La probabilité d’être en CDI un an et demi après est légèrement supérieure, entre 20 et 30 %, mais 50 à 60 % des personnes sont encore en CDD ou en intérim. La probabilité de transition vers un emploi stable reste donc faible, ce qui renforce le constat d’une forte augmentation de la rotation de la main d’œuvre depuis les années 90 (Picart, 2014). Cela montre que le marché du travail français est fortement segmenté : les personnes en CDD et en intérim ont tendance à le rester pour plusieurs années et accèdent difficilement aux CDI.
Salariés en CDD et intérim : plus jeunes et moins qualifiés que les CDI
Les CDD et les contrats d’intérim sont pourvus par des catégories spécifiques d’actifs. Ils concernent plus souvent des femmes et des personnes issues de l’immigration. La moyenne d’âge de ces salariés est relativement faible : 34 ans contre 42 pour les CDI. Les ouvriers représentent 34 % des CDD et intérimaires contre 23 % des CDI, les employés 36 % contre 32 % en CDI, tandis que la part des professions intermédiaires et des cadres est 7 points plus élevée en CDI qu’en CDD ou en intérim.
Les horaires atypiques concernent essentiellement des CDD et intérimaires et les temps partiels représentent 24 % des CDD et intérimaires contre 16 % des CDI. Les entreprises utilisant ce type de contrat sont plus souvent des entreprises de plus de 50 salariés (20 % contre 10 % pour les CDI) et les secteurs les plus concernés sont le secteur agricole, celui des activités techniques et scientifiques, les administrations publiques et les autres services.
Des salariés plus fragiles
Les travailleurs en CDD et les intérimaires sont également plus affectés par la conjoncture que les autres salariés. En utilisant les données françaises issues de l’enquête sur les salaires du Wage Dynamics Network de l’Eurosystème, on montre que la probabilité d’une baisse des CDD et intérimaires augmente de plus de 20 % suite à un choc négatif de demande (cf. Berson, 20171). Quand une entreprise réduit les CDI, elle réduit en général aussi les CDD et l’intérim. Les données de l’Enquête emploi de l’Insee montrent que la part des CDD et de l’intérim dans l’emploi total décroit au moment des crises économiques, comme en 2009 par exemple. La majeure partie des fluctuations dans les entrées en emploi sont dues aux entrées en CDD et en intérim, confirmant le fait que l’ajustement de l’emploi en France repose sur ces salariés (cf. Le Barbanchon et Malherbet 2013).
En outre, les salariés en CDD ou en intérim ont de plus faibles chances d’être formés pendant leur emploi. D’après l’enquête PIAAC de l’OCDE sur la formation des adultes, leur probabilité de recevoir au moins une formation relative à leur emploi est, en France, inférieure de 7 % à celle des autres salariés (calculs de l’auteur). Le nombre d’actions de formation reçues est également plus faible que pour les autres salariés. En revanche, le type de contrat de travail n’a pas d’impact sur la satisfaction au travail, ni sur la demande de formation.
Enfin, l’Enquête Emploi en continu de l’INSEE sur les années 2003 à 2016 permet de comparer des individus ayant les mêmes caractéristiques démographiques et sociologiques travaillant dans des entreprises similaires. Le fait d’être en CDD ou en intérim réduit le salaire reçu de 5 % à caractéristiques égales. En se focalisant sur l’écart de salaire entre les personnes en CDD et en intérim et celles en CDI, plus de 20 % ne peut pas être expliqué par les caractéristiques individuelles et serait probablement dû à un traitement différent de la part des employeurs.
La dualité a un coût économique et social important
Cette analyse des CDD et de l’intérim en France souligne la segmentation qui existe entre CDD et intérim et les contrats permanents (CDI ou fonctionnariat). Les personnes en CDD et en intérim ont tendance à rester dans ce type de contrats et peinent à accéder à un emploi stable. Ils bénéficient également moins de la formation professionnelle et sont moins bien rémunérés. Cette dualité du marché du travail a aussi des conséquences sociales importantes. D’une part, les individus n’obtenant que des CDD et des contrats d’intérim subissent des périodes de chômage fréquentes. D’autre part, les conséquences se font sentir sur d’autres marchés, par exemple en raison de difficultés à obtenir un logement ou un crédit.
Certaines politiques publiques sont envisageables pour réduire cette segmentation. L’écart de protection des emplois courts et longs peut contribuer à cette dualité. Les entreprises font reposer la flexibilité de leur main d’œuvre sur les contrats les plus aisés à terminer, c’est-à-dire les CDD et l’intérim. Selon certains économistes (Tirole et Blanchard, 2003 par exemple), le rapprochement du niveau de protection des deux types de contrat serait un moyen de réduire la segmentation du marché du travail car il deviendra moins avantageux d’utiliser les CDD. Des politiques d’incitations ont été également étudiées afin d’augmenter les embauches en CDI ou de favoriser les transitions des CDD et de l’intérim vers les contrats permanents. L’instauration d’un bonus-malus sur les cotisations d’assurance chômage semblable à celui en place aux États-Unis (Cahuc et Malherbet, 2001 et Cahuc et Prost, 2015 notamment) ou la taxation des contrats courts en contrepartie de subventions à l’embauche en contrats permanents (Berson et Ferrari, 2015) relèvent de cette catégorie de mesures.
[1] C. Berson 2017 "Les contrats atypiques en France", miméo.