Bloc-notes Éco

La numérisation, un facteur potentiel d’accélération des bank-runs ?

Mise en ligne le 26 Décembre 2024
Auteurs : Claire Brousse, Jules Joyez, Camille Riesi

Billet de blog n°382. En mars 2023, les clients de la banque californienne Silicon Valley Bank ont massivement retiré leurs dépôts, menant en quelques jours à sa faillite. La numérisation des services bancaires et les réseaux sociaux ont été des facteurs d’accélération d’un « run » bancaire en facilitant les retraits des dépôts non assurés et en amplifiant la panique. D’où les initiatives des régulateurs pour mieux prendre en compte ces nouveaux facteurs de risque.

Graphique 1 : Volume des recherches Google d’occurrences liées à Silicon Valley Bank au cours du mois de mars 2023

Image Les tendances Google présentées ici sont mesurées sous la forme d’un indice qui prend la valeur 100 pour le point d’intérêt de recherche le plus élevé pour l’un des termes sur le mois de mars 2023 à travers le monde Thématique Banques Catégorie Bloc-notes Éco
Source : Google Trends
Note : Les tendances Google présentées ici sont mesurées sous la forme d’un indice qui prend la valeur 100 pour le point d’intérêt de recherche le plus élevé pour l’un des termes sur le mois de mars 2023 à travers le monde

Entre le 8 et le 13 mars 2023, le volume des recherches Google d’occurrences liées à la Silicon Valley Bank (SVB) a augmenté de manière exponentielle, mettant en évidence une soudaine préoccupation sur la situation de cette banque qui a pu accélérer la panique bancaire et la faillite qui a suivi. Une panique bancaire (bank-run) est une situation causée par la peur des clients d’une situation d’insolvabilité de leur banque, engendrant des retraits massifs des dépôts bancaires.
 
Au-delà de SVB, plusieurs banques régionales américaines, dont Silvergate et Signature Bank, ont fait faillite en mars 2023 consécutivement à des paniques bancaires. Ces faillites ont été causées par des fragilités structurelles dont la concentration de leurs déposants et la part des dépôts non assurés, avec des causes et un déroulement spécifique à chaque banque. Les déposants de Silvergate ont ainsi retiré 68% de leurs dépôts au cours du dernier trimestre 2022, contrairement à SVB qui a connu un épisode de bank-run extrêmement rapide avec le retrait de 25% des avoirs de ses clients en seulement 24h (9 mars 2023).
 
Afin de prévenir ce risque de faillite rapide et de protéger les épargnants, des exigences prudentielles en capital et en liquidité imposent une exigence minimale de fonds propres pour absorber les pertes potentielles et la détention d’actifs liquides en quantité suffisante. Aux États-Unis, ces règles font néanmoins l’objet d’une proportionnalité selon la taille et l’activité des banques.
 
Parallèlement, les dispositifs de garantie des dépôts, qui couvrent jusqu'à 100 000 EUR dans l'Union européenne et 250 000 USD aux États-Unis, assurent aux déposants le remboursement de leurs dépôts en cas de défaillance de leur banque. Dans le cas de SVB, cette garantie s’est révélée insuffisante car plus de 90 % des dépôts dépassaient le plafond de garantie. Cependant, tous les dépôts ont pu bénéficier de cette protection sur décision des autorités américaines. 

La numérisation des services bancaires peut constituer un facteur d’accélération des retraits des dépôts

La numérisation croissante des services bancaires (accès aux comptes par site internet et application mobile 24h/7j, services de paiements et retraits instantanés, etc.) a des conséquences sur les comportements des clients. Cette tendance a été largement amplifiée du fait de la pandémie de la Covid-19. À titre d’exemple, 96% des Français ont consulté le site internet ou l’application de leur banque en 2022 et 74% d’entre eux avaient téléchargé l’application mobile de leur banque contre seulement 55% en 2018 (Fédération bancaire française, 2023). Ces services en ligne offrent de nombreux avantages pour les clients, dont la facilité d’accès à leurs comptes et la rapidité des transactions.

L’utilisation croissante des services bancaires mobiles peut néanmoins faciliter et accélérer les retraits des dépôts. La disponibilité 24/7 des transferts instantanés par le biais d’applications mobiles a considérablement réduit les délais nécessaires aux retraits de dépôts. La faillite de SVB s’est matérialisée en seulement deux jours de retraits des dépôts, contre plusieurs jours dans des exemples antérieurs (10 jours pour Continental Illinois en 1984, 9 jours pour Washington Mutual en 2008). Le taux de retrait maximal en une journée s’est élevé à 25% des dépôts (42 milliards de dollars) pour SVB contre seulement 2% pour la faillite de Washington Mutual (Graphique 2), ce qui a précipité sa faillite le 10 mars 2023.

