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Le PIB de Wallis-et-Futuna, deux estimations en quinze ans (2005 et 2019)

Mise en ligne le 29 Novembre 2024
Auteurs : Gov Sophie EA

Billet de blog n° 376. Comment calculer un PIB lorsqu’on manque de données ? Nous étudions le cas des outre-mer où les données sont plus parcellaires, et particulièrement celui de Wallis-et-Futuna où l’unique estimation du PIB portait sur l’année 2005. À la demande des autorités publiques locales, l’IEOM, dans le cadre du partenariat CEROM, a procédé à son actualisation sur l’année 2019. 

Graphique 1 : PIB par habitant dans les Outre-mer en 2019 en euros (échelle de droite) et en franc Pacifique (échelle de gauche)

Image Graphique 1 : PIB par habitant dans les Outre-mer en 2019 en euros (échelle de droite) et en franc Pacifique (échelle de gauche) Thématique Développement économique actuel Catégorie Bloc-notes Éco
Sources : AFD, IEDOM, IEOM, Insee, ISEE, ISPF
Note : 1 euro = 119,33 francs des Collectivités Françaises du Pacifique

Le partenariat CEROM : combler les insuffisances statistiques dans les outre-mer 

À la différence du territoire hexagonal qui dispose d’une diversité d’indicateurs pour le suivi de son économie, les outre-mer manquent de données statistiques. Ceci s’explique par une plus faible production statistique associée à des particularités propres à chaque territoire. Les exemples de carence statistique sont multiples : recensements de la population uniquement tous les cinq ans à Mayotte et dans les collectivités du Pacifique, calculs trimestriels d’un indice des prix à la consommation (IPC) à Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna ou encore absence de calcul d’IPC à Saint-Martin et Saint-Barthélemy, etc. Mais l’exemple le plus parlant est celui de l’estimation du Produit Intérieur Brut (PIB), donnée socle pour comprendre une économie et qui n’est pas disponible chaque année dans tous les outre-mer.
 
C’est pour combler ce besoin statistique qu’est né le partenariat CEROM (Comptes Économiques Rapides pour l’Outre-Mer) réunissant les Instituts d’Émission, l’Agence Française de Développement, l’Institut national de la statistique et des études économiques, l’Institut de la statistique et des études économiques de Nouvelle-Calédonie et l’Institut de la statistique de la Polynésie française. Depuis 2003, le partenariat réalise ainsi des « comptes économiques rapides », c’est-à-dire des estimations annuelles de PIB dans les territoires qui disposent de données suffisantes (départements d’outre-mer, Nouvelle-Calédonie et Polynésie française). 

Mais ce n’est pas le cas pour les plus petits territoires. Le PIB n’a été calculé qu’à quatre reprises à Saint-Martin (sur les années 1999, 2010, 2014 et 2021) et trois fois à Saint-Barthélemy (sur 1999, 2010 et 2014). De même, le PIB de Saint-Pierre-et-Miquelon n’a pu être estimé que deux fois (sur 2004 et 2015), tandis que la seule estimation pour Wallis-et-Futuna portait sur l’année 2005 jusqu’à ce que l’IEOM procède à une actualisation sur 2019.

Le cas de Wallis-et-Futuna : estimer un PIB avec très peu de données

Si le calcul du PIB de la France provient de l’élaboration de comptes nationaux, cette méthode ne peut pas être complètement répliquée sur les territoires ultramarins. En effet, elle s’appuie sur des sources administratives diverses mais aussi sur des enquêtes thématiques qui sont rares dans les outre-mer.
 
À Wallis-et-Futuna, la difficulté principale réside dans la quasi-absence de données administratives pour les entreprises et les ménages, ces agents n’étant pas assujettis à l’impôt sur leurs résultats et leurs revenus respectivement. Le calcul du PIB à Wallis-et-Futuna est ainsi dépendant de la réalisation ad hoc d’une enquête Budget des Familles. Concernant principalement les ménages, une telle enquête n’a été réalisée qu’à deux reprises en 2005 et 2019. Elle est aussi indispensable pour estimer le montant de l’autoconsommation alimentaire, prépondérante sur le territoire (plus de 80 % des ménages pratiquent une activité dans le secteur primaire). De plus, l’enquête menée en 2019 a aussi évalué le montant des loyers dits « fictifs » en comptabilité nationale, c’est-à-dire les loyers que devraient se verser les propriétaires occupant leur logement s’ils étaient locataires, information d’autant plus importante que près de 90 % des ménages sont propriétaires. Enfin, l’évaluation des dépenses monétaires des ménages complète les données nécessaires au calcul.

