Bloc-notes Éco

La mondialisation a-t-elle accru la synchronisation des cycles économiques ?

Mise en ligne le 19 Avril 2017
Auteurs : Eric Monnet, Damien Puy

Billet n°15. À l’heure où s’annonce la première reprise synchronisée de la croissance mondiale depuis la crise financière de 2007-2008, il est naturel de s’interroger à nouveau sur les liens entre la synchronisation des cycles économiques et l’ouverture financière. Une baisse des flux de capitaux internationaux atténuerait-elle la synchronisation des cycles nationaux ? Une perspective historique montre que, contrairement à une idée reçue, les périodes de plus faible intégration financière mondiale n’ont pas été associées à un plus faible degré de synchronisation des cycles économiques.

Image Avant 2007, la mondialisation n'avait pas conduit à une plus forte synchronisation des cycles

Lors des réunions de printemps du FMI (20-22 avril), les autorités analyseront les récentes prévisions de croissance qui font état de la première reprise mondiale synchronisée depuis 2010, même si les révisions à la hausse ne concernent pas tous les pays. Parallèlement, les perspectives sur l’avenir de la mondialisation financière font toujours l’objet de débats, quelques années après la crise financière mondiale de 2007-2008. Cela relance les discussions sur les liens entre l’ouverture financière internationale et la synchronisation des cycles économiques au niveau mondial (FMI, 2013). Qu’attendre des économies mondialisées dans un monde post-crise financière ?

Dans une étude récente (Monnet et Puy, 2016), nous avons fourni un éclairage historique sur cette question, grâce à de nouvelles données trimestrielles disponibles à partir de 1950 dans les archives des publications du FMI. Tout d’abord, contrairement aux idées reçues, nous mettons en évidence le fait que la période du système de Bretton Wood (lorsque les flux internationaux de capitaux étaient limités) n’était pas caractérisée par une plus faible synchronisation des cycles économiques que lors de la période 1984 – 2006, au contraire marquée par une augmentation massive de l’ouverture financière et commerciale internationales. Ainsi, l’expérience historique depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale nous dit qu’un faible niveau d’ouverture financière n’implique pas, en soi, un faible niveau de synchronisation des cycles au niveau mondial.

Deuxièmement, nous montrons qu’il existe une relation négative entre l’ouverture financière d’un pays et son degré de synchronisation avec le cycle mondial – contrairement à l’ouverture commerciale - , bien que cette relation change de signe pendant la période de choc mondial consécutive à la crise financière de 2007. En dehors des périodes de crise financière mondiale, et pour un pays donné, un plus fort niveau d’ouverture financière implique un plus faible degré de synchronisation avec le cycle économique mondial.

Le facteur mondial et son influence sur les économies nationales depuis 1950

Bien que la théorie économique ne permette pas de tirer de conclusions quant à l’effet exact de l’intégration sur la corrélation entre les cycles économiques, il est souvent admis, et suggéré par plusieurs contributions empiriques, qu’une forte intégration financière et commerciale est associée à un degré plus élevé de synchronisation des cycles économiques. En corollaire, le système monétaire international de Bretton Woods – période durant laquelle les contrôles de capitaux étaient omniprésents et l’intégration financière et commerciale nettement inférieure aux niveaux observés auparavant et par la suite (Obstfled et Taylor, 2004) – est souvent présentée comme le point bas historique en termes de synchronisation des cycles économiques (Kose, Otrok et Whiteman, 2008). Est-il vrai que le monde est plus synchronisé aujourd’hui ? Est-il possible qu’un retour au monde de Bretton Woods, caractérisé par des contrôles des capitaux et la fixité des taux de change, se traduise par une diminution de la synchronisation des cycles économiques entre les différents pays ?

S’appuyant sur une nouvelle base de données relative à l’activité réelle (production industrielle) pour 21 pays depuis 1950, nos recherches ont d’abord montré qu’un facteur mondial (commun) très précis était à l’œuvre depuis 1950, même si son ampleur a fortement varié selon les périodes (Graphique 1 et 2). Comme Kose, Otrok et Whiteman (2008), nous estimons d’abord un "facteur commun mondial" qui reflète la composante commune de la croissance économique des différents pays (Graphique 2). Nous avons par ailleurs montré que la chronologie des fluctuations de ce facteur correspondait à ce qui était observé historiquement par les économistes dans les rapports annuels du FMI (Monnet et Puy 2016). Ensuite, nous calculons le pourcentage de la volatilité de la croissance de chaque pays qui est expliquée par le "facteur commun mondial". Une valeur élevée de ce pourcentage signifie que le cycle d’un pays est très synchronisé avec le reste du monde. Le facteur commun et les décompositions de la variance sont ainsi estimés et comparés pour plusieurs périodes.

