Note : les émissions par personne au sein d’un ménage sont en moyenne inférieures à celles de l'homme ou de la femme célibataires, principalement parce que les émissions du ménage sont mutualisées entre tous ses membres, y compris les enfants.
Les travaux du GIEC ont établi que le dérèglement climatique représentait une menace majeure. S’il peut sembler à première vue que ce phénomène touche toute la population de la même manière, des études mettent en évidence des disparités de genre non seulement dans les comportements à l’origine d’émissions de gaz à effet de serre (GES), mais aussi dans les effets associés au dérèglement climatique.
Hétérogénéité de genre dans les émissions de gaz à effet de serre agrégées
Un premier angle d’interaction entre genre et climat est celui des disparités de comportements à l’origine d’émissions de CO2. Les différences de modes de transport, de régime alimentaire, ou de types de loisirs ont des conséquences en termes d’émission, et le genre fait partie des variables susceptibles de différencier les choix des individus en la matière.
Les méthodes d'estimation des émissions de GES fondées sur la consommation permettent d’allouer au consommateur final plutôt qu’au producteur les émissions liées au cycle de fabrication de produits ou services. Cette approche permet notamment de dépasser la perspective strictement territoriale des émissions de gaz à effet de serre, pour analyser plus finement les hétérogénéités dans les comportements à l’origine des plus fortes émissions de CO2.
Le graphique 1 (Carlsson-Kanyama et al., 2021) illustre une forme d’hétérogénéité dans les émissions liées à la consommation de trois types de ménages dans la population suédoise : la personne moyenne (au sein d’un ménage ou célibataire), l'homme célibataire moyen et la femme célibataire moyenne. Abstraction faite de tout autre critère, alors que le volume total de dépenses d’un homme célibataire est d’à peine 2 % plus élevé que celui d’une femme célibataire, les postes de consommation des hommes sont à l’origine de 16 % de plus de GES en moyenne. Les femmes célibataires consomment ainsi davantage de produits et services à faible empreinte environnementale, tandis que les hommes célibataires dépensent davantage (70 % de plus) pour des biens et services à forte intensité de GES, notamment le carburant.
Cette approche fondée sur le critère du genre ne signifie pas qu’hommes et femmes constituent des groupes homogènes, ou que cette variable explique l’ensemble des disparités observées. Pour autant, les recherches citées ci-dessus relatives au cas de la Suède rejoignent les conclusions d’autres analyses plus largement, au sein de l’Union européenne (Räty et al., 2010), ou sur le périmètre des pays de l’OCDE (OCDE, 2021). Ces travaux montrent que le genre est un déterminant pertinent parmi d’autres variables explicatives telles que le lieu de résidence, l’âge, ou encore l’état de santé, mais que le niveau de revenu joue un rôle souvent plus important pour expliquer les disparités d’émissions au sein d’une population.
Des comportements environnementaux différenciés au plan individuel et dans le contexte professionnel
Au sein même des postes de dépense (par exemple, l’alimentation), les disparités exposées reposent sur des différences de consommation individuelle, telles que le comportement alimentaire. Des travaux ont établi le fait qu’une alimentation moins carnée engendre une plus faible quantité d’émissions. Or, le choix du régime alimentaire présente une corrélation avec le critère du genre : ainsi, en France, en 2020, 2,2 % de la population déclarait adopter un régime sans viande, et 24 % se considère flexitarienne (i.e. limite sa consommation de viande sans la supprimer totalement). Parmi ces catégories, les femmes représentent 67 % des personnes végétariennes et 65 % des flexitariennes (IFOP, 2021).
Certains travaux ont également montré que les femmes occupant des postes de direction en entreprise sont plus susceptibles de mener leur société vers des stratégies plus durables. Ainsi, les recherches existantes avancent que les femmes font preuve d'une plus forte propension à protéger l'environnement, et d'une plus grande attention pour la dimension RSE de l'entreprise (Liu, 2018). Des travaux constatent également l’effet bénéfique de la diversité de genre au sein des conseils d'administration sur la consommation d'énergie renouvelable (Atif et al., 2021), et pour les banques sur l’octroi de prêts en faveur d’entreprises moins polluantes (Gambacorta et al., 2022).
Vulnérabilité exacerbée aux risques physiques provoqués par le dérèglement climatique
Si les travaux cités plus haut permettent d’identifier certaines hétérogénéités entre hommes et femmes dans les comportements contribuant aux émissions de GES, d’autres études soulignent des disparités de genre dans la vulnérabilité aux effets du dérèglement climatique. Le GIEC a ainsi établi que ces effets sont particulièrement sévères pour les groupes de population les plus pauvres, qui dépendent davantage des ressources naturelles pour leur subsistance et disposent d’une moins grande capacité d’adaptation aux événements climatiques extrêmes (GIEC, 2014). Or, selon les Nations Unies, les catégories de population les plus pauvres sont majoritairement concentrées dans des zones où les risques climatiques sont particulièrement sévères. Dans ces populations, les femmes ont généralement un accès moindre à la terre, à l’éducation, à l’information et aux ressources financières. La conjonction de ces facteurs de vulnérabilité physiques propres aux populations les plus pauvres, et de facteurs socio-économiques propres aux femmes dans ces populations, engendre une exposition relativement plus élevée des femmes aux effets du changement climatique par rapport à la population globale (Nations Unies, 2022).
La répartition géographique mondiale des personnes en situation d’extrême pauvreté n’est pas la seule origine des conséquences différenciées du dérèglement climatique sur les hommes et les femmes ; elles reposent également sur les disparités de rôles et responsabilités au sein des ménages et des communautés. Le tsunami survenu en 2004 au Sri Lanka a illustré la manière dont les catastrophes naturelles peuvent interagir avec ces tendances structurelles : 70 % des victimes étaient des femmes, ce que des travaux expliquent notamment par le fait qu'elles ont été plus nombreuses à avoir fait passer la sécurité des membres de leur famille avant la leur, et qu'elles étaient souvent plus vulnérables et moins au fait des moyens de se protéger (Rahiem et al, 2021). Selon les Nations Unies, l’ouragan Katrina qui frappa les États-Unis en 2005 causa également davantage de décès parmi les femmes que les hommes (Nations Unies, 2016). De même, l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des événements climatiques extrêmes engendre des phénomènes de déplacement de population, parmi lesquels les femmes sont là aussi surreprésentées, à hauteur de 80 % de la population totale déplacée (Nations Unies, 2022).
L’enjeu de cette analyse est de souligner le rôle que peut jouer le genre, parmi d’autres critères tels que le revenu ou l’implantation géographique, dans les analyses liées à l’environnement. Les politiques publiques nationales et les cadres d’action internationaux pourraient gagner à tenir compte des interactions entre genre et environnement pour renforcer leur efficacité, et leur articulation avec les objectifs de justice climatique.