Les données sur les entreprises n’existent, quant à elles, qu’à travers leurs comptes. Or, toutes les entreprises ne tiennent pas de comptes détaillés et peu ont été enclines à les communiquer dans le cadre de la nouvelle estimation conduite par l’IEOM. L’échantillon s’est focalisé sur les données bilancielles issues de l’activité de cotation des entreprises des collectivités du Pacifique par l’IEOM. Les ratios financiers sectoriels ainsi calculés ont ensuite été extrapolés à l’ensemble des entreprises en fonction de leur effectif. Ainsi, l’extrême rareté des données d’entreprises constitue la principale limite de l’estimation et implique de prendre avec précaution les résultats sur le secteur privé.

Au total, bien qu’insuffisantes pour établir des comptes aussi complets qu’au niveau national, les données disponibles sur ces deux années ont permis de calculer le PIB à partir des trois approches classiques de la comptabilité nationale (offre, demande et revenus), au prix de certaines approximations.

Enfin, deux méthodes d’estimation par comparaison (benchmarking) ont également été conduites. La première consiste en un ajustement économétrique liant les importations/habitant au PIB/habitant des territoires du Pacifique et dont les résultats ont été appliqués à Wallis-et-Futuna. La deuxième repose sur le rapport de proportionnalité à long terme entre la quantité de monnaie en circulation et le niveau général des prix d’après la théorie quantitative de la monnaie. Le PIB de Wallis-et-Futuna est ainsi estimé à partir de la vitesse moyenne de circulation de la monnaie des territoires du Pacifique, supposée exogène. Si les résultats de ces méthodes sont fragiles car reposant sur des hypothèses fortes, elles permettent toutefois de valider les résultats de la méthode quasi-comptable.

De 2005 à 2019 : une économie encore dépendante du secteur public

 
En 2019, le PIB en valeur de Wallis-et-Futuna, exprimé en francs CFP courants, est estimé à 22,6 milliards F CFP (environ 189,4 millions d’euros), contre 18 milliards F CFP en 2005. Avec une population de 11 558 habitants, le PIB/habitant s’élève à près de 2 millions F CFP (soit 16 400 euros), représentant environ 45 % de celui de l’Hexagone. Il y a quinze ans, il en représentait 37 % avec 1,2 million F CFP/habitant (10 000 euros).
 
Par rapport aux autres territoires d’outre-mer, Wallis-et-Futuna se place en deçà du niveau médian. Son PIB/habitant se situe juste en dessous de celui de la Polynésie française (2,3 millions F CFP, environ 19 300 euros) et au-dessus de celui de la Guyane (1,9 millions F CFP, soit 15 633 euros). Cette comparaison ne prend toutefois pas en compte les différentiels de niveau général des prix entre territoires et doit donc être relativisée.
 
La hausse du PIB s’explique majoritairement par le secteur public, principal pilier de l’économie (55 % de la valeur ajoutée). Il est, de plus, le moteur de l’activité du secteur du bâtiment et des travaux publics qui dépend de ses investissements et favorise la consommation notamment au travers des salaires qu’il verse en tant que premier employeur de l’archipel (66 % de l’emploi déclaré). À l’inverse, le poids des ménages dans la valeur ajoutée créée s’est réduit de 26 % à 16 %. Il est essentiellement composé par l’autoproduction alimentaire et les loyers des propriétaires-occupants. Or, l’autoconsommation alimentaire a diminué au profit de la consommation marchande, bénéficiant notamment au secteur du commerce. Portée par ce dernier, la création de richesse du secteur privé a augmenté, mais celui-ci continue de ne représenter qu’à peine un quart de la valeur ajoutée totale, comme en 2005. À terme, la pérennité de ce modèle de croissance tirée principalement par la consommation publique peut être remise en question, d’autant plus que la population baisse sensiblement (-3,5 % entre 2018 et 2023) du fait d’une émigration massive.

Graphique 2 : Répartition de la valeur ajoutée en 2005 et 2019

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Graphique 2 : Répartition de la valeur ajoutée en 2005 et 2019

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Mise à jour le 3 Décembre 2024