Bloc-notes Éco

Comment renforcer le filet de sécurité mondial face à la montée des risques ?

Mise en ligne le 30 Juillet 2019
Auteurs : Marie-Hélène Ferrer, Ludivine Berret, Céline Rochon

Billet n°126. Dans un monde marqué par une réduction des marges de manœuvre budgétaires et monétaires ainsi que par une montée des risques, renforcer le filet de sécurité mondial est souhaitable, en plus d’une meilleure coordination des politiques macroéconomiques. Ce sujet, discuté au sein du G7 sous Présidence française, plaide pour un multilatéralisme accru (cf. billet « Le G7, un moteur du multilatéralisme ? »).

Image Graphique 1 : Évolution de la taille et de la composition du filet de sécurité mondial* Source: FMI, Adequacy of the Global Financial Safety Net, 2016.
Graphique 1 : Évolution de la taille et de la composition du filet de sécurité mondial* Source: FMI, Adequacy of the Global Financial Safety Net, 2016.

* Le filet de sécurité mondial ou Global Financial Safety Net (GFSN) est un ensemble de mécanismes et d’instruments visant à procurer une assurance  pour prévenir ou  traiter les crises de balance des paiements en fournissant de la liquidité internationale. Il se compose des réserves de change, des accords de swap entre banques centrales, des ressources du FMI, et des arrangements financiers régionaux.

Face à des risques accrus, un filet de sécurité mondial solide est plus nécessaire que jamais

Plus de dix ans après la crise de 2008, les marges de manœuvre économiques de nombreux pays demeurent réduites, et les risques pesant sur l’économie mondiale ont augmenté et changé de nature. Cette crise a révélé le rôle amplificateur du cycle financier par rapport au cycle réel. Elle a notamment engendré, du fait des politiques contracycliques mises en place,  un endettement élevé et difficilement maitrisable (d’après le FMI, l’endettement global de ses 190 pays membres correspond à 225% de leur PIB agrégé) avec des effets de contagion au niveau mondial. De plus, l’exposition du système financier mondial aux risques liés à l’intermédiation financière non bancaire (« shadow banking ») s’est accrue : la valeur totale des actifs dans le secteur non bancaire est en constante augmentation depuis la crise, passant  de 99 230 Milliards d’USD en 2008 à 183 100 Milliards d’USD en 2017 d’après le Conseil de stabilité financière  (Graphique 2).

Image Graphique 2 : Évolution de la taille et de la part du secteur non-bancaire dans le secteur financier Source : données FSB (Global Monitoring Report on Non-Bank Financial Intermediation 2018) portant sur 29 pays + Zone euro. *Shadow banking : compagnies d’assurance, fonds de pension et autres intermédiaires financiers
Graphique 2 : Évolution de la taille et de la part du secteur non-bancaire dans le secteur financier Source : données FSB (Global Monitoring Report on Non-Bank Financial Intermediation 2018) portant sur 29 pays + Zone euro. *Shadow banking : compagnies d’assurance, fonds de pension et autres intermédiaires financiers

L’ensemble de ces risques appellent à un renforcement du filet de sécurité mondial (ou GFSN – Global Financial Safety Net).

Le GFSN est un ensemble de mécanismes et d’instruments visant à procurer une assurance  pour prévenir ou  traiter les crises de balance des paiements en fournissant de la liquidité internationale. Les accords de Bretton-Woods avaient donné ce rôle au FMI qui en reste le maillon central. Depuis, le GFSN s’est développé en s’enrichissant de nouvelles strates  (Graphique 1). En témoignent notamment la création de nouveaux arrangements financiers régionaux (AFR), comme le Fonds eurasien pour la stabilité et le développement, ou leur renforcement (le Fonds monétaire Arabe, la Chiang Mai initiative - CMIM, le Fonds latino-américain de réserves – FLAR, et le Contingent Reserve Arrangement des BRICS)1. La crise financière a, par ailleurs, entrainé une hausse des réserves de change au niveau mondial (11 992 Mds de dollars en décembre 2018 excluant l’or, contre 7 604 Mds de dollars en décembre 2008) et notamment dans les pays émergents (4266 Mds de dollars en 2018 excluant l’or contre 2832 Mds de dollars en 2008), à des fins essentiellement précautionnelles. Enfin, la crise a poussé à l’adoption de solutions flexibles telles que le recours à des accords de swaps entre banques centrales. De fait, même si les ressources du FMI ont été accrues depuis la crise, notamment grâce à la mobilisation de ressources empruntées (des prêts bilatéraux - les Bilateral Borrowing Agreements - et des prêts multilatéraux - les New Arrangements to Borrow), celles-ci ne constituent plus qu’une minorité des ressources du GFSN.

