Bloc-notes Éco

Comment expliquer la hausse du cours de l’or ?

Mise en ligne le 13 Septembre 2024
Auteurs : Victor Baccarini, Thibauld Christin, Xavier Denis, Gabrielle Labat

Billet de blog n° 365. Le cours de l’or a doublé depuis 2019, avec une accélération depuis 2023 (cf. graphique 1). Cette progression est paradoxale alors que la hausse des taux d’intérêt réels, la décélération de l’inflation et un dollar fort auraient dû favoriser un repli. Les achats d’or des banques centrales émergentes mais aussi des investisseurs particuliers sont venus soutenir la demande, expliquant la hausse du cours, dans un contexte de tensions géopolitiques élevées et persistantes.

Image Graphique 1 : Prix d’une once d’or (en USD et en EUR) Thématique Billets de blog
Source : Bloomberg
Lecture : La hausse du cours de l’or sur la période est relativement similaire qu’elle soit libellée en euro ou en dollar. Au 29/08/2024, l’once d’or valait USD 2503 et EUR 2265.

Le cours de l’or est principalement déterminé par les fluctuations de la demande

L’or est à la fois une matière première et un actif financier dont le prix résulte de la confrontation de l’offre et de la demande : l’offre dépend du volume de production ainsi que de l’importance du recyclage ; la demande dépend de la demande d’or physique (joaillerie et technologie) et de la demande d’or financier qui résulte d’un arbitrage avec d’autres actifs.  

-    L’offre se divise principalement entre la production minière (75% de l’offre en 2023, source : World Gold Council) et le recyclage (25%). La production minière est relativement constante d’une année à l’autre et on estime le coût de production d’une once d’or à USD 1300, ce qui constitue de facto un prix plancher pour l’or. La part du recyclage progresse (+9% en 2023), stimulée par le niveau des prix, mais demeure modeste. 

-    La demande émane essentiellement du secteur de la joaillerie (49%), puis des banques centrales (23%), des investisseurs financiers (21%) et enfin du secteur électronique – l’or étant pour ce dernier secteur un intrant (7%). La Chine et l’Inde occupent un poids majoritaire dans la demande de joaillerie (57%), l’Amérique et l’Europe jouant un rôle plus marginal (21% en cumulé).

L’évolution de ces composantes d’offre et de demande est dans l’ensemble relativement stable depuis 2018 (exception faite en 2020, en raison du choc de demande négatif consécutif à la pandémie). L’offre progresse lentement, surtout portée par une augmentation du recyclage de l’or. La hausse de la demande émane pour l’essentiel des banques centrales des pays émergents. 

Le cours de l’or réagit au taux d’intérêt américain et à l’inflation mais aussi à l’aversion au risque 

S’agissant d’un actif sans rendement à la différence des actions (dividendes) et des obligations (intérêt), et sans risque de contrepartie (absence de risque de défaut de l’émetteur lorsque l’or est détenu physiquement), le cours de l’or réagit à différents facteurs. 

Les facteurs haussiers de demande :

a.    En cas de renforcement des risques géopolitiques (comme actuellement avec la guerre en Ukraine et les tensions au proche et moyen orient), et plus généralement lors des périodes d’augmentation de l’aversion au risque sur les marchés financiers, l’or est recherché.

b.    L’or est généralement considéré comme une couverture contre le risque inflationniste. Dans les faits, le prix de l’or ne joue qu’imparfaitement ce rôle de couverture. Si la corrélation entre le cours de l’or et l’inflation a parfois été positive à partir du milieu des années 1970 jusqu’à la fin des années 1980, elle a été nulle voire négative dans les années 1990 et 2000, dans un contexte de désinflation mondiale. De manière générale, la corrélation entre le prix de l’or et le niveau des prix ne fonctionne réellement que sur long terme (10-15 ans). Néanmoins, à court terme, une résurgence des craintes inflationnistes ou de l’inflation suscite généralement une hausse du prix de l’or. 

c.    L’impact de ces deux facteurs est amplifié par l’essor de produits financiers adossés à l’or, par exemple certains exchange traded funds (ETF, ou fonds indiciels). Cela facilite l’accès des investisseurs (particuliers et institutionnels) à l’or, et a augmenté par ricochet la demande d’or physique (ces ETF étant adossés à des stocks d’or), soutenant son cours à la hausse. 

d.    Les achats des banques centrales émergentes, qui traduisent une forme de diversification par rapport aux actifs libellés en dollar, soit pour des raisons macroéconomiques soit pour des raisons géopolitiques (« dédollarisation »). 

