Bloc-notes Éco

Impact de l’inflation sur les entreprises vertes et brunes et effet sur la transition verte

Mise en ligne le 30 Janvier 2024
Auteurs : Pedram Pourabbasvafa

2e prix du concours 2023 du blog Bloc-notes Éco
Étudiant en doctorat à l’Université Panthéon Sorbonne
 

Billet de blog n° 343. L’impact unidirectionnel du coût de la transition verte sur l’inflation est actuellement étudié par les banques centrales. Il existe cependant des canaux par lesquels l’inflation peut impacter différemment les entreprises vertes et les entreprises brunes et en retour, affecter la transition verte. Cela crée un lien bidirectionnel entre inflation et transition verte qui mérite d’être davantage étudié.

Image Sources : Federal Reserve Economic Data (FRED), Trucost, Capital IQ Thématique Inflation Catégorie Bloc-notes Éco
Sources : Federal Reserve Economic Data (FRED), Trucost, Capital IQ
Note : La partie gauche du graphique présente les mesures moyennes sur la période 2016-2021 pour 790 entreprises cotées de la zone euro. La partie droite du graphique présente les taux d’inflation en IPP des biens d’investissement et les rémunérations horaires du travail dans le secteur privé, ainsi que leurs différences pour la zone euro.

La transition verte aura un coût avec des conséquences probables sur l’inflation (Dees et al. 2023, Ferrari et al. 2022). Dans le même temps, cette dernière peut avoir un impact inégal sur les entreprises, notamment sur les prix de leurs intrants (Chava et al., 2022). L’analyse de l’impact de la politique monétaire sur les entreprises vertes et brunes (Havrylchyk et Pourabbasvafa, 2023) montre des différences importantes entre les entreprises ayant de bonnes performances environnementales et celles qui n’en ont pas. Ce billet suggère que les mêmes différences peuvent influencer les canaux par lesquels l’inflation impacte les entreprises avec pour conséquence un effet inégal selon que les entreprises sont vertes ou brunes. Toutefois, il est difficile de déterminer le sens agrégé de cet impact.  

L’intensité en main-d’œuvre des entreprises vertes et brunes les expose de manière inégale aux tensions inflationnistes  

Les entreprises vertes ont tendance à être plus intensive en main-d’œuvre, tandis que les entreprises brunes sont plus intensives en capital (corporel). Le graphique 1 [partie gauche] montre la corrélation négative entre les intensités d’émissions des entreprises et leur ratio travail/capital (le ratio entre les EATP des entreprises et leurs immobilisations corporelles nettes réelles (corrigées de l’indice des prix de production (IPP)). Pour les entreprises se situant dans les 25 % inférieurs de l’intensité d’émissions (entreprises vertes), la médiane est de 35 salariés par million de dollars d’immobilisations corporelles nettes (propriétés, installations et équipements, PIEN dans ce qui suit), tandis que pour celles se situant dans les 25 % supérieurs (entreprises brunes), elle est de 7 salariés seulement. L’intensité en main-d’œuvre plus élevée des entreprises vertes reflète leur investissement en capital incorporel plus important (examiné ci-dessous) et leurs secteurs d’activité, généralement les services et/ou la technologie.  

Cet écart d’intensité en main-d’œuvre entre entreprises vertes et brunes, associé aux différences de rigidité des taux d’inflation pour les salaires et pour les biens d’investissement (graphique 1, partie droite), pourrait avoir pour conséquence un impact inégal de l’inflation sur les entreprises vertes et brunes. Lors des épisodes inflationnistes, les prix des intrants des entreprises vertes, soit principalement les salaires, sont soumis à des pressions à la hausse moins fortes que les prix des intrants des entreprises brunes, qui intègrent principalement des biens tangibles. Toutefois, en période de faible inflation, les entreprises vertes sont confrontées à une hausse des prix des intrants plus forte que les entreprises brunes en raison de la rigidité de la croissance des salaires, coût qu’elles ne peuvent pas répercuter sur leur production. 

Les effets de richesse et sur le crédit de l’inflation sont plus favorables aux entreprises brunes 

Les entreprises brunes détiennent en général nettement plus de capital corporel sous forme d’immobilisations corporelles (PIEN), et moins de capital incorporel (brevets et fonds de commerce, capital opérationnel et formation des salariés) que les entreprises vertes. Cette distinction transparait également clairement dans leurs investissements, les entreprises brunes affichant des dépenses en capital plus élevées et les entreprises vertes des dépenses en R&D et des investissements en capital organisationnel plus importants (graphique 2). 

