Matrix, Terminator, Robopocalypse, ou encore le Cycle des robots… L’invasion de robots ruinant l’humanité est un sujet récurrent de la science-fiction, du cinéma à la littérature.
Nulle crainte à avoir, une telle invasion n’est pas pour aujourd’hui ! La place de la robotique, de l’automatisation et de l’intelligence artificielle devient néanmoins de plus en plus importante non seulement dans nos vies, mais aussi dans nos usines. En effet, les technologies robotiques connaissent une progression considérable depuis les années 1990, avec notamment une hausse du taux de robotisation (défini comme le nombre de robots par million d’heures travaillées) en zone euro, passant de 0.25 en 1990 à plus de 1.75 en 2019 selon Cette, Devillard et Spiezia (2021).
Ce phénomène a-t-il une implication pour la politique monétaire ?
Les taux de robotisation, un facteur contribuant à expliquer les effets hétérogènes de la politique monétaire selon les secteurs
À l’instar de Peersman et Smets (2005), la littérature économique a permis d’établir que la politique monétaire se transmet de façon différente selon les secteurs d’activité et, en particulier, la durabilité d’un bien peut être un facteur différenciant. La demande de biens durables, tels que les biens d’investissement, est en effet plus sensible à une variation des taux d’intérêt à travers le canal du coût du capital que la demande de biens non durables.
Un autre facteur potentiellement différenciant n’a jamais été étudié par la littérature jusque-là : le taux (ou degré) de robotisation. Intuitivement, dans une industrie fortement robotisée, où le capital remplace le travail de manière significative, les politiques monétaires qui stimulent la demande pourraient conduire à des effets amoindris sur l’emploi car elles ne réussiraient pas à remplacer les emplois que la technologie a rendu obsolètes. Ce billet examine cette intuition.
Selon la définition de la Fédération Internationale de la Robotique (FIR), un robot est une « [machine] automatiquement contrôlée, reprogrammable et à usage multiple ». Un robot est donc une machine qui agit de façon pleinement autonome, sans avoir besoin d’un opérateur humain et qui peut être programmée pour réaliser plusieurs tâches. Bien que leur progression dans le secteur industriel suive un rythme soutenu, il existe toutefois une forte hétérogénéité de l’adoption de robots entre les industries d’après la FIR. L’industrie automobile concentre à elle seule 39% des robots industriels, suivie de l’industrie électronique (19%) et des produits chimiques et du plastique (9%). En revanche, les industries faiblement robotisées (environ 1%) sont celles du papier et de l'impression, du bois et de l'ameublement, et du textile.
L’objectif est de comparer, à l’aide de données américaines, les effets de la politique monétaire sur l’emploi des industries fortement et faiblement robotisées en utilisant un cadre à vecteur autorégressif (VAR) et un ensemble de données de panel sur les différentes industries. Les industries sont séparées en deux groupes selon le niveau de robotisation : le premier comprend les industries fortement robotisées (automobile, électronique, chimie), tandis que le deuxième regroupe les industries faiblement robotisées (imprimerie, papier, textile, bois, ameublement). Le choc monétaire est identifié à l’aide d’un instrument externe construit à partir de données financières à haute fréquence : une surprise monétaire correspond à un changement dans les contrats à terme sur le taux des fonds fédéraux survenant lors des annonces de politique monétaire du Comité fédéral de l’Open Market (FOMC) de la Réserve Fédérale (sur la base d’une fenêtre de 30 minutes).
La méthode utilisée n’est évidemment pas exempte de critiques. Premièrement, l’analyse se concentre sur une typologie de secteurs et non sur une variable "degré de robotisation", et ne permet donc pas de neutraliser parfaitement les autres caractéristiques de ces secteurs (par exemple, le degré d’ouverture est relativement élevé dans les industries fortement robotisées). Cette critique peut être nuancée par le fait que, d’après la littérature économique, seule la durabilité des biens est un facteur différenciant et que le niveau de durabilité entre les deux groupes étudiés est le même. Deuxièmement, la période considérée s’étend uniquement sur la politique monétaire dite conventionnelle de 1990 à 2007 et ne permet donc pas de tirer de conclusions sur la période actuelle.
Le graphique 1 présente la réaction de l’emploi pour chaque industrie à la suite d’une décision monétaire accommodante faisant baisser le taux des fonds fédéraux de la Réserve Fédérale de 25 points de base. L’estimation révèle qu’en réponse à la relance monétaire, l’emploi augmente (à son maximum) de 0.7% dans les industries fortement robotisées et de 1.3% dans les industries faiblement robotisées.
La politique monétaire peut influencer les prises de décisions technologiques des firmes
Il apparaît donc que la robotique contribue à expliquer les effets hétérogènes de la politique monétaire selon les secteurs d’activité. Cette analyse peut largement être soutenue et éclairée par l’étude théorique récente de Fornaro et Wolf (2021) selon laquelle la politique monétaire affecterait les prises de décisions technologiques des firmes, et plus particulièrement la répartition des tâches de production entre le capital et le travail. Dans leur modèle, le capital et le travail sont hautement substituables dans les activités de production. Ainsi, la baisse du coût relatif du capital (par rapport aux salaires) permet aux firmes de remplacer le travail par du capital dans les tâches de production, ce qui accroît l’utilisation des technologies robotiques et donc l’automatisation des tâches.
Dans ce contexte, dans les industries fortement robotisées (où le travail et le capital sont substituables), une relance monétaire au moyen d’une baisse des taux d’intérêt engendre une baisse du coût relatif du capital des firmes et favorise une réallocation des tâches de production vers le capital, stimulant ainsi davantage la productivité du travail que l’emploi. À l’inverse, dans une industrie faiblement robotisée, le phénomène de réallocation des tâches de production est de moindre importance et, par conséquent, la demande de main d’œuvre accélère davantage.