Document de travail

Les exigences en capital à l’aune du resserrement monétaire

Mise en ligne le 24 Mai 2024
Auteurs : Aurélien Espic, Lisa Kerdelhué, Julien Matheron

Document de travail n°947. Cet article étudie le rôle des exigences en capital dans un contexte de resserrement monétaire. Nous construisons un modèle néo-keynésien dans lequel banques, ménages et entreprises peuvent faire défaut, et que nous estimons à partir de données de la zone euro, entre 2002 et 2023. Nous identifions dans un premier temps la source de cet épisode sans précédent avant d'étudier sa propagation aux des variables financières. Nous élaborons ensuite divers contrefactuels pour évaluer le rôle des exigences en capital dans la transmission de ce choc. Nous constatons que bien que les exigences en capital aient réduit l'expansion post-Covid, elles ont préservé la stabilité macroéconomique en réduisant la probabilité de défaut des banques. Plus généralement, nous montrons que les exigences en capital n'ont pas besoin d'être contracycliques pour être efficaces : dans un contexte inflationniste, elles agissent comme des stabilisateurs automatiques, en limitant l'amplitude des chocs expansionnistes ainsi que des chocs récessionnistes.

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Probabilities of default and capital requirements in the euro area (2021Q3-2023Q2)

À partir de l'été 2021, la zone euro a connu une poussée significative de l'inflation, l'indice harmonisé des prix à la consommation augmentant de 10,6 % sur un an en octobre 2022. Cette situation a fait réagir la Banque centrale européenne qui a procédé à une hausse spectaculaire de ses taux d'intérêt directeurs, faisant ainsi passer l'Euribor 3 mois de -0,5 % en mars 2022 à 3,88 % en septembre 2023. La hausse soudaine des taux d'intérêt, ainsi que les perspectives de croissance en demi-teinte et l'incertitude accrue, ont placé les questions de stabilité financière sous le feu des projecteurs, étant donné la forte corrélation entre resserrement de la politique monétaire et crises financières. La situation est-elle différente cette fois-ci ? Cet article soutient que la réponse dépend largement du niveau des exigences en fonds propres des banques.

En effet, l'environnement prudentiel auquel sont confrontées les banques est très différent de celui des précédents épisodes de resserrement monétaire. En effet, à la suite de la grande crise financière de 2008, les pays européens ont adopté un certain nombre d'outils prudentiels pour augmenter les exigences de fonds propres des banques, notamment afin d'améliorer leur capacité d'absorption des pertes. Bien que certains de ces outils aient été initialement considérés comme des instruments contracycliques, les autorités compétentes ont reconsidéré cette approche lors du resserrement monétaire historique de 2021-2023. Malgré un ralentissement significatif de la croissance du crédit, ces réserves de capital n'ont pas été libérées, tandis que certaines juridictions sont allées jusqu'à durcir leur position. Dans l'ensemble, ces réserves ont plutôt été utilisées pour renforcer la résilience des banques que pour maîtriser le cycle financier.

Pour étudier la contribution des exigences de fonds propres à la transmission de cette hausse des taux d'intérêt, nous construisons un modèle macroéconomique structurel présentant de nombreuses frictions nominales et financières. Nous l'estimons ensuite sur les données de la zone euro jusqu'au deuxième trimestre 2023, afin d'identifier les chocs qui ont entraîné une hausse des taux d'intérêt. La modélisation du secteur bancaire permet alors élaborer des scénarios contrefactuels concernant le niveau et la conception des exigences en matière de capital. Nous constatons tout d'abord que les chocs à l'origine de la hausse de l'inflation post-Covid sont liés au rattrapage de la consommation, ainsi qu'à la baisse du prix relatif des actifs corporels, qui a favorisé l'investissement. Dans ce contexte, les exigences microprudentielles en matière de fonds propres se sont révélées être des stabilisateurs automatiques efficaces : si elles ont légèrement freiné la croissance du PIB pendant l'expansion de 2022, elles ont réduit la probabilité de défaut des banques au début de 2023, protégeant ainsi le crédit et l'activité en période de ralentissement.

Ces résultats reposent sur la combinaison de chocs qui décrit cet épisode : alors que le choc exogène sur le prix relatif de l'investissement a contribué négativement à l'efficacité des exigences de fonds propres, les chocs de risque des banques et des entreprises y ont contribué positivement. Nous constatons également que les exigences de fonds propres ont un effet hétérogène entre les épargnants et les emprunteurs : alors que les premiers augmentent leur consommation et réduisent leurs achats immobiliers, les seconds ont une réaction opposée. Enfin, nous constatons que les mesures macroprudentielles, en particulier un coussin de fonds propres spécifique aux prêts aux ménages, ont fourni des réserves de protection supplémentaires.

Ces résultats soulignent l'utilité des exigences de fonds propres pour garantir la résilience d’une économie face aux cycles économiques et financiers, de sorte que la politique monétaire puisse être moins contrainte dans son action. En effet, les exigences de fonds propres peuvent éliminer la possibilité d'un atterrissage brutal, en particulier si les banques supportent des risques de taux d'intérêt. En outre, les politiques macroprudentielles fondées sur les fonds propres permettent d'entrer dans un cycle de resserrement de la politique monétaire avec des réserves de fonds propres suffisantes et contribuent ainsi de manière significative à la stabilité macroéconomique, en maintenant la rentabilité des banques et l'offre de crédit. Toutefois, les coussins de fonds propres ne suffisent pas à eux seuls à garantir la stabilité macrofinancière, car ils soutiennent l'offre de crédit, à condition qu'ils ne soient pas fixés à un niveau trop élevé. Des mesures complémentaires basées sur l'emprunteur peuvent alors constituer un complément utile pour garantir un endettement maîtrisé, bien qu'elles sortent du cadre du présent document.
 

Mots-clés : resserrement monétaire, stabilité financière, politique macroprudentielle.
JEL classification: E44, E52, G21, G28
 

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Mise à jour le 24 Mai 2024