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Les moteurs de l’essor des échanges de services financiers de la France

Mise en ligne le 26 Décembre 2023
Auteurs : Grégoire Haniquaut

Billet n°337. La place de Paris se renforce : entre 2019 et 2023, les échanges de services financiers des intermédiaires financiers (IF) en balance des paiements progressent nettement vis-à-vis des principales places financières. Le Brexit explique en partie cette performance. Les services financiers dépassent les cinq milliards d’excédent en 2022 et semblent se stabiliser autour de ce niveau en 2023. 

Image Graphique 1 : Services financiers des IF 2019-2023 Catégorie Bloc-notes Éco
Source : Banque de France

Une accélération des échanges de services financiers depuis trois ans

Les services financiers recouvrent les frais de commission explicitement facturés, comme les commissions sur opérations sur titres, sur change, sur opération de hors bilan, etc… Ils sont essentiellement achetés ou vendus par les IF, c’est-à-dire les établissements de crédit, les entreprises d’investissement et les sociétés de gestion. 

Ces échanges de services financiers connaissent une progression très rapide depuis 2020, tant du point de vue des services exportés qu’importés. La croissance des exportations excède celle des importations de 2019 à 2022.  En 2022, les IF ont contribué en très grande partie (5,1 milliards d’euros) au solde net total des échanges de services financiers pour la France (5,8 milliards). Les IF participaient déjà à ce solde à hauteur de 4,1 milliards en 2021, 3,2 milliards en 2020 et 2,6 milliards en 2019 (graphique 1). Cette position exportatrice nette est aussi significative rapportée à l’excédent des services totaux de la balance des paiements, représentant 10 % de l’excédent net en 2022 (52 milliards d’euros). 

Ce solde devrait se stabiliser en 2023 à environ de 4,9 milliards d’euros selon une estimation réalisée par la Banque de France, à périmètre constant, sur la base des données des neuf premiers mois de l’année.

Les intermédiaires financiers résidents s’affirment sur les grandes places financières étrangères 

Au sein des échanges de services financiers réalisés par les IF, deux catégories de flux se distinguent (graphique 2):

  • Des échanges excédentaires importants mais relativement stables sur la période 2020–2022, vis-à-vis de pays tels que le Luxembourg (LU) et l’Irlande (IE) ;
  • Des exportations progressant plus que les importations vis-à-vis de quelques pays : la France est notamment devenue exportatrice nette de services financiers vers la Grande-Bretagne (GB) et vers l’Allemagne (DE) en 2021. Par ailleurs, son profil d’exportateur net vers les États-Unis (US) s’est nettement renforcé en 2022. 
     
Image Graphique 2 : Dynamique géographique des commissions financières Catégorie Bloc-notes Éco
Source : Banque de France
Note de lecture : les IF français sont exportateurs nets de commissions financières vis-à-vis du Luxembourg (LU) : 2,0 milliards en 2020 puis 1,8 milliard en 2021 et 2,1 milliards en 2022.

Une première hypothèse pour expliquer cette géographie des échanges de services financiers est un effet « volume d’activité », en lien avec la forte dynamique observée des banques sur certaines places financières de 2018 à 2022 (graphique 3). À titre d’illustration, les affiliés des groupes bancaires français aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Irlande et au Luxembourg ont enregistré une croissance régulière du PNB sur cette période. Le surcroit d’activité enregistré sur ces places financières a pu conduire à une demande de services financiers plus importante dans ces pays, à laquelle les établissements résidents en France ont répondu. Un effet de substitution ne peut toutefois être exclu : les affiliés de ces établissements français, localisés dans ces quatre pays ont pu capter une partie de cette demande de services financiers, mais cet effet est difficilement quantifiable. À l’inverse, la croissance des exportations nettes de services depuis Paris et vers ces destinations est bien mesurée et montre que cet effet de demande (ou effet volume d’activité) a compensé un éventuel effet substitution. 

