Bloc-notes Éco

Comment mesurer la valeur des investissements directs étrangers ?

Mise en ligne le 23 Mai 2025
Auteurs : Véronique Genre, Christophe Guette-Khiter

Billet de blog 404. Alors que la valeur de marché des entreprises cotées en bourse est accessible grâce aux cours des actions, la très grande majorité des investissements directs étrangers (IDE) sont réalisés dans des entreprises non cotées et ne sont estimés qu’à leur valeur comptable. La valorisation des IDE à leur prix de marché réduit de 200 milliards d’euros la position extérieure nette débitrice de la France.

La position extérieure nette (PEN) de la France, qui mesure le patrimoine ou l'endettement net des Français (résidents) vis-à-vis du reste du monde, est globalement négative. Elle a même eu tendance à de dégrader au cours de la dernière décennie. Pour autant, la composante de la PEN correspondant aux seuls investissements directs étrangers est largement positive et en hausse (564 Mds€ en 2023 en valeur mixte, soit 28% du PIB ; Graphique 1) et la France est l’un des pays les plus bénéficiaires d’un revenu d’investissements directs net positif provenant de l’étranger (Nayman et Vicard, 2018). Ce billet soulève la question de la valorisation des investissements directs étrangers, car elle influence largement la mesure de la PEN.

Graphique 1 : Position extérieure nette (PEN) de la France et sa décomposition dans le compte financier

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Sources : BdF et INSEE.
Note : En valeur mixte, la partie non cotée des encours d’IDE est en valeur comptable et la partie cotée, en valeur de marché. Le graphique de droite indique la ventilation de la PEN par type d’investissement en valeur de marché.

La difficile valorisation des investissements directs étrangers 

Un Investissement Direct Étranger (IDE) est réalisé par une entreprise d'un pays donné dans une entité commerciale située dans un autre pays. Selon le Manuel de la Balance des Paiements, l’investisseur doit détenir au moins 10% des droits de vote ou des actions ordinaires dans l’entreprise étrangère, ce qui lui garantit une influence significative sur les décisions stratégiques de l'entreprise, contrairement à un investissement de portefeuille où l'influence est plus limitée.

Valoriser un IDE n'est pas simple. Pour les entreprises cotées en bourse, la valorisation est assez directe, car leur prix est disponible sur les marchés financiers. Toutefois, une grande partie des entreprises qui reçoivent des IDE ne sont pas cotées : 96% des avoirs français à l’étranger et 77% des engagements vis-à-vis de l’étranger concernent des sociétés non cotées.

En accord avec les standards internationaux du FMI ou de l’OCDE, de nombreux pays, dont la France, s’appuient sur la méthode dite de la valorisation des fonds propres à leur valeur comptable. Cette méthode a toutefois ses limites : elle sous-estime souvent la « vraie » valeur des entreprises, car elle ne prend pas en compte des éléments immatériels tels que les perspectives de croissance ou certains actifs intangibles (comme la qualité de la main d’œuvre ou la localisation particulièrement avantageuse d’une unité de production). D’ailleurs, des entreprises qui entrent en bourse affichent souvent une valeur de marché bien supérieure à leur valeur comptable. En moyenne, la valeur de transaction d’une entreprise – sa valeur de marché, donc – est deux fois supérieure à sa valeur comptable. 

La méthode des ratios de capitalisation boursière

Pour se rapprocher d’une estimation en valeur de marché, notre étude (Genre, Guette-Khiter et Robin (2024) applique une méthode préconisée par les institutions internationales : celle des ratios de capitalisation boursière. Partant du principe selon lequel des actifs équivalents doivent avoir le même prix, à leur différence de liquidité près, la valeur de marché des IDE non cotés peut être estimée en référence à des indices boursiers (cf. Nivat et Topiol, 2010). Nous améliorons cette méthode en nous appuyant, non plus sur des indices boursiers, qui ont tendance à surpondérer les grandes entreprises, mais sur les prix individuels des actions émises par chaque entreprise et disponibles à très grande échelle.

Nous utilisons la base de données centralisée sur les titres (CSDB) de la Banque Centrale Européenne, complétée par des données comptables provenant de fournisseurs privés (Bloomberg et Refinitiv) soit plus de 70 000 observations, couvrant 241 pays ou régions (ex. zone euro) et 9 secteurs d’activité, entre 2013 et 2023.
Pour chaque entreprise non cotée, nous identifions les entreprises cotées des mêmes pays et secteurs d’activité.

