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Les bancassureurs sont-ils plus résilients ? Une perspective française

Mise en ligne le 13 Février 2023
Auteurs : Cyril Pouvelle

Billet n°304. Le modèle français de bancassurance est lié au développement de l’assurance-vie. A la lumière des résultats d’un modèle portant sur 800 banques françaises sur base sociale sur la période 1993-2021, l’appartenance à un conglomérat financier est bénéfique à la résilience des groupes du fait des expositions asymétriques à certains chocs externes.

Image Évolution du Z-score, une mesure du risque de défaut, pour les entités bancaires appartenant à un conglomérat financier et les autres entités bancaires
Graphique 1 : Évolution du Z-score, une mesure du risque de défaut, pour les entités bancaires appartenant à un conglomérat financier et les autres entités bancaires
Source : ACPR
Note : Le Z-score est construit comme le ratio de la somme du Rendement des Actifs (ROA) et du ratio de levier moyens, divisée par l’écart-type du ROA, calculés sur une fenêtre glissante de 3 ans. Le Z-score indique le nombre d’écart-types du ROA de la banque devant être franchi avant que le capital de cette dernière ne soit complètement épuisé : plus le Z-score est élevé, plus la probabilité de défaut de la banque est faible.

Le modèle de la bancassurance : une spécificité française

Le paysage financier français se caractérise par la présence de conglomérats financiers combinant activités de banque et d'assurance, le terme de "bancassureur" s’appliquant plus particulièrement à la filiale d’assurance.

Historiquement, le développement de tels groupes fut lié à la croissance du marché de l'assurance-vie et à la recherche d’économie d’échelle dans les réseaux bancaires. Il n'y a pas de consensus dans la littérature économique sur l'analyse coût-bénéfice de l'appartenance à de tels conglomérats pour leur résilience, ni sur le point de savoir si le concept de "décote conglomérale" développé en théorie de l'entreprise peut s'appliquer aux conglomérats financiers. Les bénéfices attendus du point de vue du groupe concernent les économies d’échelle et de gamme, la diversification des risques (Baele et al., 2007), ainsi que la complémentarité des structures de financement entre banques et assureurs. Les coûts pour le groupe sont associés à une volatilité supérieure des activités nouvelles lorsque le groupe cherche à se diversifier (Stiroh et Rumble, 2006 ; Meslier-Crouzille et al., 2016). Du point de vue du superviseur, des coûts supplémentaires se posent pour la stabilité financière, en raison d’une possible prise de risque accrue de la part des entités bancaires composant un conglomérat financier qui se sentiraient protégées par leur appartenance à un grand groupe (aléa moral) et de risques accrus d’interconnexion entre secteurs bancaires et assurance.

Les règles applicables à la supervision des conglomérats financiers au niveau européen et les critères d’identification sont définis par la directive "FICOD", publiée en 2002. Elle fixe trois critères d’identification des conglomérats financiers, notamment (i) une tête de groupe devant être une entité régulée; (ii) au moins une entité du groupe appartenant au secteur de l’assurance et au moins une autre appartenant au secteur bancaire et des services d’investissement ; (iii) une part significative constituée par les activités consolidées ou agrégées du groupe dans les secteurs de l’assurance, de la banque ou des services d’investissement. En pratique, le bilan total des activités dans le secteur financier doit dépasser 40% du total de bilan du groupe.

Une analyse statistique descriptive, portant sur deux bases de données prudentielles disponibles à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), indique une assez grande hétérogénéité entre les sept groupes transmettant le reporting « Conglomer » (BNP Paribas, Groupe BPCE, Groupe Crédit Agricole, Groupe Crédit Mutuel, HSBC-Continental Europe, La Banque Postale, Société Générale) en termes de structure de financement. Tout d’abord, les expositions croisées au passif entre les parties bancaires et assurance dans le total de passif des comptes consolidés des groupes varie dans une proportion de 1 à 10, allant de 0,2% à 2% suivant le groupe considéré, une part relativement faible (graphique 2). Par ailleurs, la part de l’activité d’assurance dans le résultat net total de ces groupes varie de 6% à 30%. Enfin, le poids relatif des opérations de refinancement intragroupe de la partie bancaire vis-à-vis de la partie assurance varie d’un groupe à l’autre, puisque dans trois groupes la partie bancaire est débitrice nette de la partie assurance alors que c’est l’inverse dans les quatre autres groupes.

