Bloc-notes Éco

La Chine allège sa facture énergétique grâce au pétrole russe décoté

Mise en ligne le 27 Septembre 2023
Auteurs : Karine Ishii, Camille Macaire, Arthur Stalla-Bourdillon

Billet n°323. Face aux sanctions européennes, la Russie a réorienté une partie de ses exportations de pétrole brut vers d’autres pays, notamment la Chine. Ainsi, la Chine a bénéficié d’une décote sur le prix de ses importations de pétrole russe, indiquant que l’impact des sanctions s’est étendu au-delà des seuls flux entre la Russie et l’Europe.

Image Prix des importations chinoises de pétrole brut par origine et prix du Brent (USD/Baril)
Graphique 1 : Prix des importations chinoises de pétrole brut par origine et prix du Brent (USD/Baril)
Source : Administration générale des douanes de Chine, CEIC et Banque de France. Note : prix en moyenne mobile sur 3 mois

Depuis l’invasion russe en Ukraine, la Chine a reconfiguré ses importations de pétrole brut

Dans un contexte de ralentissement des perspectives économiques, les importations de pétrole brut de la Chine n’ont pas progressé en 2022, et ont même marqué une très légère baisse en volume (-1%). Mais cette stabilité masque une reconfiguration de la provenance des importations : dans le courant de l’année 2022, les données douanières chinoises indiquent une hausse de 8,2% en volume des importations de pétrole brut en provenance de Russie et un quasi doublement de ses importations en provenance de Malaisie (+90,6%). Dans le sillage de récentes publications (Babina et al., 2023, Hilgenstock et al., 2023) cherchant à analyser l’évolution des exportations d’hydrocarbures russes, ce billet vise à évaluer dans quelle mesure la Chine a profité de la situation consécutive à la guerre en Ukraine.

La tendance mentionnée ci-dessus s’est poursuivie au premier semestre 2023. La part du pétrole russe dans les importations chinoises en volume qui s’établissait autour de 15,5% depuis 2018 a augmenté de +1,4 point de pourcentage (pp) en 2022 puis +1,7pp à mi-2023 (soit +3,1pp en 18 mois) pour atteindre 18,6% du total au premier semestre 2023. La hausse de la part du pétrole russe dans les importations chinoises en volume depuis 2008 s’est ainsi accélérée à partir de 2022, faisant de la Russie le principal fournisseur de pétrole de la Chine, devant l’Arabie Saoudite (16,5%) et l’Irak (10,5%). Avec une hausse de +3,4pp en 2022 et de +2,1pp au premier semestre 2023 (soit +5,5pp en 18 mois) de sa part dans les importations chinoises, la progression est surtout exceptionnelle pour la Malaisie qui a exporté en 2022 vers la Chine un volume de pétrole supérieur à sa production annuelle des années précédentes :  ceci suggère que la Malaisie aurait réexporté du pétrole en provenance d’autres pays, et potentiellement de Russie. Au premier semestre 2023, la Malaisie devient le quatrième plus gros fournisseur de pétrole pour la Chine, alors qu’elle n’occupait que la 9ème position en 2021.

Image Évolution de la part des fournisseurs dans les importations chinoises de pétrole brut, en volume
Graphique 2 : Évolution de la part des fournisseurs dans les importations chinoises de pétrole brut, en volume
Source : Administration générale des douanes de Chine, CEIC et Banque de France. Note : 2023 indique le 1er semestre 2023

La Chine bénéficie d’une décote sur les prix du pétrole importé de Russie et de Malaisie

Si la guerre a entraîné une hausse importante de l’ensemble des prix de l’énergie dès la fin février 2022, le cours du pétrole russe a presque immédiatement été affecté à la baisse par rapport aux prix de référence internationaux comme le Brent. En effet, la réticence des acteurs du marché à acheter du pétrole russe, conjuguée aux sanctions annoncées puis progressivement mises en œuvre par les pays de l’UE et du G7, a entraîné une décote significative sur le prix du brut russe. L’écart de prix engendré semble avoir bénéficié à la Chine via ses importations de pétrole en provenance de Russie, et probablement par ricochet, de Malaisie. Les sanctions mentionnées incluent : d’une part, la politique de plafonnement du prix (« price cap »), visant à interdire à toute entreprise occidentale le transport – et l’assurance de ce transport - de pétrole russe si ce dernier a été facturé plus cher qu’un certain seuil (fixé à 60$/baril pour le brut) ; d’autre part, un embargo qui vise à interdire la quasi-totalité des importations par l’UE de pétrole en provenance de Russie.

