Bloc-notes Éco

Des marchés en voie de normalisation en 2023 après des épisodes de stress en 2022

Mise en ligne le 22 Juin 2023
Auteurs : Luis Miguel Tavares

Billet n°318. 2022 a été marquée par d’importantes corrections de marché dans un contexte de tensions géopolitiques et de normalisation de la politique monétaire. Si le système financier a bien absorbé ces chocs, des épisodes localisés de stress ont souligné certaines vulnérabilités. L’indicateur de stress de marché de la Banque de France permet de suivre l’origine et l’évolution des tensions sur les marchés.

Image Graphique 1 : Un stress de marché situé à des niveaux élevés durant l’ensemble de l’année 2022 Description Graphique 1 : Un stress de marché situé à des niveaux élevés durant l’ensemble de l’année 2022 Source : Bloomberg, SFTDS, Banque de France.
Graphique 1 : Un stress de marché situé à des niveaux élevés durant l’ensemble de l’année 2022 Source : Bloomberg, SFTDS, Banque de France.
Note : le z-score composite de l’indicateur de stress de marché représente la moyenne des z-score des marchés (souverain, crédit, actions, change, matières premières et financement court terme).

L’indicateur de stress de marché, développé par la Banque de France dans le cadre de sa mission de suivi des risques et des vulnérabilités financières, répond à une triple exigence : i) donner un signal clair en quasi temps réel de l’apparition de tensions, ii) les mettre en perspective historique, iii) évaluer la normalisation des marchés. Cet indicateur composite est calculé mensuellement à partir de 32 sous-indicateurs.

Il met en exergue des niveaux de tensions sur les marchés internationaux rappelant ceux observés en 2020 lors du pic de la crise liée à l’épidémie de Covid-19. Alors que l’épisode de stress de marché de 2020 était soudain et temporaire, les tensions se sont maintenues à un niveau historiquement élevé sur l’ensemble de l’année 2022.

Une mesure transversale du stress sur les marchés par une méthode statistique d’extraction de signal

L’indicateur composite de stress de marché retrace les évolutions de six catégories de marchés et est décliné par zone géographique, ce qui permet d’identifier les contributions de chaque catégorie et de chaque région au stress global. Il repose sur un faisceau d’indicateurs informatifs sur l’état des tensions provenant notamment d’indicateurs prospectifs basés sur des prix ou des volatilités implicites de produits dérivés qui permettent de suivre les anticipations de marché. À titre d’exemple, les tensions sur les conditions de financement des acteurs non-financiers apparaissent dans la catégorie de marché « Crédit » qui regroupe les informations sur les spreads de contrats d’échange sur le risque de crédit (CDS), les primes de risque de crédit, et la forme de la courbe de primes de risque par notation de crédit. Chaque catégorie est composée de 4 à 8 indicateurs normalisés avec au moins 15 ans d’historique.

La mise en perspective, historique et géographique, permet d’apprécier, suite à un choc, la rapidité et l’ampleur du retour à la normale sur les marchés. Une valeur supérieure/inférieure à 0 indique un niveau de stress supérieur/inférieur à la moyenne historique.

L’indicateur identifie les épisodes de stress de 2008 (niveau exceptionnellement élevé dans l’ensemble des zones géographiques suite à la faillite de Lehman Brothers) et de 2012 (stress plus particulièrement localisé en Europe).

Des tensions de marché alimentées par la volatilité des taux d’intérêt et des prix de l’énergie

L’invasion de l’Ukraine par la Russie a accru le niveau de tensions sur les marchés de matières premières (cf. Graphique 2), notamment sur les marchés de l’énergie, déjà marqués par une tendance à la hausse des prix et de la volatilité depuis fin 2021, ce qui a entraîné une dégradation de l’environnement macroéconomique global, en accentuant les pressions inflationnistes préexistantes et réduisant les prévisions de croissance. Ce nouveau régime d’inflation à court terme s’est traduit par une accélération de la normalisation des politiques monétaires, facteur déterminant de l’évolution des marchés en 2022. Les marchés de taux souverains ont enregistré de vives tensions à partir de mars 2022 en raison de la volatilité accrue des taux sur l’ensemble de la courbe des rendements, notamment sur la partie courte, dans un contexte d’incertitudes sur le rythme de hausse des taux directeurs des grandes banques centrales. Les marchés actions et de crédit ont également connu d’importantes revalorisations et une hausse de la volatilité, même si ces catégories contribuent plus modestement à l’indicateur global de stress.