Image Part du financement intragroupe en pourcentage du total de bilan de sept conglomérats financiers français (Décembre 2021)
Graphique 2 : Part du financement intragroupe en pourcentage du total de bilan de sept conglomérats financiers français (Décembre 2021)
Source : ACPR

Résilience comparée des entités bancaires appartenant à un conglomérat financier et des autres entités bancaires

Dans un papier de recherche récent (Pouvelle, 2022), nous tentons de mettre en lumière les effets pour une entité de l'appartenance à un conglomérat financier en matière de rentabilité (mesurée par le Rendement des Actifs – ROA), de prise de risque (volatilité du ROA), de risque de défaut (Z-score) et de résilience du financement intragroupe (volatilité de la croissance de ce mode de financement), particulièrement en période d’instabilité financière. À cette fin, nous estimons un modèle en panel, pour chacune de ces quatre variables d’intérêt. Les données, issues de la base prudentielle SURFI, couvrent 114 000 observations sur presque 2 000 banques sur base sociale, avec une fréquence trimestrielle sur la période 1993-2021. Les modèles incluent différentes variables de contrôle macroéconomiques, financières et individuelles bancaires, notamment la taille de l’entité, la densité de risque de ses actifs et la part des prêts au secteur non financier dans son total de bilan. Notre variable d’intérêt est un terme d’interaction entre une variable d’appartenance à un conglomérat financier et les périodes d’instabilité financière, c’est-à-dire que nous créons une nouvelle variable correspondant au produit des deux variables citées. Les périodes d’instabilité financière sont identifiées comme les périodes au cours desquelles l’indice VIX, un indicateur de volatilité financière traduisant l’aversion pour le risque des investisseurs internationaux, dépasse le 75ème percentile de sa distribution (valeur de 23,2).

Il convient de noter que les entités bancaires appartenant à un conglomérat financier représentent en agrégé une part prépondérante du secteur bancaire français, avec une part de 77% du total d’actifs bancaires, ce qui souligne la concentration du secteur bancaire français. En revanche, les banques n’appartenant pas à un conglomérat sont plus nombreuses : 380 contre 300 à la dernière date d’observation.

Nos résultats indiquent tout d’abord que l’appartenance à un conglomérat financier a un effet stabilisateur du point de vue de l’entité bancaire sur la volatilité du Rendement des Actifs (ROA), mesurée comme l’écart-type du ratio Résultat net annualisé sur total d’actifs sur une fenêtre glissante de 3 ans. L’effet est similaire sur la croissance du financement intragroupe. Cet effet est même plus fort lors des périodes de stress financier. Par ailleurs, l’appartenance à un conglomérat financier réduit le risque de défaut des banques, car elle a un effet positif sur leur Z-score, construit comme le ratio de la somme du ROA et du ratio de levier moyens, divisée par l’écart-type du ROA, calculés sur une fenêtre glissante de 3 ans. (cf. graphique 1). En revanche, en ce qui concerne l’effet sur la rentabilité de la banque, le fait d’appartenir à un conglomérat financier n’influe pas sur le niveau du ROA. Au total, ces résultats semblent invalider l'hypothèse d'aléa moral, c’est-à-dire de comportement moins prudent ou de prise de risque excessive, associée à l'appartenance à un conglomérat financier. Ils illustrent plutôt les bénéfices en termes de diversification des risques au niveau du groupe en période de stress sur les marchés, sans mettre en évidence de risques accrus pour la stabilité financière.

Implications prudentielles

Les relations financières croisées, les risques de concentration et les interactions entre entités bancaires et entités d’assurance dans le cadre congloméral militent pour une collaboration étroite entre superviseurs sectoriels (bancaires, assurance et marché financiers), ce qui souligne l’intérêt de l’existence d’un superviseur intégré couvrant plusieurs secteurs, tel que l’ACPR en France. Si les avantages pour la partie bancaire de son appartenance à un conglomérat financier semblent nets, la gestion de l’entité d’assurance doit répondre à sa mission première, qui est de servir les intérêts des assurés. A l’inverse, les actionnaires doivent pouvoir apporter un soutien à leur filiale en cas de problèmes sur les fonds propres de celle-ci.