Bloc-notes Éco

Données climat : il faut sauter le pas !

Mise en ligne le 18 Mars 2022
Auteurs : Léa Grisey

Billet n°262. Les acteurs financiers font état de nombreuses lacunes en matière de données, qui entraveraient leur prise en compte des risques liés au climat. Or, si le manque de données fiables, comparables, prospectives et granulaires constitue un défi, des solutions provisoires permettent de le pallier. De plus, de récents travaux devraient permettre de progressivement combler les lacunes persistantes.

Image Graphique 1 : Lacunes en matières de données dans trois dimensions principales Source: Network for Greening the Financial System (NGFS), Progress report on bridging data gaps (2021), traduit par l’auteur
Graphique 1 : Lacunes en matières de données dans trois dimensions principales Source: Network for Greening the Financial System (NGFS), Progress report on bridging data gaps (2021), traduit par l’auteur

La prise en compte des risques liés au climat induit d’importants besoins de données

Le Progress report on bridging data gaps (2021) du Network for Greening the Financial System (NGFS) a identifié six principaux cas d’usages pour lesquels les acteurs financiers ont des besoins de données : (i) mesure de l’exposition, (ii) décisions d’investissement et de prêt, (iii) analyse de scénarios et stress-tests, (iv) reporting, (v) suivi de la stabilité financière et (vi) modélisation macro-économique. Ces cas d’usages s’appuient souvent sur des méthodologies d’analyse et de quantification et sur le calcul de métriques (empreinte carbone, scores d’alignement, etc.). L‘évaluation de l’exposition aux risques physiques, par exemple, consiste à mesurer l’impact lié à l’exposition et la vulnérabilité des actifs aux aléas climatiques, et la capacité d’adaptation à ces aléas. Pour les risques de transition, cela revient par exemple à mesurer l’impact sur les actifs qui résultera d’une transition vers un modèle économique bas-carbone. La prise en compte des risques liés au climat pour l’ensemble des cas d’usages requiert des données spécifiques (Graphique 2), qui doivent être à la fois fiables, granulaires et prospectives (horizon 10-15 ans et plus, contre 3 ans en général dans les modèles des acteurs financiers, et alors que les données disponibles offrent une appréciation rétrospective). Ces données doivent aussi permettre des comparaisons internationales des expositions des acteurs financiers.

Image Graphique 2 : Principaux besoins en données pour l’évaluation des risques physique et de transition Source : NGFS, Progress report on bridging data gaps (2021), mise en forme de l’auteur
Graphique 2 : Principaux besoins en données pour l’évaluation des risques physique et de transition Source : NGFS, Progress report on bridging data gaps (2021), mise en forme de l’auteur

Des lacunes en termes de disponibilité, fiabilité et comparabilité

Le manque de données prospectives (trajectoires d'émissions des entreprises par exemple) est problématique du fait de la forte non-linéarité des risques liés au climat. Certaines données ‘carbone’, comme les émissions Scope 3 (émissions indirectement produites par les activités de l’entreprise), ne sont par ailleurs que rarement disponibles. Dans certains cas, les données existent mais leur accès est difficile car elles sont dispersées entre différentes sources et/ou uniquement disponibles via des fournisseurs de données privés. Enfin, les données disponibles n'ont pas toujours la granularité ou la couverture géographique et sectorielle nécessaire.

Les données disponibles ne sont en outre pas toujours fiables, ne faisant que rarement l’objet d’un audit. La non-transparence des fournisseurs de méthodologies est également problématique dans la mesure où ces dernières reposent parfois sur l’utilisation de données estimées et/ou de méthodes de calcul et d’hypothèses qui diffèrent selon les fournisseurs, conduisant à des résultats variables ou incohérents.

Enfin, les différences de conception et d'orientation des cadres de reporting climatiques existants, ainsi qu'un manque de cohérence entre eux, rendent difficile la comparaison des données déclarées.