Nous calculons ensuite un ratio médian de capitalisation boursière, correspondant à leur valeur de marché divisée par leur valeur comptable. Enfin nous multiplions la valeur comptable des entreprises non cotées, dans les mêmes secteurs/pays, par ce ratio médian.

Des ratios de capitalisation très différents selon les secteurs d’activité et les pays

Ces ratios varient considérablement d’un pays à l'autre. Parmi les principaux partenaires de la France en matière d'IDE, les Pays-Bas, l'Espagne et les États-Unis sont les trois premiers à ratios les plus élevés en 2023 (Graphique 2). On peut se demander si un ratio plus élevé est lié à un plus grand dynamisme de certains marchés boursiers ou à leur composition sectorielle. Le niveau d’endettement peut également jouer un rôle sur la structure bilancielle. En moyenne les entreprises françaises sont plus endettées que les autres entreprises européennes ou les américaines, ce qui peut réduire la rentabilité nette et augmenter la perception du risque, deux facteurs qui font baisser la valorisation boursière. 

Graphique 2 : Ratios de capitalisation boursière (moyenne non pondérée des ratios médians ; 2012-2023)

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Source : CSDB, Bloomberg et calculs Banque de France.
Note : les pays représentés sont les principaux partenaires de la France en matière d’IDE. Il faut multiplier la valeur comptable des sociétés non côtés par ces ratios pour obtenir leur valeur de marché.

De même, les ratios de capitalisations diffèrent selon le secteur d’activité. Par exemple, les ratios dans le secteur financier sont souvent inférieurs à 1, du fait de l’importance des fonds propres dans le bilan des intermédiaires financiers (Graphique 3). Inversement, les entreprises du secteur des technologies de l'information ont tendance à afficher des ratios élevés, car elles détiennent d'importants actifs incorporels et sont perçues par les marchés comme ayant de plus fortes perspectives de croissance liées à l’innovation. 

Graphique 3 : Ratios de capitalisation boursière par secteur d’activité (moyenne des ratios médians ; 2012-2023)
 

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Source : CSDB, Bloomberg et calculs Banque de France.

Il convient néanmoins de souligner que les bulles financières et la volatilité des prix des actifs peuvent avoir un impact significatif sur les ratios de capitalisation boursière, car les prix des actions fluctuent davantage que les valeurs comptables.

Une position extérieure nette de la France moins négative en valeur de marché

Historiquement la méthode de valorisation utilisée par les quelques pays qui publient des données d’IDE à leur valeur de marché, a consisté à valoriser un stock d’IDE à un instant t, puis à actualiser la valeur de ce stock grâce à des indices de prix boursiers. Cette méthode de chaînage par indice de prix tend à surestimer les stocks d’IDE, voire à les faire exploser avec le temps, car elle dé-corrèle la valorisation de ces stocks des valeurs comptables utilisées pour calculer les ratios lors de l’année de base. En appliquant, à chaque période considérée, le ratio de capitalisation correspondant, on obtient une estimation des IDEs plus en phase avec leur valeur comptable au même moment (Graphique 4). Il en résulte aussi une position extérieure nette globale moins négative de quelques 200 milliards d’euros, mesurée en valeur de marché (Graphique 1)
 

Graphique 4 : Position extérieure nette des IDE pour la France (milliards d’euros)

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Source : CSDB, Bloomberg et calculs Banque de France.
Note : La méthode de valorisation utilisant les prix boursiers ne démarre qu’en 2014 pour des raisons de disponibilité des données dans la CSDB

La méthode pose néanmoins plusieurs défis. Le premier concerne la prise en compte du marché boursier de référence lorsque l’on calcule les ratios de capitalisation. Lorsqu’on valorise la filiale d’un grand groupe étranger, les valeurs de références sont-elles bien celles de la bourse locale ou la valorisation du groupe, souvent lui-même coté sur un autre marché boursier ? Dans notre étude, nous démontrons que l’influence du prix des actions de la maison-mère doit probablement être prise en compte et choisissons d’appliquer autant d’influence du marché boursier local que de celui de la maison-mère.

Enfin se pose un défi de communication : cette méthode s’applique d’autant mieux qu’elle se base sur un grand ensemble de données. Elle produit des résultats moins représentatifs sur des ventilations géographiques ou sectorielles très fines. Les États-Unis et le Canada sont parmi les rares pays au monde à régulièrement mettre à disposition des estimations de leurs IDE à la fois en valeur de marché et en valeur comptable. La multiplication des mesures d’un même concept requiert une grande clarté de communication pour ne pas nuire à sa bonne appréhension par les utilisateurs de ces données.

Mise à jour le 23 Mai 2025