Bloc-notes Éco

Cotation des entreprises : une info au service de la relation bancaire

Mise en ligne le 14 Mars 2019
Auteurs : Christophe Cahn, Mattia Girotti, Federica Salvadè

Billet n°108. Le secteur bancaire évalue les risques de crédit associés aux emprunteurs. Quelles sont les conséquences à attendre d’une information produite par une tierce partie ? Exploitant un changement dans la méthodologie de cotation de la Banque de France, ce billet montre comment la communication d’une information plus détaillée sur les entreprises permet d’accroître l’offre de crédit à leur bénéfice.

Image Graphique : Les entreprises dont la cote est affinée obtiennent plus de crédit
Graphique : Les entreprises dont la cote est affinée obtiennent plus de crédit

Source : Cahn, Girotti et Salvadè, 2018

Note : L’offre relative de crédit est mesurée par la variation trimestrielle des encours de crédits en % du total de bilan, apurée des différences liées entre autres au secteur, à la période et aux caractéristiques inobservables des entreprises.

Dans les opérations de crédit, la question de l’asymétrie de l’information est une préoccupation de premier plan. Le dépositaire des fonds doit s’assurer que l’utilisateur sera en mesure d’en garantir le remboursement, alors qu’il ne contrôle que partiellement l’usage de ces fonds. Bénéficiant de jure d’un monopole quasi-exclusif des opérations de crédit, les banques ont développé des techniques d’analyse et de contrôle des risques qui caractérisent leur activité.

L’analyse du risque de crédit se fonde sur l’exploitation d’un ensemble d’informations, regroupées schématiquement en deux catégories : i) l’information vérifiable, issue des états financiers le plus souvent, à partir de laquelle la banque peut formuler une prévision de défaut (comme le score de Altman) ; ii) l’information acquise au cours des interactions entre la banque et l’entreprise, qui constitue donc une information privée pour la banque. Selon l’importance accordée par une banque à l’un ou l’autre type d’information, on parle d’opération bancaire transactionnelle ou relationnelle.

L’accumulation d’information privée caractérisant les opérations relationnelles confère une rente informationnelle à la banque qui en est à l’origine. Par essence, il n’existe pas de marché pour cette information. Elle peut être ainsi exploitée par la banque afin de proposer des conditions de crédit à son avantage vis-à-vis de l’entreprise liée qui se retrouve captive ; une situation qualifiée de hold-up dans la littérature économique (voir par exemple les développements théoriques de Sharpe 1990 et Rajan 1992). Dans le cas des entreprises multi-bancaires, certaines banques préfèreront déléguer leur fonction d’analyse de crédit à celles disposant d’une information privilégiée (une situation de passager clandestin décrite par Carletti et coll. 2007).

Dans ce contexte, les agences de cotation de crédit jouent un rôle prépondérant comme pourvoyeurs d’informations et permettent de répondre en partie aux problèmes d’asymétrie d’information. Cahn, Girotti et Salvadè (2018) illustrent ceci à travers l’analyse du changement dans la méthodologie de cotation des entreprises de la Banque de France, intervenu en 2004.

La cotation Banque de France et la réforme méthodologique de 2004

En attribuant une cotation aux sociétés non financières, la Banque de France apporte son soutien à la mise en œuvre de la politique monétaire et aux mesures visant à maintenir la stabilité financière. Ainsi, les institutions monétaires et financières peuvent se refinancer auprès de l'Eurosystème en nantissant leurs créances détenues sur les entreprises, à condition que celles-ci aient une cotation suffisamment élevée. En outre, cette cotation peut être utilisée par les établissements de crédit pour évaluer la solidité de leur portefeuille de prêts, en particulier lorsqu'ils calculent les exigences en fonds propres dans le cadre réglementaire (voir Schirmer 2014 pour plus d’information sur la cotation et son utilisation).

L’analyse du risque de crédit se caractérise par une cote, correspondant à un niveau dans une échelle de cotation. La Banque de France attribue gratuitement cette cote aux entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse 750 000 euros. Celle-ci est ensuite mise à disposition du secteur bancaire, ainsi que la quasi-totalité des informations financières sous-jacentes, au travers du Fichier bancaire des entreprises (Fiben).

L’échelle de cotation disposait de 4 niveaux jusqu’en avril 2004. À cette date, la Banque de France a affiné cette échelle en créant des classes intermédiaires et en la complétant par des niveaux supplémentaires (voir Schéma). Ce changement s’est principalement traduit par l’introduction de seuils complémentaires s’appliquant à certains ratios financiers. Ceux-ci permettent de ventiler les entreprises au sein d’une même classe. Ainsi, alors que l’information financière sous-jacente restait inchangée, les cotes de certaines entreprises se sont appréciées (par exemple de 3 à 3++ ou 3+), quand celles d’autres sont restées stables (3 contre 3). Dans le jargon économique, ce changement méthodologique constitue une « expérience naturelle » permettant en particulier d’identifier l’influence de la cote sur l’offre de crédit aux entreprises.

Image Schéma : L’échelle de cotation s’affine et se diversifie
Schéma : L’échelle de cotation s’affine et se diversifie

Source : Cahn, Girotti et Salvadè, 2018

Conséquences de la réforme et enseignements

La réforme a permis aux entreprises bénéficiant d’une revalorisation relative de leur cote d’obtenir un surcroît de crédit, en tous cas au moment même de cette revalorisation, comme l’illustre le graphique. Ainsi, les entreprises bénéficiaires auraient reçu un crédit supplémentaire d’environ 1,2% de leur total de bilan par an.

Cependant, il convient de s’interroger sur les causes de ce surplus de crédit. En particulier, comment celui-ci découle-t-il de l’information transmise au travers de la cote et de l’exploitation qui en est faite par les banques ? Si les banques utilisent le contenu informationnel de la cote, les effets devraient être d’autant plus forts qu’une banque ne dispose que de peu d’information sur son débiteur. Dans ce cas, les effets de la réforme varieraient selon les différences informationnelles qui caractérisent la relation banque-entreprise.

Deux raisons peuvent expliquer ces différences. La première tient au fait que les activités de monitoring et de supervision engendrent des coûts pour la banque. La deuxième est liée au fait que l’incitation à opérer ces mêmes activités peut dépendre de l’ampleur de l’engagement de la banque dans la relation de crédit. Cahn, Girotti et Salvadè (2018) confirment cette intuition. Leurs estimations montrent que l’effet positif de la revalorisation est d’autant plus fort que la distance entre la banque et son débiteur est plus importante ou que le nombre de produits placés par cette banque auprès de son débiteur est limité. De plus, les effets sont d’autant plus forts que la banque est moins engagée dans la relation bancaire, comme c’est le cas pour une banque secondaire.

Pour le secteur bancaire, deux enseignements majeurs apparaissent : i) à l’évidence, la réforme de 2004 a permis d’accroître le flux d’information à destination des banques ; ii) l’offre accrue de crédit de la part des banques « secondaires » évoque une réduction du problème de captation mentionné plus haut. Ceci est illustré par une probabilité plus importante de nouer une nouvelle relation bancaire après la réforme, résultat confirmé par l’analyse économétrique.

Pour les entreprises, cette même analyse confirme les effets positifs de la réforme. Elle s’est traduite au cours de l’année suivant la mesure par une baisse du coût du crédit de 15 points de base et  par un surcroît de crédit bancaire, donnant lieu in fine à plus d’investissement.