Une seconde explication tient à une spécialisation de certaines places dans les activités de gestion de portefeuille. Parmi les IF, les sociétés de gestion sont à l’origine de flux significatifs vis-à-vis du Luxembourg. Sur la période 2020-2022, les exportations de services financiers vis-à-vis de ce pays se sont élevées en moyenne à 1,2 milliard d’euros, dégageant un solde net moyen de 0,8 milliard d’euros. Ces services répondent aux besoins de l’industrie des fonds d’investissement luxembourgeois, où sont logés de nombreux Organismes de Placement Collectif ou OPC mais dont la gestion est faite en France (les frais de fonctionnement sont donc en partie exclus des échanges transfrontaliers). Le modèle d’affaires des sociétés de gestion explique leur profil d’exportateurs nets : elles se rémunèrent en prélevant diverses commissions auprès des OPC (« commissions de surperformance », « de gestion », ou « de mouvement ») tout en ayant des dépenses limitées vis-à-vis du reste du monde. 
 

Image Graphique 3 : Produit Net Bancaire à l’étranger des affiliés des groupes bancaires français Catégorie Bloc-notes Éco
Note : les « affiliés » sont les filiales et succursales des groupes bancaires français.
Source : Outward FATS, Banque de France

Le Brexit a été favorable à la place de Paris

L’évènement principal concomitant à l’essor des échanges de services financiers des IF français sur la période récente est la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne. De nombreux groupes bancaires américains se sont installés ou ont renforcé leurs activités en France depuis 2020. On caractérise comme « établissements ayant quitté le Royaume-Uni », les établissements d’Europe continentale ayant accueilli, suite au Brexit, une activité et des salariés jusqu’ alors localisés au Royaume-Uni. Ils ont été identifiés sur la base d’indicateurs quantitatifs, tels que les déclarations des échanges de services depuis 2019 et d’informations qualitatives issues d’entretiens ou de la presse.
 
Ces groupes bancaires, le plus souvent d’origine anglo-saxonne, se sont tournés vers Paris, où une politique d’attractivité a été déployée par les autorités (par exemple, le Sommet Choose France depuis 2017). La densité de l’écosystème financier (AMF, ACPR, ESMA, installation de l’EBA à Paris post-Brexit) et la présence d’une main d’œuvre qualifiée dans le secteur de la finance, sont d’autres atouts de la place de Paris mis en avant par les établissements ayant quitté le Royaume-Uni (cf. Villeroy de Galhau - 2018).

Les transferts d’activités se sont traduits par des relocalisations dans plusieurs pays notamment en Irlande en première intention, mais aussi à Paris d’où il est possible de couvrir l’activité des clients français et d’Europe continentale. Les autres places européennes (Francfort, Luxembourg, Amsterdam) ont aussi bénéficié du Brexit enregistrant des installations d’établissements venus du Royaume-Uni. Depuis 2020, l’implantation progressive de ces établissements en France et le développement d’activités exportatrices a contribué à renforcer les exportations des services financiers depuis la France par l’installation de bureaux commerciaux et de plusieurs salles de marché, permettant de rendre des services financiers à distance. La contribution des établissements ayant quitté le Royaume-Uni aux exportations des services financiers est ainsi passée de 3 % en 2020 à 10 % en 2021 et 23 % en 2022 (graphique 4). 
 

Image Graphique 4 : Services financiers échangés par les intermédiaires financiers,  dont les établissements ayant quitté le Royaume-Uni Catégorie Bloc-notes Éco
Source : Banque de France

Au-delà des services financiers, le Brexit a aussi une incidence sur d’autres catégories de services échangés par les IF. Des transactions sur services informatiques ou encore des transactions intra-groupes sont observées entre ces établissements résidents à Paris et d’autres pays européens. Ces échanges viennent en partie compenser le solde positif des services financiers, les maisons-mères situées à l’étranger refacturant, par exemple, des frais de gestion intragroupe (le plus souvent sous la forme d’une rémunération au prix de transfert). Ainsi, contrairement aux banques de nationalité de française, les établissements ayant quitté le Royaume-Uni sont déficitaires sur ce type d’opérations principalement vers le Royaume-Uni (2020 : -113 M€, 2021 : -345 M€ et 2022 : -474 M€).
 
Paris a incontestablement bénéficié du Brexit grâce à de nouvelles implantations d’établissements ayant quitté le Royaume-Uni. Les données disponibles pour l’année 2023 indiquent une consolidation de ce nouveau paysage bancaire à un niveau élevé : les exportations de services financiers deviennent une ressource pérenne pour les échanges de services de la France.
 

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