur l’activité, particulièrement utile lors des exercices de prévision (notamment lorsque les indices de production ne sont pas encore disponibles). Les effets estimés lors de l’épisode de grève de 2023 ont en effet été proches de ceux observés lors des épisodes passés et leur intégration a permis d’améliorer la qualité de la prévision du PIB pour le 1er et le 2e trimestre. Par exemple, le graphique ci-dessous montre, pour le secteur de la cokéfaction et du raffinage, une baisse d’une ampleur comparable de l’IPI lors du mois de grève, puis un rattrapage lors des deux mois suivants (la grève du printemps 2023 s’étant poursuivie jusqu’au début du mois d’avril, le rattrapage a été légèrement décalé par rapport aux épisodes de grèves passés).
Source : Insee, calculs : Banque de France
Pour mesurer l’effet des grèves de mars 2023 a posteriori, nous nous référons aux indices de production
Afin d’estimer l’impact négatif du mouvement social sur les secteurs non couverts, puis leur rebond, nous utilisons les IPI, les IPS et les indices de ventes dans le commerce, publiés par l’Insee avec respectivement un et deux mois de retard.
Dans le secteur de la cokéfaction-raffinage, représentant 0,1 % de la valeur ajoutée totale de la France, on observe une baisse de -46 % de l’IPI en mars 2023. Cela pèse donc sur la VT du PIB au 1er trimestre (couvrant l’ensemble des secteurs) à hauteur de quelques centièmes de points de pourcentage (pp). Les hausses observées de l’IPI de +23 % en avril puis de +45 % en mai induisent ensuite un contrecoup d’une même ampleur sur la croissance du PIB au 2e trimestre.
Nous reproduisons ensuite ce calcul pour le secteur de l’énergie, de l’eau et de la gestion des déchets, pour lequel l’impact s’élèverait aussi à quelques centièmes de points de PIB.
Pour les secteurs des services de transports terrestres (hors transports routiers de fret) et du commerce, l’impact des grèves sur la croissance du PIB serait négligeable.
Ainsi, au total, selon nos estimations, les mouvements sociaux de mars et avril 2023 auraient amputé la croissance du PIB d’environ -0,1 pp au 1er trimestre, mais auraient été suivis d’un effet de rattrapage d’environ +0,1 pp au 2ème trimestre, l’effet rebond des mois d’avril et mai compensant la baisse de l’activité observée au mois de mars. Pour mémoire, selon l’INSEE, par rapport au trimestre précédent, le PIB a augmenté de +0,1 % au 1er trimestre et de +0,6% au 2e trimestre.
Cette estimation de l’effet des mouvements sociaux est cohérente avec celles qui ont pu être réalisées par l’Insee sur d’autres épisodes de grèves. Dans sa note de conjoncture de mars 2019, l’institut estimait par exemple que les mouvements sociaux du 2ème trimestre 2018 avaient pesé sur l’activité à hauteur de -0,1 pp sur le PIB.
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Mise à jour le 25 Juillet 2024