Graphique 2 : Taux de retrait maximal des dépôts en une journée en proportion du total des actifs en valeur comptable 

Image Taux de retrait maximal des dépôts en une journée en proportion du total des actifs en valeur comptable de 4 banques américaines Thématique Banques Catégorie Bloc-notes Éco
Source : Federal Reserve

La faillite de SVB a ainsi été accélérée par la disponibilité 24h/7j des transferts instantanés (FMI, 2024). Ce mouvement de panique a notamment contribué à la chute de la valeur de l’action de SVB de 60% en une journée ; à titre de comparaison, il a fallu deux mois pour que la valeur de l’action de Lehman Brothers chute de 74% avant sa faillite en 2008 (Graphique 3).

Graphique 3 : Cours des actions de Silicon Valley Bank et Lehman Brothers
 

Image Cours des actions de Silicon Valley Bank et Lehman Brothers durant les 114 jours avant leur faillite Thématique Banques Catégorie Bloc-notes Éco
Source : Bloomberg

Les réseaux sociaux pourraient également accélérer la transmission de l’information et amplifier les phénomènes de panique bancaire


Les réseaux sociaux et les messageries privées permettent de diffuser et d’échanger des informations (ou des rumeurs) instantanément entre un grand nombre de personnes à travers le monde. 

Des économistes ont réalisé une étude des messages diffusés sur X (anciennement Twitter) avant et pendant la période de panique de mars 2023 (Cookson et al., 2023). L’analyse de la fréquence et de l’intensité des messages négatifs met en évidence que, dans le cas de SVB, les réseaux sociaux ont exacerbé la panique des déposants et qu’ils représentent un facteur d’accélération des retraits des dépôts (S&P Global, 2024). L’effet des réseaux sociaux pourrait être renforcé lorsque la concentration des déposants dans une même zone géographique ou un même secteur d’activité est forte, comme pour SVB. En effet, la clientèle de SVB était principalement constituée de déposants du secteur de la technologie avec une forte présence sur les réseaux sociaux dont les messages ont été largement et rapidement diffusés, ce qui a accéléré la panique.

 
Les évènements de mars 2023 ont conduit les régulateurs à étudier les risques associés à la numérisation sous un angle nouveau


Les risques associés à la numérisation du secteur avaient jusqu’à récemment été essentiellement étudiés à travers le prisme des enjeux de cyber-sécurité ou de concentration des acteurs. Les évènements de 2023 ont conduit à considérer la numérisation de la finance comme un amplificateur potentiel de risques pour la stabilité financière.

Un rapport du Financial Stability Board (FSB), daté d’octobre 2023, met en avant que : (i) la défaillance des banques peut avoir une incidence négative sur d’autres établissements financiers par contagion, du fait notamment des comportements des clients dans l’utilisation des services numériques et (ii) la rapidité des retraits des dépôts bancaires, permis par la numérisation du secteur, oblige à repenser la mise en œuvre opérationnelle des plans de résolution, qui doivent être applicables quasi immédiatement. Cela signifie que les banques doivent disposer d’un niveau de préparation adéquat en matière de mise en œuvre de leur stratégie de résolution. Les autorités doivent, quant à elles, être capables de s’assurer de la rapidité de leurs actions dans l’opérationnalisation des plans de résolution, et disposer de stratégies de communication adaptées visant notamment à restaurer la confiance des marchés et des déposants et atténuer les mouvements de panique (FSB, 2023). Des travaux complémentaires sont en cours pour mieux appréhender ces enjeux au sein du FSB qui devrait publier, d’ici la fin de l’année, un rapport sur le rôle de la technologie et des réseaux sociaux dans le comportement des déposants (FSB, 2024).

Par ailleurs, la rapidité des transactions et des communications pourrait rendre plus difficile l’anticipation des besoins de liquidité. Le Comité de Bâle note que (i) la numérisation de la finance élimine des frictions qui pouvaient ralentir l’ampleur des sorties de liquidités et que (ii) la prolifération des messages au travers de larges canaux de communication accélère la diffusion des inquiétudes, notamment parmi les déposants non assurés (BCBS, 2023). Le Comité de Bâle a publié un rapport sur la numérisation de la finance et des communications mentionnant celle-ci comme un possible facteur d’amplification des risques financiers traditionnels (BCBS, 2024). Ces préoccupations sont par ailleurs largement partagées par d’autres autorités comme la Réserve fédérale aux États-Unis (Federal Reserve, 2023) et la Banque Centrale Européenne (Financial Stability Review, 2023).
 
Ce contexte appelle, selon la Banque de France, à étendre les règles existantes à l’ensemble des banques du fait des interconnexions et des effets de contagion, à œuvrer au développement d’une supervision exigeante, rigoureuse et réactive, et à ajuster de manière ciblée le cadre réglementaire, notamment pour permettre un suivi plus granulaire des caractéristiques et de la concentration des déposants (Denis Beau, 2024).

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Mise à jour le 26 Décembre 2024