Dans l’imaginaire collectif, les après-guerres sont associés à l’inflation voire à l’hyperinflation. Comme les guerres augmentent la dette publique, il est commun d’associer endettement et inflation. Cette impression résulte de l’étude des guerres du 20ème siècle. Quand la focale est élargie vers des cas plus anciens, l’impression s’estompe. Les guerres napoléoniennes ou du 18ème siècle ont conduit à des taux d’endettement dépassant 100% du PIB avec peu d’inflation, à l’instar de l’Angleterre jusqu’en 1914 (Graphique 1).
L’augmentation de la dette publique ne mène donc pas toujours à l’inflation. Pourquoi ? Comment les États ont-ils réduit leur endettement après-guerre depuis 1715 ? Qu’apprend-on sur la gestion de la dette?
Le plus nécessaire et le plus difficile c’est le tempo
Les guerres anesthésient les économies de marché : les politiques monétaire et budgétaire sont asservies aux dépenses militaires, créant une situation de surliquidité des agents privés. Après-guerre, le réveil peut être fatal à la reprise à cause d’un dilemme budgétaire de court terme et d’une "tragédie des horizons" économiques.
Sur le plan budgétaire, le gouvernement a un conflit d’objectifs sur l’ampleur de la réduction du déficit budgétaire : de nouvelles dépenses civiles pèsent sur le déficit alors que le gouvernement doit commencer à rembourser sa dette. Le choix est délicat car les dépenses publiques améliorant l’offre (par exemple la remise en état des mines ou du réseau de transports en France après 1918 ou 1945) réduisent les goulots d’étranglement et accélèrent la reprise.
Les gouvernements font face à une "tragédie des horizons" entre soutien de la croissance à court-moyen terme et réduction de l’endettement à long terme. La consolidation budgétaire rétablirait la confiance dans le crédit public et donc limiterait les crises de la dette. Mais elle obèrerait la croissance en limitant la dépense publique dans des activités essentielles à la reprise et donc la création des ressources nécessaires au remboursement de la dette.
Sur ces dimensions, tous les après-guerres n’ont pas été égaux. Sans solution à la tragédie des horizons économiques, l’inflation a accéléré, chacun se protégeant d’une trajectoire budgétaire insoutenable. Sans solution au dilemme budgétaire, la croissance a été faible, amplifiant les difficultés budgétaires.
Inflation et dilemme budgétaire après 1918
Après 1918, la conciliation de ces contraintes s’est avérée impossible. L’ampleur de la dette publique précipite les gouvernements au bord d’une falaise de remboursement. Les désaccords sur la politique budgétaire et sur la taxation du capital conduisent à des fuites de capitaux et à des crises de la dette ou du change. L’inflation monte avec chaque crise budgétaire ou du change et à cause d’une demande accrue. Elle a nourri les doutes sur le crédit public en réduisant les ressources fiscales réelles alors que la dette était en partie libellée en or.
Un cercle vicieux s’est parfois enclenché : les crises de la dette ont gêné la reprise, amplifiant les problèmes de remboursement. En Allemagne ou en Autriche, le financement monétaire des dépenses publiques et privées a dégénéré en hyperinflation et en un défaut formel.
Mécanismes de réduction de l’endettement
Entre 1815 et 1914 puis après 1945, de nombreux pays ont surmonté le dilemme budgétaire et la tragédie des horizons économiques en étalant le remboursement de la dette, évitant des mesures budgétaires restrictives. Cela a été permis par une ingénierie financière de cantonnement, c’est-à-dire de transfert d’une partie de la dette soit dans les banques commerciales après 1945 –par la répression financière– soit dans des organisations dédiées avant 1914.
Après 1815, la dette a été remboursée sans défaut et sans inflation notable – voire en déflation au Royaume Uni – car l’étalon-or était un engagement de retour à l’équilibre budgétaire. Au Royaume Uni la dette a baissé de 213% du PIB en 1815 à 154% du PIB en 1825 (graph 1). La croissance démographique – la population étant multipliée par 2,4 entre 1815 et 1913 – a réduit le ratio de dette sur PIB de 125 points.
Après 1945, l’inflation a réduit la charge réelle de la dette. Aux États-Unis, la dette publique est réduite d’un tiers entre 1946 et 1952 par des taux d’intérêt maintenus bas en période d’inflation modérée (graph 2). L’accord du 4 mars 1951 entre le Trésor et la Fed limite la monétisation. Au final, de 1945 à 1974, la dette publique a baissé de 83 points de PIB, 20% étant expliqué par des taux d’intérêt réels négatifs et 40% soit par la croissance soit par le surplus budgétaire.