Les facteurs baissiers de demande :

a.    La hausse du taux d’intérêt réel renchérit le coût d’opportunité de l’or qui n’offre pas de rendement. Ainsi, lors des cycles de resserrement de taux de la Fed, l’or a tendance à se déprécier ; ce mouvement n’a toutefois pas été observé récemment (cf. graphique 2).

b.    L’appréciation du dollar, qui renchérit le prix de l’or pour les acquéreurs dont la devise de référence n’est pas le dollar. Un dollar fort traduit en outre une forme de confiance dans l’économie américaine, diminuant l’intérêt de l’or comme actif sûr.

c.    De manière générale, l’appétit pour le risque est plutôt défavorable à l’or, les investisseurs privilégiant alors l’exposition aux actifs risqués (actions, obligations d’entreprise) par opposition aux actifs défensifs (liquidités, obligations d’État, or).

Image Graphique 2 : Prix de l’or (USD/once) et taux d’intérêt réel américain 10 ans (%) Thématique Billets de blog
Source : Bloomberg
Lecture : La corrélation traditionnelle entre le prix de l’or en USD (bleu) et les taux réels américains (taux des obligations du Trésor US à 10 ans déflaté de l’inflation sous-jacente, orange) se vérifie historiquement mais s’est interrompue depuis le début de la guerre en Ukraine (cf. infra).

Les achats des banques centrales émergentes semblent être le principal facteur de hausse depuis 2021

De mars à août 2024, l’or a battu chaque mois son record historique en valeur nominale, dépassant le seuil de USD 2500/once en août. Corrigé de l’inflation, le cours de l’or (cf. graphique 3) se rapproche du pic de 1980 marqué par le choc inflationniste (conséquence du choc pétrolier de l’année précédente) et du pic de 2011 résultant de la crise des dettes souveraines en zone euro. Il a déjà dépassé le pic du choc économique de 2020 lié à la pandémie.     
 

Image Graphique 3 : Prix réel de l’once d’or en USD Thématique Billets de blog
Source : Bloomberg
Lecture : Le prix réel d’une once d’or en USD correspond à son prix nominal en dollar déflaté de l’inflation américaine. Il n’a toujours pas dépassé mais se rapproche de son pic de 1980, dans un contexte marqué par une forte poussée inflationniste suscitée par le second choc pétrolier de 1979.

Sur la période récente, plusieurs facteurs traditionnellement favorables à une dépréciation de l’or se conjuguent : 

-    À partir de 2022, le dollar s’est apprécié en raison de la vive reprise américaine qui a entrainé une forte accélération de l’inflation, contraignant la Fed à durcir rapidement sa politique monétaire. 
-    Le cycle de resserrement de la Fed a contribué à une hausse du taux d’intérêt réel, revenu en territoire positif depuis mi-2023, mais il était auparavant négatif depuis 2019 (cf. graphique 2). 
-    Si les risques géopolitiques se sont accrus à l’échelle mondiale, l’aversion au risque sur les marchés financiers mesurée par la volatilité des actions se situe à un étiage (exception faite du pic de volatilité du 5 août 2024, qui a très rapidement corrigé).
-    L’encours mondial des ETF investis en or était en 2023, et jusqu’en mai 2024, orienté à la baisse. 

En dépit de ce contexte, le cours de l’or a fortement progressé, invalidant des corrélations traditionnellement fortes entre l’or et l’encours des ETF, ou encore avec les taux réels américains depuis le début de la guerre en Ukraine (cf. graphique 3). Ainsi, cette envolée ne semble se justifier que par des comportements d’achat des investisseurs pour des motifs autres que financiers, avivés par les tensions géopolitiques. 

Selon les données du World Gold Council, les banques centrales émergentes, et au premier chef la Russie et la Chine, ont été en effet les principaux acheteurs sur le marché de l’or (cf. graphique 4). Les sanctions financières (dont le dollar est fréquemment l’instrument) ainsi que le regain des tensions géopolitiques peuvent inciter certaines banques centrales émergentes à rechercher une diversification de leurs réserves de change en faveur de l’or et au détriment des actifs libellés en dollars. Si le dollar demeure la devise prépondérante, sa part dans les réserves des banques centrales a reculé à 59%, au plus bas sur 25 ans (FMI). Au total, la demande d’or des banques centrales a doublé ces deux dernières années par rapport aux années précédentes (du 30 mars 2021 au 30 mars 2023), d’où un fort impact sur le cours. 
 
En outre, depuis 2024, les ménages chinois et indiens ont accru de manière sensible leurs investissements en or hors joaillerie (respectivement +68% et +19%, entre le Q1 2024 et le Q1 2023, données WGC), vraisemblablement pour des raisons de diversification de leurs actifs face à des marchés immobiliers et actions en baisse sensible en Chine et face à la hausse de leurs capacités d’épargne en Inde.
 

Image Graphique 4 : Détention d’or en % des réserves des banques centrales de plusieurs grands pays émergents Thématique Billets de blog
Source : World Gold Council

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Mise à jour le 16 Septembre 2024