Bloc-notes Éco

Les technologies digitales : une source de rebond de la productivité ?

Mise en ligne le 18 Décembre 2020
Auteurs : Gilbert Cette, Sandra Nevoux, Loriane Py

Billet n°194. Les technologies digitales sont souvent vues comme un vecteur potentiel de la troisième révolution industrielle. Ce billet exploite une enquête originale de la Banque de France pour mesurer la digitalisation des entreprises et en déterminer l’impact potentiel sur la productivité. Le recours à ces technologies, stimulé par le contexte sanitaire, pourrait faciliter et renforcer le rebond économique.

Image Recours aux TIC et aux technologies digitales dans l’industrie manufacturière en 2018
Graphique 1 : Recours aux TIC et aux technologies digitales dans l’industrie manufacturière en 2018 Sources : Enquête sur l’utilisation des facteurs de production et FIBEN (Banque de France). Champ : Entreprises de plus de 20 salariés dont au moins un établissement appartient à l’industrie manufacturière.

Note : 58 % des entreprises ne recourent pas du tout au cloud, 31 % y recourent depuis moins de 5 ans et 11 % y recourent depuis plus de 5 ans.

Au cours des dernières décennies, la croissance de la productivité a diminué dans la plupart des pays développés, quelle que soit leur distance à la frontière technologique. Si cette tendance devait se poursuivre, des gains de productivité aussi faibles pourraient considérablement réduire notre capacité à faire face aux grands défis auxquels nous sommes confrontés : vieillissement de la population, soutenabilité du système de santé, accroissement des inégalités, risques environnementaux ou encore croissance de l’endettement public.

La digitalisation est souvent considérée comme la source potentielle d'un énorme et peut-être long regain de productivité permettant de répondre à ces enjeux. Mais paradoxalement, ses effets tardent à se matérialiser. Selon Van Ark (2016), "la Nouvelle Économie Digitale serait encore dans sa ‘phase d’installation’, et les effets sur la productivité apparaitront seulement quand ces technologies auront entamé leur ‘phase de déploiement’".

Les stratégies nationales de confinement et de reconfinement actuelles vont de toute évidence favoriser la digitalisation des entreprises. À titre illustratif, selon le baromètre Novembre de l’enquête Trésorerie, Investissement et Croissance des PME (Bpifrance Rexecode), 50 % des chefs d’entreprises interrogés sur leur stratégie de moyen-long terme "indiquent avoir initié une démarche de digitalisation de leur entreprise en premier lieu dans l’organisation de leur relation avec leurs clients, 20 % envisagent une telle démarche à plus ou moins brève échéance mais sans l’avoir déclenchée." Mais que sait-on du recours au digital des entreprises françaises ? Quel impact en attendre sur la productivité ?

Le recours au digital est surtout le fait des plus grandes entreprises

La Banque de France réalise une enquête annuelle auprès des entreprises de plus de 20 salariés de l’industrie manufacturière pour collecter de l’information sur l’utilisation de leurs facteurs de production. Chaque année, cette enquête sert aussi à rassembler des informations sur un sujet d’intérêt. En 2018, les entreprises ont été interrogées sur leur accès à internet (durée et type de connexion internet), sur l’emploi de spécialistes en Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) (en interne et en externe) ou encore sur le recours aux technologies digitales (cloud et big data). Cette enquête de la Banque de France est, à notre connaissance, avec l’enquête TIC INSEE, l’une des rares sources d’informations sur le recours des entreprises au digital en France.

Les résultats de cette enquête font apparaître que le recours aux technologies digitales est :

  1. encore assez limité (Graphique 1) : si la plupart des 1065 entreprises interrogées utilisent internet et si 65 % d’entre elles emploient des spécialistes TIC (en interne ou en externe) depuis plus de 5 ans, seules 42 % d’entre elles utilisent le cloud (et près d’un tiers y ont recours depuis moins de 5 ans). En outre, 13 % des entreprises font de l’analyse big data, et ces dernières le font en général depuis moins de 5 ans.
  2. particulièrement concentré dans les plus grandes entreprises (Graphique 2) : l’emploi de personnel TIC et le recours aux technologies digitales ont tendance à augmenter avec la taille de l’entreprise. Ainsi, alors que seules 28 % des entreprises de 20 à 49 salariés recourent au cloud, 70 % des entreprises ayant de 250 à 499 salariés y ont recours. En ce qui concerne le big data, près de 40 % des entreprises de 500 salariés et plus y ont recours alors qu’elles sont moins de 10 % à y recourir chez les PME. L’existence d’une corrélation positive entre taille des entreprises et demande de TIC est également largement documentée par Lashkari et al. (2019) en ce qui concerne l’investissement en équipements informatiques  et logiciels des entreprises françaises.
Image Recours aux TIC et aux technologies digitales par taille d’entreprise en 2018
Graphique 2 : Recours aux TIC et aux technologies digitales par taille d’entreprise en 2018 Sources : Enquête sur l’utilisation des facteurs de production et FIBEN (Banque de France). Champ : Entreprises de plus de 20 salariés dont au moins un établissement appartient à l’industrie manufacturière.

Note : 73 % des entreprises de 20 à 49 salariés ne recourent pas du tout au cloud et 27 % y recourent.

Ces faits stylisés soulèvent deux questions : les entreprises deviennent-elles plus productives grâce à leur recours aux TIC et aux technologies digitales ? Ou est-ce parce qu’elles sont plus productives qu’elles adoptent de telles technologies ? C’est tout l’enjeu et toute la difficulté des études empiriques sur le sujet.

Le recours aux technologies digitales peut avoir un impact fort sur la productivité

Une abondante littérature a été consacrée au cours des dernières décennies à la quantification de l'impact des TIC sur la productivité. Cependant, peu d’analyses se concentrent sur l'impact de la digitalisation sur la productivité, et celles qui le font concernent principalement des technologies spécifiques, telles que l'accès à l’internet haut débit. À cet égard, Akerman et al. (2015) mettent en évidence l’effet bénéfique de l’accès internet à haut débit sur la productivité du travail et les salaires au niveau des entreprises en Norvège. De même, Malgouyres et al. (2019) montrent que le déploiement de l’internet à haut débit a un impact positif sur les importations des entreprises en France au début des années 2000 et suggèrent que ce phénomène aurait pour corollaire des gains de productivité.

À partir de l’exploitation de l’enquête menée par la Banque de France présentée ci-dessus, Cette et al. (2020) concluent également à un impact potentiellement fort du recours au digital sur la productivité des entreprises françaises : ceteris paribus, l’emploi de spécialistes TIC (en interne et en externe) et l’utilisation de technologies digitales (par le biais du cloud et du big data) augmenteraient d’environ 23 %  la productivité du travail et de 17 %  la productivité globale des facteurs des entreprises par rapport à celles qui n’y auraient pas recours.

S'ils étaient confirmés par d'autres études au niveau des entreprises, ces résultats suggéreraient que le recours aux technologies digitales serait, avec l’utilisation des TIC, l’un des vecteurs essentiels de la troisième révolution industrielle et technologique. Ces technologies pourraient contribuer fortement au rebond économique après la crise du COVID-19 qui en a stimulé le recours.