Pour le pétrole importé de Russie en Chine, la décote s’est matérialisée dès le mois d’avril 2022 et a atteint un pic en juillet (-19% par rapport aux autres fournisseurs). Le prix a ponctuellement convergé avec celui du baril de Brent (de l’ordre de 80$/baril) en décembre 2022, mois où l’embargo et le « price cap » ont commencé à être appliqués, mais il s’en écarte de nouveau en 2023. Passant de 73$/baril en janvier à 67$/baril en juin, le prix du pétrole russe importé par la Chine reste à un niveau supérieur au price cap (60$/baril) mais inférieur au prix du Brent (-10% en moyenne sur le semestre). L’écart par rapport au prix moyen appliqué par les autres fournisseurs s’est par ailleurs accentué en 2023 (-12,7% au premier semestre 2023 contre -10,4% en 2022). Pour le pétrole importé de Malaisie, la décote existant avant la guerre en Ukraine ( -7% en 2021) s’est accentuée à partir d’avril pour s’établir en moyenne à -18,9% en 2022 et à -17,6% en 2023.

Ces décotes observées depuis 2022 par rapport au prix moyen des importations hors celles provenant de Russie et Malaisie, auraient permis une baisse de la facture énergétique chinoise de 6,6Md$ en 2022 et de 4Md$ au premier semestre 2023 sur le pétrole importé de Russie et de 4,9Md€$ en 2022 et 2,7Md$ en 2023 sur le pétrole importé de Malaisie. La Chine aurait ainsi économisé 18Md€ sur 18 mois (de l’ordre de 3,5% du total de la valeur des importations de pétrole brut).

Des importations de gaz naturel liquéfié reconfigurées, mais sans offrir d’opportunités similaires

Pour le gaz naturel liquéfié (GNL), les enjeux sont moins importants car les importations chinoises de GNL en 2022 ont représenté l’équivalent de 12% de la facture d’importations pétrolières de la Chine en valeur. Sur ce marché, l’importante hausse de la demande européenne, face aux besoins de substitution du gaz en provenance de Russie, a entraîné des tensions sur les prix. En l’absence de sanctions vis-à-vis des exportions russes de GNL, la Chine n’a pas pu bénéficier de décotes similaires à celles observées sur les exportations russes de pétrole brut. La Chine a certes renforcé ses importations de GNL en provenance de Russie (+42% en volume sur l’année), au détriment principalement de l’Australie, mais la Russie reste un fournisseur toujours minoritaire pour la Chine (graphique 3). La part de l’Australie a diminué de 5,7pp en deux ans, pour s’établir à 33,8% du volume des importations chinoises en juin 2023, et celle des États-Unis, qui avait sensiblement augmenté entre 2017 et 2021 pour atteindre 11,4% en 2021, est finalement retombée à moins de 3% en 2023. A contrario, les parts du Qatar et de la Russie dans les importations totales en volume ont augmenté respectivement de +13,3pp et +5,9pp en 18 mois.

Image Évolution de la part des fournisseurs dans les importations chinoises de GNL, en volume
Graphique 3 : Évolution de la part des fournisseurs dans les importations chinoises de GNL, en volume
Source : Administration générale des douanes de Chine, CEIC et Banque de France

Les données douanières n’indiquent pas de décote pour le GNL en provenance de Russie ou du Qatar. Au contraire, alors que le prix du GNL importé du Qatar était comparable au prix appliqué par l’Australie en 2022, celui du GNL russe était très largement plus élevé (+42% par rapport au prix australien). Cette surcote semble toutefois s’être progressivement résorbée au cours du premier semestre 2023.

Image Prix des importations chinoises de GNL par origine (USD/Tonne)
Graphique 4 : Prix des importations chinoises de GNL par origine (USD/Tonne)
Source : Administration générale des douanes de Chine, CEIC et Banque de France. Note : prix en moyenne mobile sur 3 mois

Du point de vue de la Russie, la réorientation de ses exportations vers des pays non-alignés tels que la Chine lui a permis de compenser partiellement les pertes liées à la baisse des importations des pays occidentaux, ce qui expliquerait en partie la résilience économique du pays en 2022. La décote persistante appliquée sur le pétrole russe importé par la Chine indique néanmoins que l’impact des sanctions s’est étendu au-delà des flux entre la Russie et l’Europe.