Quelle taille souhaitable pour le GFSN ?

La taille globale du GFSN doit être mise en regard des futurs besoins de liquidité en cas de crise mondiale, qui sont très difficiles à estimer avec précision. Elle a quadruplé depuis les années 1990, pour atteindre près de 4000 Mds USD. Cependant, d’après le FMI, il existerait un nombre important de scénarios plausibles de crises dans lesquels la taille du GFSN serait insuffisante. Le maintien d’un niveau de réserves de change très élevé et donc d’une volonté forte d’auto-assurance montre bien par ailleurs l’insuffisance des mécanismes d’assurance. Mais les méthodes d’estimation de la taille appropriée du GFSN sont imparfaites car fondées sur le passé, sur la base des dernières crises, ce qui plaide pour l’élaboration de nouvelles approches. Une possibilité afin d’anticiper les besoins futurs serait d’inclure les nouveaux risques tels que le risque climatique, ou le risque cyber dans les stress-tests et scénarios visant à évaluer la taille souhaitable du GFSN.

Combler les lacunes du GFSN ?

Un GFSN solide requiert une bonne coordination entre ses différentes strates pour permettre son utilisation complète et immédiate en cas de crise. Si les ressources des AFR se sont développées, c’est essentiellement en raison de la création du Mécanisme Européen de Stabilité (MES) qui couvre des besoins spécifiques liés à une union monétaire et n’est qu’en partie assimilable à un AFR. Mais les ressources des autres AFR sont encore faibles et très inégalement distribuées. De nombreux pays d’Afrique subsaharienne, d’Amérique Latine et d’Asie centrale et du Sud ne sont pas couverts. Quant aux swaps de liquidités entre banques centrales, ils peuvent être mobilisés rapidement, sans conditionnalité, mais leur octroi est discrétionnaire et ils restent encore très concentrés : un pôle occidental (États-Unis, Royaume-Uni, Canada, Suisse, Japon, BCE) et un pôle Chine, dont les volumes sont moins importants et la finalité différente (soutien aux échanges bilatéraux).  

Le renforcement du GFSN passe par la consolidation de son épine dorsale, le FMI. Le renouvellement des ressources empruntées par le FMI et arrivant à expiration permettrait de maintenir son enveloppe globale actuelle. Cette évolution est doublement souhaitable : d’une part, parce que l’augmentation des ressources permanentes du FMI (les quote-parts) est le résultat de négociations politiques lourdes, d’autre part, parce que les ressources empruntées constituent un moyen de financement plus adapté que les instruments précautionnels.

Depuis 2008, le FMI a en effet développé de nombreux instruments précautionnels qui, à l’inverse des prêts traditionnels assortis de conditionnalité spécifiques, sont accordés sur la base de conditions d’éligibilité. Ils s’apparentent aux lignes de swap entre banques centrales car ils offrent un accès flexible et rapide aux liquidités mais avec des critères de qualification définis ex-ante limitant l’aspect discrétionnaire des swaps. Le débat sur le développement, la flexibilité et le financement de ces instruments mérite d’être rouvert. Enfin, l’adéquation des instruments du GFSN aux risques liés aux biens publics mondiaux (risque climatique) est à explorer.

Comment gérer le risque d’aléa moral propre au GFSN? 

Le GFSN porte, comme tout instrument d’assurance, un risque d’aléa moral. Il est le garant ultime en temps de crise, ce qui peut encourager une prise de risque excessive ou des choix de politique économique inadaptés. Face à l’augmentation des effets de contagion (qui accroissent les risques collatéraux en cas de crise), une première possibilité serait de créer une conditionnalité adaptée permettant, d’une part, aux victimes collatérales de bénéficier d’une conditionnalité allégée, et d’autre part, d’éviter l’aléa moral en corrigeant les comportements déviants via une conditionnalité renforcée pour éviter les récidives. Une autre réponse serait de développer les instruments précautionnels en rendant les  critères d’éligibilité (ex ante) plus flexibles, notamment en fonction des risques collatéraux encourus. Enfin, répondre à l’aléa moral peut nécessiter des sanctions (immédiates et non discrétionnaires).

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Le GFSN, du fait de sa nature multi-dimensionnelle, laisse ouverte la question du prêteur international en dernier ressort. Au sens strict du terme,  ce dernier doit être un émetteur de monnaie internationale. Or le FMI, du fait de sa représentativité quasi-universelle, est le seul à disposer de la légitimité pour jouer ce rôle de prêteur international en dernier ressort. La crise financière a fait évoluer les pratiques du prêteur en dernier ressort et il convient de réfléchir à la définition de ce rôle aujourd’hui, et à la portée des actions menées.

1 Adequacy of the global financial safety net—Considerations for Fund toolkit reform, 2016.