La crise financière des années 2008-2009 semblait jusqu’ici être le second épisode notable de contraction du PIB de l’histoire moderne et a été ainsi nommée "Grande Récession". Pour autant, l’ampleur de la contraction du PIB en cours devrait lui être très supérieure. La récession associée au COVID-19 devrait à ce titre devenir, par son impact sur la croissance, la plus profonde depuis longtemps, après bien sûr la Grande Dépression.
Toutefois, une différence importante pourrait intervenir. La Grande Dépression qui est également une crise financière a été suivie d’un rattrapage qui a pris plusieurs années et ce malgré un contexte technologique très favorable (Gordon, 2000). Aux États-Unis, le niveau de 1929 est atteint à nouveau en 1936, pour la zone euro en 1937 (cf. Graphique 3); la croissance est revenue sur la même tendance qu’avant la crise après quelques années (avant l’interruption par la seconde guerre mondiale pour la zone euro), mais en restant très loin de son niveau tendanciel. La crise financière de la fin de la décennie 2000 a été suivie d’un retour à une croissance plus faible que sur la période antérieure, sans rattrapage significatif immédiat des pertes de PIB. De nombreux travaux montrent à cet égard que les crises financières auraient des effets très durables sur le PIB (Reinhard et Rogoff, 2009). Notamment parce que la période précédant les crises financières se caractérise par un mode de croissance non durablement soutenable, par exemple parce que basée sur une croissance continue des taux d’endettement qui dynamise la demande.
Un rebond plus rapide que lors des crises de 1929 et 2008 ?
La trajectoire de sortie de crise liée au Covid-19 sera largement commandée par les politiques sanitaires visant à protéger les populations, et qui pourront influencer le dynamisme tant de l’offre que de la demande. Ensuite, elle dépendra de l’état de l’outil de production en sortie de crise et de la dynamique de la force de travail efficace ainsi que de celle de la productivité.
Concernant l’outil de production, tous les pays ont engagé des politiques tant monétaires que budgétaires d’une ampleur sans précédent historique afin de réduire les risques de destruction de capital liés aux faillites des entreprises. Certes, l’investissement devrait être transitoirement affaibli durant la crise, mais le redémarrage économique devrait être largement facilité par le maintien en état de marche de l’outil de production.
Concernant la force de travail, les réactions des différents pays sont très contrastées, et liées aux différents contextes institutionnels. Certains comme les États-Unis laissent grandement jouer les mécanismes de marché, avec des licenciements en grand nombre et une forte augmentation des inscriptions au chômage, exposant les travailleurs concernés aux risques économiques ainsi que de perte de capital humain, mais facilitant les réallocations du travail au moment de la reprise. D’autres, comme la France, ont déployé de puissants, quoiqu’onéreux, dispositifs protecteurs comme le chômage partiel facilitant le maintien des travailleurs dans l’entreprise et réduisant ainsi les risques de perte de capital humain.
Concernant la productivité enfin, la crise du COVID-19 s’est amorcée à une époque où, hors période de guerre, ses rythmes de croissance étaient historiquement bas dans tous les pays. Il est tout à fait envisageable que ces rythmes demeurent faibles en sortie de crise et qu’ils soient même davantage pénalisés par un environnement international incertain pendant plusieurs années. De ce point de vue, les mesures prises par les institutions multilatérales pour stabiliser les pays en développement (moratoire sur la dette, prêts du FMI…) ou la coopération entre pays pour limiter les tensions financières (notamment swap entre banques centrales en dollars) pourraient contribuer à réduire le choc d’incertitude que constitue cette crise.
Le scénario d’un déploiement de l’économie numérique
Pour autant, un autre scénario plus favorable est envisageable : celui d’une accélération de la productivité résultant d’un choc d’utilisation du numérique qui a accompagné les politiques sanitaires et en particulier les périodes de confinement. Il s’agit là de la véritable entrée généralisée dans l’ère du travail numérique. Cela se traduit par exemple par un développement massif du télétravail dont la DARES indique qu’il pourrait concerner près de 40% des emplois en France, cette proportion étant évaluée à 34% aux États-Unis par Dingel et Neiman (2020). Ces formes de travail permettent une économie de temps (de transport en particulier) et un bouleversement de la demande d’immobilier commercial par les entreprises. Les gains de productivité associés concerneraient d’abord les activités de services dont la part est maintenant dominante dans l’économie.
Bart van Ark (2016) écrivait que l’économie numérique serait encore dans sa "phase d’installation" précédant une "phase de déploiement". La crise du COVID-19 peut faciliter cette transition rapide vers cette "phase de déploiement" de l’économie numérique, associée à des gains de productivité importants porteurs d’un retour à une croissance plus forte. Cela faciliterait le financement d’une baisse de l’endettement largement augmenté par les politiques de soutien et de protection déployées dans la crise.