Document de travail

Comment réagissent les marchés à un resserrement des exigences en capital bancaire ?

Mise en ligne le 1 Juillet 2020
Auteurs : Cyril Couaillier, Dorian Henricot

Document de travail n°772. Nous utilisons les hausses de coussin contracyclique [CCyB] pour mesurer l’impact d’un resserrement des exigences en capital bancaire sur la valorisation et la solvabilité d’une banque, du point de vue des investisseurs. Deux caractéristiques du CCyB en Europe nous permettent d’effectuer une estimation originale. D’une part, les hausses de CCyB sont décidées trimestriellement dans chaque pays. D’autre part, ces hausses affectent toutes les banques européennes, à proportion de leurs expositions aux pays d’activation. Nous montrons que les hausses de CCyB entrainent une baisse des primes de CDS des banques affectées, tandis que leurs valorisations boursières restent constantes. Les marchés semblent donc apprécier la hausse de la solvabilité bancaire due à ces exigences, tout en estimant qu’elles ne seront pas coûteuses pour les actionnaires. Nous attribuons ces résultats à la hausse de la contrainte en capital plutôt qu’à un effet de signal sur l’état du cycle financier.

Image Mean cumulated abnormal change in CDS spreads around annoncements of CCyB hikes

La crise financière de 2008 a mis en évidence la nécessité de disposer de capitaux bancaires suffisants, car les crises bancaires et les restrictions de crédit qu’elles entrainent sont particulièrement dévastatrices pour l'économie réelle. Par conséquent, la principale réponse réglementaire à la crise a été une forte augmentation des exigences de fonds propres. Ce-faisant, il est essentiel pour les régulateurs de trouver un équilibre approprié entre les avantages d’un système bancaire plus stable et le coût de capitaux plus onéreux. 
Malheureusement, il est difficile d'évaluer l'impact réel d'une augmentation des exigences de fonds propres. Tout d'abord, elles sont souvent le résultat d'années de négociation, ce qui dilue leur impact dans le temps. Deuxièmement, étant donné que les régulateurs imposent généralement des exigences similaires à toutes les banques, il est difficile d'étudier l'impact différentiel de ces exigences entre banques. Dans cette étude, nous surmontons ces difficultés en étudiant les hausses de coussin contracyclique (en anglais Countercyclical Capital Buffer, ci-après CCyB) sur les banques de l'Espace économique européen (ci-après EEE). 

Le coussin contracyclique est une exigence de fonds propres variant dans le temps introduite dans Bâle III et conçue pour faire face à la procyclicité du crédit bancaire. Le CCyB offre deux caractéristiques distinctives pour surmonter les difficultés susmentionnées. Premièrement, les autorités nationales doivent choisir un taux de CCyB à une fréquence trimestrielle. Deuxièmement, le taux de CCyB dans un pays donné s'applique à toutes les banques de l'EEE, proportionnellement à la part de ce pays dans le total de leurs expositions pertinentes. 
Nous nous appuyons sur ce cadre pour alimenter le débat sur les coûts et bénéfices des exigences de fonds propres : renforcent-elles la résilience des banques, et à quel coût pour les actionnaires ? En théorie, les augmentations de CCyB pourraient déclencher des réactions du marché par deux canaux. Premièrement, elles révèlent des informations que le régulateur national peut détenir sur l'état de l'économie. Les autorités macroprudentielles augmentent généralement la CCyB lorsque l'économie est en bonne santé, mais aussi lorsque les risques financiers s'accumulent. Nous nommons cela le canal du signal. Le deuxième canal concerne l'exigence elle-même, qui resserre la contrainte de fonds propres et oblige les banques à détenir davantage de fonds propres. C'est ce que nous appelons le canal du capital. Il est important de distinguer les effets des deux canaux, car seul le canal du capital capte l'impact structurel d'exigences de fonds propres plus élevées. 

Nous procédons en trois étapes. Nous examinons tout d'abord comment les décisions de CCyB affectent les indices boursiers nationaux et dérivés de crédit souverains (en anglais Credit Default Swap, ci-après CDS) du pays ayant activé. Nous constatons que ces variables ne réagissent pas aux augmentations des CCyB, ce qui suggère que les annonces n’envoient pas de signal systématique sur l'état de l'économie. Tout impact sur les titres référençant les banques est donc attribuable au canal du capital. Ensuite, nous montrons qu'une augmentation de 1 point de pourcentage du CCyB d’une banque se traduit par une diminution de 13 points de base de sa prime de CDS dans les trois jours suivant l'annonce - soit une diminution de 18 % en niveau. Ainsi, les marchés financiers estiment que des exigences de fonds propres plus élevées réduisent la probabilité de défaut des banques. Enfin, nous constatons que les augmentations de CCyB ne sont pas associées à une variation des rendements boursiers des banques affectées. Les actionnaires estiment donc que cette résilience supplémentaire n’augmente pas leur coût du capital. 

Ces résultats sont importants pour comprendre les coûts et bénéfices des exigences de fonds propres. Ils montrent qu'une augmentation modeste des exigences de fonds propres peut renforcer la solidité du système bancaire à coût nul pour les actionnaires. Par conséquent, les régulateurs pourraient disposer d'une marge de manœuvre pour renforcer les exigences de fonds propres sans déclencher de réaction négative du marché. Dans de futurs travaux, il pourrait être intéressant de continuer à exploiter ce cadre réglementaire pour mesurer l’effet des exigences en capital sur le crédit, ainsi que l’effet potentiellement asymétrique des relâchements d’exigences sur les marchés financiers.