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L’impact inégal des entreprises sur l’écart de rémunération hommes-femmes
Billet de blog 393. Les avantages salariaux offerts par les entreprises, c’est-à-dire le salaire supplémentaire que certaines entreprises versent aux travailleurs pour un même niveau de qualification, contribuent largement à l’écart de rémunération hommes-femmes sur les marchés du travail aux États-Unis et en Europe. Les femmes reçoivent une part moins importante des gains de productivité des entreprises que les hommes, à qualification égale, et elles sont plus présentes dans des entreprises recourant largement au travail à temps partiel, ce qui est associé à des avantages salariaux plus faibles.
Figure 1 – Écarts hommes-femmes en matière de rémunération et d’avantages salariaux

Note : L’axe des ordonnées montre la différence non corrigée entre rémunération brute des hommes et celle des femmes. L’axe des abscisses montre l’écart d’avantage salarial entre hommes et femmes (somme des composantes de répartition des emplois et de fixation des salaires).
Pourquoi les femmes continuent-elles de gagner moins que les hommes ? La théorie économique classique suggère que sur un marché du travail en concurrence pure et parfaite, toute différence de salaire devrait simplement refléter des différences de compétences ou des préférences pour certaines caractéristiques des postes, comme des horaires flexibles ou plus réguliers.
De nombreuses recherches récentes montrent que les entreprises ont un pouvoir de fixation des salaires et qu’elles peuvent offrir ou négocier des avantages salariaux pour un même niveau de qualification des travailleurs (Card, 2022). Autrement dit, deux travailleurs identiques peuvent percevoir des salaires horaires différents simplement parce qu’ils travaillent pour des entreprises différentes. Dans ce scénario, l’écart de rémunération hommes-femmes peut provenir de deux canaux additionnels. Une composante inter-entreprises (répartition des emplois), qui rend compte du fait que, à qualifications égales, les femmes travaillent dans des entreprises qui proposent des avantages salariaux plus faibles que celles où travaillent les hommes. Et une composante intra-entreprises (fixation des salaires), qui reflète le fait que les hommes et les femmes sont payés différemment au sein d’une même entreprise en raison de différences de pouvoir de négociation en fonction du sexe et/ou de pratiques salariales inéquitables.
Dans ce billet, nous présentons les résultats de Palladino et al. (à paraître ) sur la manière dont les avantages salariaux déterminent l’écart de rémunération hommes-femmes aux États-Unis et dans 10 pays européens. Nous étudions également le rôle de la répartition inégale des gains de productivité des entreprises et le lien entre le travail à temps partiel et les politiques de rémunération.
Nous utilisons des données administratives pour chaque pays, dont des informations sur les revenus des travailleurs et les heures travaillées, pour quantifier l’importance de l’écart hommes-femmes pour les avantages salariaux – autrement dit, la somme de la répartition des emplois et de la fixation des salaires. Pour chaque pays, nous élaborons une base de données appariées des travailleurs et de leurs employeurs, nous harmonisons la sélection de la population étudiée et nous utilisons des techniques économétriques pour les différences difficiles à mesurer entre les travailleurs et les entreprises, en vue d’isoler l’impact réel des avantages salariaux des entreprises, en suivant l’approche de Card et al. (2016).
Les avantages salariaux représentent 10 % à 50 % de l’écart de rémunération hommes-femmes
L’écart brut de rémunération hommes-femmes, défini comme la différence non corrigée entre la rémunération horaire moyenne des hommes et des femmes exprimée en pourcentages, va de 9 % en Suède à 26 % en Allemagne, la France affichant un écart modéré de 12 % (axe des ordonnées, figure 1). Nous notons que les avantages salariaux contribuent de manière importante à cet écart brut de rémunération hommes-femmes dans chaque pays étudié. Dans les pays où cet écart est plus large, les avantages salariaux des entreprises tendent à jouer un plus grand rôle, comme le montre la figure 1. Toutefois, cette relation varie entre les pays : les différences d’avantages salariaux selon les entreprises représentent environ la moitié de l’écart de rémunération brut aux États-Unis, tandis que leur incidence est généralement plus faible dans les pays européens.
Figure 2 – Écart hommes-femmes pour les avantages salariaux : répartition des emplois et fixation des salaires