Les acteurs financiers et non financiers ont dû faire face à une nette augmentation des appels de marge sur les produits dérivés et les repo liés aux marchés les plus volatils (taux, énergie). Le choc sur les marchés de l’énergie a soumis les intervenants à des besoins accrus de liquidité afin de financer les appels de marge sur leurs positions dérivées. Depuis fin septembre 2022, ces tensions de liquidité ont amplifié le niveau de tensions sur les marchés repo, déjà caractérisés par une rareté du collatéral (cf. Financement de court terme sur le Graphique 2).

Si le système financier s’est montré résilient face à la remontée des tensions de marché, celles-ci ont pu mettre sous pression les acteurs les plus fragiles, en particulier les intermédiaires financiers non bancaires les plus exposés aux risques de levier et de liquidité.

Image Graphique 2 : Pour la France, le stress est directement lié à la forte volatilité des marchés de dette souveraine Description Graphique 2 : Pour la France, le stress est directement lié à la forte volatilité des marchés de dette souveraine Source : Bloomberg, SFTDS, Banque de France.
Graphique 2 : Pour la France, le stress est directement lié à la forte volatilité des marchés de dette souveraine Source : Bloomberg, SFTDS, Banque de France.
Note : contributions au stress de marché.

Un stress global suivi d’une normalisation des marchés différenciée entre les zones géographiques

L’indicateur de stress de marché illustre à la fois une forte synchronisation internationale des tensions de marché et les facteurs propres à chaque juridiction.

La remontée de l’inflation et la hausse des taux, dans le sillage de la reprise post-Covid et de l’invasion russe de l’Ukraine, ont impacté de manière conséquente l’ensemble des marchés mondiaux conduisant à une augmentation parallèle du stress global au sein des différentes régions suivies, vers des niveaux proches de ceux de mars 2020 (cf. Graphique 1). Cet effet de contagion s’est légèrement dissipé à partir de juillet 2022, sous l’effet d’une différenciation plus marquée entre les trajectoires d’inflation des différents pays, en particulier au Royaume-Uni et aux États-Unis.

La hausse de l’indicateur composite britannique reflète notamment les tensions sur la dette souveraine à l’automne 2022 (cf. Graphique 1), alimentées par des ventes massives de titres souverains par les fonds de pension britanniques, exposés à des appels de marge significatifs du fait de positions à effet de levier importantes. Ces secousses n’ont pas engendré de contagion aux autres régions.

Outre Atlantique, le ralentissement de la progression de l’inflation s’est traduit par une révision à la baisse de la trajectoire de taux court. Ces nouvelles anticipations ont contribué à limiter les tensions sur le marché repo nord-américain. Alors que, sous l’effet de la crise en Ukraine, le différentiel de stress entre Europe et États-Unis (US) s’était resserré, dès août celui-ci s’est de nouveau élargi pour revenir aux niveaux de fin 2021. La plus forte attractivité des taux d’intérêt nord-américains a contribué à alimenter la volatilité sur le marché des changes. Les marchés souverains ont affiché des niveaux de stress élevés, dans un contexte de détérioration des conditions de liquidité liée à la forte volatilité et à la hausse des coûts de transactions.

Depuis octobre 2022, l’indicateur de stress indique une normalisation progressive des marchés financiers. Il atteint début mai un niveau deux fois plus faible qu’en octobre 2022 (cf. Graphique 1), aussi bien en Europe qu’aux États-Unis. S’il subsiste une divergence notable des trajectoires de stress de marché entre les États-Unis et l’Europe sur le marché repo, néanmoins, les tensions de 2022 liées notamment à la rareté du collatéral se sont nettement apaisées depuis début 2023. Enfin, il convient de rappeler que l’indicateur n’a pas une vocation prédictive et ne présage pas de l’évolution des marchés pour 2023. Il apporte, néanmoins, un éclairage utile pour suivre les tensions et leur normalisation, tout particulièrement en période turbulente comme celle connue au cours de l’année 2022.

Image Graphique 3 : Des sources de stress différentes en Europe (gauche) et aux États-Unis (droite) Description Graphique 3 : Des sources de stress différentes en Europe (gauche) et aux États-Unis (droite) Source : Bloomberg, SFTDS, Banque de France.
Graphique 3 : Des sources de stress différentes en Europe (gauche) et aux États-Unis (droite) Source : Bloomberg, SFTDS, Banque de France.