Pas de différence entre Bretton Woods et la mondialisation

Le Graphique 1 montre la moyenne (entre pays) par période de cette mesure de la synchronisation des cycles. Comme prévu, nous trouvons que l’importance du facteur mondial en termes de dynamique des cycles nationaux s’accroît de façon très importante durant les périodes de chocs communs (1972-1983 et 2007-2014). Par exemple, d’après nos estimations, entre 2007 et 2014, 65 % de la variance de la croissance de la production dans notre échantillon relève du facteur mondial, suggérant que pratiquement aucun pays n’a évolué de façon isolée sur cette période. Contrairement aux idées reçues toutefois, nous ne constatons aucune différence en termes de corrélation entre la période de Bretton Woods (1950-1971) et la période de mondialisation (1984-2006). En moyenne, la dynamique mondiale explique 20 % de la volatilité de la production pour ces deux périodes. Ce résultat montre notamment que lorsque l’échantillon utilisé est plus long, on ne trouve pas d’éléments empiriques soutenant la thèse selon laquelle la mondialisation, avant la crise financière de 2007-2008, était associée à un degré plus élevé de corrélation au plan mondial.

Image Le cycle mondial depuis 1950, marqué par deux périodes de chocs communs
Graphique 2 : Le cycle mondial depuis 1950, marqué par deux périodes de chocs communs
Source: International Financial Statistics, cf. Monnet et Puy, 2016.
Note: facteur mondial estimé comme facteur bayésien dynamique

Pourquoi la synchronisation diminue-t-elle pour certains pays alors qu’elle se renforce pour d’autres ?

Si la synchronisation moyenne observée n’a pas changé entre le système de Bretton Woods et la période de mondialisation, on constate pourtant des évolutions très différentes selon les pays (Graphique 3). Certains comme le Royaume-Uni, la Belgique ou la Suède, qui affichaient une forte synchronisation avec le reste du monde pendant Bretton Woods, se sont fortement dissociés de la dynamique internationale durant de la période de mondialisation. En revanche, des pays comme la France, l’Italie et, dans une moindre mesure, les États-Unis, où prévalait une dynamique propre durant Bretton Woods, ont vu leur synchronisation avec le cycle mondial se renforcer par la suite avec la mondialisation. Un nombre important de pays affichent quant à eux un degré constamment faible (ou élevé) de synchronisation avec le reste du monde sur les deux périodes.

Image La synchronisation de certains pays a fortement évolué entre Bretton Woods et la période de mondialisation
Graphique 3 : La synchronisation de certains pays a fortement évolué entre Bretton Woods et la période de mondialisation
Source: International Financial Statistics, see Monnet et Puy, 2016.

Pourquoi la synchronisation diminue-t-elle pour certains pays alors qu’elle se renforce pour d’autres? Pour répondre à cette question, nous estimons simplement (sur données de panel) les déterminants du changement au cours du temps du degré de synchronisation du cycle d’un pays avec le reste du monde (Monnet et Puy, 2016). Nous montrons ainsi que les changements de synchronisation observés au cours des 65 dernières années peuvent s’expliquer, dans une large mesure, par les profils d’intégration commerciale et financière. En temps normal, nous trouvons qu’une intégration financière plus approfondie a un impact négatif sur la synchronisation d’un pays avec le cycle mondial. Un accroissement de l’intégration financière de 10 % - mesuré par le ratio de la somme des avoirs extérieurs et des engagements extérieurs rapportée au PIB - atténue la synchronisation avec le reste du monde de 1 %. Il est intéressant de noter que cet effet de "désynchronisation" est contrebalancé par des forces inverses en période de crise financière mondiale (depuis 2007), où les économies les plus intégrées financièrement affichent une plus forte synchronisation que les autres. En revanche, au cours de la période de chocs communs (1973-1984), liés aux prix du pétrole plutôt qu’à une crise financière mondiale, les pays qui étaient les plus ouverts n’ont pas montré une synchronisation accrue avec le reste du monde. Il y a donc bien une spécificité des chocs financiers. Enfin, l’intégration commerciale tend à accroître la synchronisation avec le reste du monde. Ainsi, l’intégration commerciale et l’intégration financière ont des effets inverses sur la synchronisation du cycle de production d’un pays avec le reste du monde.

Conclusion

La crise financière et économique mondiale a ravivé le débat autour de l’importance que la mondialisation a sur la synchronisation des cycles économiques. Nos travaux apportent un éclairage nouveau sur ces questions. Apparaît une relation négative entre l’ouverture financière et la corrélation avec le cycle d’activité mondial, même si cet effet s’est nettement atténué lorsque la crise financière a éclaté, à partir de 2007. L’intégration financière a un impact fort mais asymétrique sur la synchronisation des cycles : elle réduit la synchronisation en temps normal (effet de "partage du risque" ou de "rééquilibrage des portefeuilles") mais l’a accentué durant la récente crise financière mondiale (l’"effet contagion" est prépondérant). Ce résultat fait écho aux   résultats empiriques récents de la littérature qui examine les corrélations entre paires de pays et conclut également à une telle asymétrie, même si les chocs sont définis différemment (Kalemli-Ozcan, Papaioannou et Peydro, 2013).

Il reste à déterminer si les suites de la crise financière mondiale seront associées à une nouvelle période de plus faible synchronisation et au retour des facteurs de réduction de la synchronisation liés à l’ouverture financière.