Note. Cette figure ventile l’écart hommes-femmes pour les avantages salariaux en composantes de répartition des emplois et de fixation des salaires, exprimées en pourcentage de l’écart de rémunération hommes-femmes à droite du nom du pays.
La figure 2 montre comment les entreprises créent des différences salariales hommes-femmes par les deux canaux évoqués ci-dessus : le type d’entreprises où travaillent les femmes (répartition des emplois) et leur rémunération au sein d’une même entreprise (fixation des salaires). Les pays sont classés du plus élevé au moins élevé sur la base de la différence en pourcentages de ces composantes entre hommes et femmes. En France, les entreprises sont à l’origine de 16 % de l’écart de rémunération hommes-femmes total. La répartition des emplois en est la principale source (11 %) tandis que la fixation des salaires représente 5 %. Aux États-Unis, les entreprises jouent un rôle beaucoup plus important, étant à l’origine de 56 % de l’écart – dont 20 % pour la répartition des emplois et 36 % pour la fixation des salaires.
Les femmes bénéficient moins des performances de leur entreprise que les hommes
Lorsque les entreprises sont plus productives et rentables, elles partagent souvent une partie de ces gains avec leurs salariés par une hausse des salaires – ce que les économistes appellent le partage des rentes. Les hommes et les femmes bénéficient-ils équitablement de l’excédent de leur entreprise ?
Pour répondre à cette question, nous analysons la valeur ajoutée des entreprises pour mesurer leur productivité – en pratique, avec quelle efficacité elles transforment leurs ressources en production. Nous observons que lorsque les entreprises partagent leur rente par le biais de hausses de salaires, les femmes obtiennent en moyenne 89 % de ce que reçoivent les hommes à qualification égale. Autrement dit, pour chaque euro supplémentaire de salaire que les hommes reçoivent lorsqu’ils travaillent pour une entreprise plus productive, les femmes ne reçoivent que 89 centimes.
Figure 3 – Part perçue par les femmes du partage des rentes attribué aux hommes

Note : Ratio entre l’élasticité de la productivité au niveau de l’entreprise par rapport aux avantages salariaux des femmes et l'élasticité de la productivité au niveau de l'entreprise par rapport aux avantages salariaux des hommes.
La figure 3 montre ce ratio de partage des rentes pour chaque pays inclus dans notre étude, où 1 désigne un partage égal entre les hommes et les femmes. La situation varie d’un pays à l’autre : elle est proche de la parité aux Pays-Bas, tandis que dans tous les autres pays, les femmes bénéficient nettement moins des performances de leur entreprise que les hommes (95 % en France). Ce schéma systématique de partage inégal suggère que dans la plupart des pays, les femmes sont défavorisées dans la négociation de leur part des gains ou font l’objet de pratiques de rémunération discriminatoires au sein des entreprises plus productives.
Le rôle des dispositifs de travail à temps partiel
Une étude de Goldin (2014) suggère qu’une partie de l’écart de rémunération hommes-femmes tient au fait que certaines entreprises proposent de combiner des avantages salariaux plus élevés à un nombre d’heures travaillées plus important – dispositifs qui peuvent être moins attractifs pour les femmes. Si les différences dans le nombre d’heures travaillées pour un emploi à temps plein peuvent également jouer un rôle, les auteurs se concentrent sur les dispositifs de travail à temps partiel, qui peuvent être mesurés de manière homogène entre les pays.
Figure 4 – Emplois à temps partiel, avantages salariaux des entreprises et part des femmes

Note : Le graphique de gauche montre la part du travail à temps partiel par rapport au nombre de femmes faisant partie de l’effectif (en déciles). Le graphique de droite montre les avantages salariaux des entreprises par rapport aux parts de temps partiels (en déciles). Les estimations par pays sont regroupées.
La figure 4 combine des données de tous les pays pour examiner deux relations-clés : la manière dont le travail à temps partiel dans les entreprises influe à la fois sur la part d’activité des femmes et sur les avantages salariaux. Dans les deux parties de la figure, les entreprises sont réparties en dix groupes de taille égale d’après la variable sur l’axe des abscisses, et des valeurs moyennes sont représentées pour chaque groupe. La partie de gauche montre une tendance-clé : les femmes sont plus susceptibles de travailler dans des entreprises où les hommes effectuent une grande proportion de travail à temps partiel. Autrement dit, les femmes ne sont pas uniquement susceptibles de travailler à temps partiel ; elles ont également tendance à travailler dans des entreprises où le travail à temps partiel est davantage généralisé. La partie de droite montre que les entreprises où le temps partiel est plus développé offrent des rémunérations plus basses : si 40 % des salariés masculins d’une entreprise travaillent à temps partiel, celle-ci paie ses travailleurs environ 9 points de pourcentage de moins, à qualification égale, par rapport à des entreprises sans travailleurs masculins à temps partiel. Cela est conforme avec les conclusions de Garbinti et al. (2023), qui considère que les différences de durée du travail entre hommes et femmes sont un facteur important de la persistance de l’écart de rémunération hommes-femmes.
Dans l'ensemble, ces résultats montrent comment les facteurs propres aux entreprises se combinent aux préférences/contraintes des travailleurs pour des dispositifs flexibles, tels que le travail à temps partiel, pour créer et maintenir des écarts de rémunération hommes-femmes dans les différents pays. Cela suggère que la lutte contre l'inégalité salariale nécessite une compréhension des facteurs structurels à l’origine des avantages salariaux et des facteurs individuels propres aux travailleurs qui façonnent les préférences.
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Mise à jour le 7 Mars 2025