À court-terme, il faut mieux tirer parti des solutions et outils existants 

Le domaine des données climatiques étant encore en développement, disposer de données de haute qualité au niveau mondial pourrait prendre un certain temps. Les acteurs financiers doivent donc passer outre, et commencer à prendre en compte les risques liés au climat en ayant recours aux données et outils existants, qui s’avèrent des moyens utiles pour combler les lacunes à court-terme (NGFS, 2021).

Il convient d’abord de veiller à une meilleure dissémination des données existantes, qui sont parfois disponibles, mais d’une utilisation malaisée par des acteurs financiers et ou mal connues au-delà de la communauté scientifique. C’est notamment le cas des données relatives aux risques physiques, comme les données géo spatiales et météorologiques fournies par des plateformes publiques (Global Forest Watch du World Resources Institute ou Climate Data Dashboard de l’European Space Agency).

Par ailleurs, l’usage de proxies, estimations et données modélisées pour pallier l’absence de données brutes, ainsi que le recours à des approches qualitatives visant à améliorer la résilience et nécessitant moins de données (démarches d’engagement auprès des clients par exemple) sont aussi une alternative.

Enfin, les outils digitaux comme le machine learning facilitent l’accès aux données (rassembler des données dispersées, exploiter des données au format inexploitable). Ce chantier bien identifié donne déjà lieu à des initiatives visant à promouvoir l’innovation. Des initiatives d’open data ont aussi été lancées : les démarches analogues à Etalab ont permis de mettre dans le domaine public de nombreuses données pertinentes, tandis que la Commission Européenne a présenté sa proposition de règlement sur la mise en place d’un point d’accès européen unique aux informations financières et non-financières publiées par les entreprises. Enfin, des plateformes en accès libre (open source) ont récemment été créées (OS-Climateplateforme de l’ESA et de la NASA).

Le partage de connaissances sur l’exploitation de ces outils et des données disponibles reste nécessaire pour en tirer au mieux parti.

Des travaux sont entrepris pour combler les lacunes persistantes

L’identification des données disponibles restant un enjeu, la création de répertoires publics pointant vers les données existantes et informant les utilisateurs sur la meilleure façon d'accéder aux sources de données pertinentes est un progrès important. Le répertoire du NGFS (2022) permettra de produire une liste détaillée des données nécessaires à l’évaluation des risques liés au climat et de leurs sources. Les données pertinentes mais manquantes seront ainsi systématiquement identifiées, et les lacunes pourront être plus facilement comblées.

Au-delà, de récents rapports ont examiné les besoins en données des acteurs financiers (Financial Stability Board, 2021Bank for International Settlements, 2021), et émis des recommandations pour combler les lacunes persistantes. Le rapport du NGFS les regroupe en trois axes: (i) converger vers des normes de divulgation mondiales, (ii) adopter une taxonomie mondiale et (iii) développer des normes méthodologiques et des métriques plus transparentes. S’agissant de ces deux premiers axes, plusieurs initiatives sont en cours, notamment les travaux de l’European Financial Reporting Advisory Group et de la Fondation International financial reporting standards sur le développement de normes de reporting, et ceux de l’International Platform on Sustainable Finance sur les taxonomies. S’agissant du troisième axe, le Système européen de banques centrales coordonne des travaux de développement de méthodologies et indicateurs de référence pour estimer l’empreinte carbone des portefeuilles des institutions financières et leur exposition aux risques physiques. Sur les aspects données, enfin, un groupe de travail du BIS Innovation Network mène des travaux visant à en accroître l’utilisation dans le secteur financier, tandis que la troisième phase de la G20 Data Gaps Initiative accorde une large part au changement climatique, et que banques centrales et instituts statistiques nationaux collaborent dans le cadre du Committee on Monetary, Financial and Balance of Payments Statistics pour améliorer des bases de données environnementales existantes et développer un répertoire de données européen.

In fine, si les lacunes en matière de données climatiques sont réelles, elles ne constituent pas un obstacle absolu à la prise en compte des risques liés au climat par les acteurs financiers, et n’apparaissent donc pas insurmontables.

Mise à jour le 25 Mars 2024