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L’inflation et son anticipation par les ménages pendant le Covid-19
Billet n°171. Lors du confinement, l’inflation en France a fortement reculé alors que les ménages anticipaient une nette augmentation. Le changement profond et soudain de la structure de consommation des ménages et la forte dispersion des variations de prix de biens couramment achetés (produits frais, carburants) pourraient expliquer cet écart inédit qui est appelé à se réduire.
Sources : Commission Européenne et Eurostat
Note : axe vertical solde d’opinion sur l’évolution des prix dans les 12 prochains mois ; axe horizontal : IPCH France glissement annuel en %. Chaque point représente une date.
Les ménages ne perçoivent pas moins bien que les autres agents les pressions inflationnistes : leurs anticipations sont généralement corrélées avec celles des prévisionnistes professionnels (Cœuré 2019) mais aussi avec l’inflation réalisée (Graphique 1). Pourtant, au moment du confinement, l’inflation anticipée par les ménages et l’inflation mesurée ont divergé de façon inédite. En France, l’inflation IPCH a baissé fortement, passant de 1,6% en glissement annuel en février 2020 à un niveau bas proche de 0% en juin 2020. Dans le même temps, les ménages anticipaient une forte hausse des prix : en avril et mai 2020, le solde d’opinion des anticipations d’inflation en France s’est situé entre 20 et 25 points au-dessus de sa moyenne de long terme. Si ce solde a diminué en juin 2020, il est resté élevé relativement au niveau d’inflation observé proche de 0 (Graphique 1). Ce phénomène n’est pas spécifique à la France et a pu s’observer pour l’ensemble de la zone euro. Comment peut-on interpréter l’évolution spécifique des anticipations d’inflation des ménages et leur écart inédit avec la dynamique de l’inflation ?
Le confinement a brutalement changé le panier de consommation des ménages
La forte et rapide déformation de la structure du panier de consommation des ménages pendant le confinement a pu conduire à une sous-estimation de l’inflation.
En effet, l’inflation est mesurée par les instituts statistiques comme une variation moyenne de prix sur une année d’un panier fixe de biens et services de référence. Ce panier de référence est construit à partir de la structure de l’ensemble de la consommation des ménages mesurée l’année précédente. La structure de ce panier n’évolue en général que lentement d’une année sur l’autre, avec les modifications d’habitudes de consommation des ménages. Ainsi, la fixité du panier sur une année affecte peu la mesure d’inflation mais cela est plus problématique quand le panier de consommation évolue subitement.
Or, pendant le confinement, si la consommation a globalement baissé d’environ 30%, certains postes de dépenses ont très fortement diminué (transports, hébergement-restauration, carburants, entre -70 et -90%), alors que d’autres ont augmenté (biens alimentaires) (Insee). Au total, la structure de consommation a donc été profondément déformée, ce qui a pu affecter l’inflation observée par les ménages. En effet, les produits moins consommés sont ceux pour lesquels les prix ont augmenté le moins vite ou baissé (carburants, loisirs, transports…) alors que ceux qui ont été plus consommés sont ceux dont les prix ont été les plus dynamiques (alimentaire). L’Insee estime qu’en prenant en compte cette déformation de la structure de consommation, la progression des prix sur un an en France en avril 2020 a été supérieure de 1,1 point de pourcentage à l’inflation IPC mesurée avec le panier fixe de consommation pré-Covid 19. De tels écarts ont été observés dans de nombreux pays, et aux États-Unis il est ainsi estimé à 0,7 pp (Cavallo 2020).
Cette sous-estimation de l’inflation mesurée par l’IPCH pourrait expliquer - en partie – la divergence de l’inflation et des anticipations des ménages. La fin de la période de confinement a réduit l’écart entre la structure de consommation effective des ménages et celle du panier de référence de l’indice des prix, et donc l’écart entre l’inflation publiée et l’inflation observée par les ménages à partir de leur panier de consommation de « confinement ».
Une dispersion inhabituelle des variations de prix et des anticipations d’inflation des ménages
Si les anticipations moyennes d’inflation des ménages ont fortement augmenté pendant la crise sanitaire, le niveau de « désaccord » entre les ménages se situe également à un niveau plus élevé qu’habituellement. La part des ménages anticipant une forte hausse des prix au cours des 12 prochains mois a plus que quadruplé en France passant d’environ 10% habituellement à près de 45%. Dans le même temps, la proportion de ménages pensant que les prix vont baisser a doublé. Ce désaccord est également observé pour l’ensemble de la zone euro mais aussi aux États-Unis.
La plus grande dispersion des anticipations d’inflation des ménages reflète essentiellement la dispersion accrue des variations de prix observées (Graphique 2). Bien qu’en moyenne, les prix aient augmenté moins rapidement qu’auparavant, les fortes variations à la hausse comme à la baisse ont été plus nombreuses. Les prix des carburants ont baissé de 20% sur un an en avril et en mai 2020 alors que les prix des produits frais connaissent leur plus forte hausse depuis janvier 2002 (près de 18% sur un an en avril et en mai 2020).
Source : Insee
Lecture : Au mois d’avril 2020, pour 90% des 254 composantes de l’IPCH, les glissements annuels des indices étaient situés entre -15,7% (valeur du cinquième percentile) et 9,7% (valeur du 95e percentile) au mois d’avril 2020.
Les ménages extrapolent les prix de leurs achats à l’ensemble du panier de consommation
L’évolution des prix de biens achetés récemment tend à être surpondérée dans les anticipations d’inflation, de même que celle des prix de l’alimentation ou encore celle des carburants (Coibion et Gorodnichenko 2015). L’exposition à des changements de prix fréquents et de grande ampleur tend aussi à augmenter les anticipations d’inflation (D'Acunto et al. 2019). La plus forte proportion des ménages anticipant une forte hausse des prix pourrait alors s’expliquer par une sur-réaction aux changements de prix de l’alimentaire frais.
Enfin, la disparition de certains biens et services a pu renforcer l’incertitude des ménages sur les pressions inflationnistes globales car cela a fortement transformé leur expérience d’achat. Cette difficulté à observer les prix a aussi été un défi pour les instituts statistiques et en France près de 45% des prix en avril n’ont pas été observés directement mais imputés à partir d’autres prix (INSEE). Cela a rendu la mesure et l‘interprétation de l’inflation plus difficiles lors du confinement et a pu accroitre l’incertitude autour de la mesure exacte des pressions inflationnistes (Tenreyro, 2020).
Si le désaccord et l’incertitude des ménages sur l’inflation future ont augmenté, la part des ménages anticipant une hausse faible ou nulle des prix est, elle, restée stable et proche de 30%. Cette proportion se situe à ce niveau depuis fin 2017 et a été peu affectée par les conséquences de la crise sanitaire. Ceci suggère qu’au-delà de la dispersion plus grande des opinions sur l’inflation future, les anticipations d’inflation d’une partie significative des ménages restent relativement ancrées (Andrade et al. 2020). Cette dispersion des anticipations d’inflation pourrait n’être que temporaire, la fin du confinement amenant les ménages à élargir le contenu de leur panier de consommation et augmenter le nombre de leurs observations de prix.
Mise à jour le 25 Juillet 2024