Cette différence peut modifier l’impact de l’inflation sur les entreprises vertes et brunes de deux manières. Premièrement, l’inflation correspond à une augmentation des prix d’actifs tels que le capital corporel, sans incidence sur les prix du capital incorporel, ce dernier étant beaucoup plus difficile à valoriser (Falato et al. 2022). Par exemple, le capital incorporel constitué par la formation des salariés ou le capital organisationnel est très spécifique à l’entreprise et ne peut être échangé. D’où un effet de richesse de l’inflation pour les entreprises brunes disposant de capital corporel, alors qu’aucun effet de ce type n’est observé pour les entreprises vertes. 

Deuxièmement, le capital corporel peut être utilisé comme collatéral pour garantir des prêts bancaires, contrairement au capital incorporel, par nature difficile à redéployer et à valoriser (Falato et al. 2022). Par conséquent, la capacité d’emprunt des entreprises brunes se renforce lorsque l’inflation fait augmenter les prix du capital corporel, tandis que les entreprises vertes ne sont pas affectées de la même manière. Ces canaux fonctionnent tous deux de telle sorte qu’ils bénéficient de manière disproportionnée aux entreprises brunes en période d’inflation élevée.

Image Sources : Trucost, Capital IQ Thématique Inflation Catégorie Bloc-notes Éco
Sources : Trucost, Capital IQ
Note : Le capital corporel correspond au ratio PIEN sur total des actifs. L’investissement incorporel correspond à la somme de la R&D et de 30 % des frais de vente, dépenses administratives et autres frais généraux, tandis que l’investissement corporel correspond aux dépenses en capital. Les barres représentent des moyennes groupées.

L’effet de redistribution et la taxe inflationniste sont plus favorables aux entreprises brunes 

Disposant de moins de collatéral, les entreprises vertes sont davantage contraintes financièrement. Leur endettement est plus faible, mais leur trésorerie plus importante que les entreprises brunes. Elles consacrent plus de liquidités au financement de leurs besoins en investissements incorporels du fait de leurs difficultés à obtenir des prêts bancaires (Falato et al. 2022).

Lorsque l’inflation augmente, les entreprises vertes se retrouvent impactées plus négativement via deux canaux. Premièrement, l’inflation redistribue la richesse du prêteur vers l’emprunteur. L’endettement des entreprises brunes est systématiquement plus élevé que celui des entreprises vertes (graphique 3, partie droite). Ce canal avantage donc les entreprises brunes. Deuxièmement, la taxe inflationniste agit négativement sur les entreprises vertes qui détiennent plus de liquidités, en réduisant la valeur réelle de leur trésorerie, ce qui les désavantage. 
 

Image Sources : Trucost, Capital IQ Note : La trésorerie correspond au ratio de liquidité et de son équivalent rapporté au total de l’actif. L’endettement correspond à la dette totale rapportée au total des actifs. Entreprises vertes, entreprises brunes et barres : cf. graphique 2 Thématique Inflation Catégorie Bloc-notes Éco
Sources : Trucost, Capital IQ
Note : La trésorerie correspond au ratio de liquidité et de son équivalent rapporté au total de l’actif. L’endettement correspond à la dette totale rapportée au total des actifs. Entreprises vertes, entreprises brunes et barres : cf. graphique 2

Inflation et transition verte : un défi pour la politique monétaire 

L’inflation a des effets négatifs importants sur l’économie et les entreprises vertes sont significativement désavantagées dans quatre des cinq canaux d’inflation analysés précédemment. Cela laisse penser que l’inflation liée à la transition verte pourrait miner les efforts de cette transition elle-même. Aussi, si l’inflation est maintenue à sa cible pendant la mise en œuvre de la transition verte, celle-ci peut atteindre ses objectifs plus efficacement. 

Enfin, le seul canal par lequel l’inflation impacte positivement les entreprises vertes est celui de l’élargissement de l’écart entre les taux de croissance des prix et des salaires (examiné ci dessus). Cet article suggère que les rigidités salariales et la faible inflation peuvent exercer un impact négatif significatif sur les entreprises vertes à forte intensité de main-d’œuvre. Cela vaut particulièrement en zone euro, où la fixation des salaires demeure rigide et où la raison d’être d’un « coussin d’inflation » positif est reconnue par la BCE (Consolo et al, 2021). 

La sélection des lauréats a été réalisée par un jury indépendant d’experts et de chercheurs. Bloc-notes Eco a laissé toutes les opinions s’exprimer dès lors qu’elles sont argumentées. Les opinions exprimées dans les billets primés sont donc celles des auteurs et ne reflètent en rien ni la position de la Banque de France, ni celle des membres du jury. 
 

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