Pour limiter le réchauffement climatique à 2°C, le prix mondial du carbone devrait se situer entre 50 et 100 $/tonne d'ici 2030 (FMI, 2022). Or, plus de 3/4 des émissions ne sont actuellement pas tarifées et le prix mondial moyen de la tonne de carbone est estimé à 3$ par le FMI.
Par conséquent, des discussions sont en cours dans les enceintes multilatérales (G7, G20) pour étendre la couverture géographique et sectorielle de la tarification carbone. Un accord international sur une taxe carbone globale et uniforme est hautement improbable, notamment en raison du principe de responsabilités communes mais différenciées (PRCD) inscrit au sein des conventions internationales de droit de l’environnement qui exige des pays avancés une plus forte contribution à l’effort climatique. La présidence allemande du G7 défend l’idée d’un club climat (sans la pénalisation des non-membres proposée par Nordhaus), partant d’un groupe initial de pays partageant une ambition climatique similaire, qui s’élargirait au fil du temps. L’Union Européenne (UE), avec son marché carbone étendu hors de ses frontières (Norvège par exemple), est déjà une sorte de club climat.
La proposition du FMI d’un prix plancher international du carbone (PPIC) s’ajoute à ces initiatives. En faire la synthèse, revient à répondre à trois problématiques majeures : la répartition de l’effort entre pays avancés et émergents ; les fuites de carbone ; l’articulation entre les mesures prix et non-prix.
Équité de la répartition des efforts
Le PPIC propose d’instaurer des prix planchers du carbone qui n’empêchent pas les pays d’aller au-delà s’ils le souhaitent. Ces prix planchers du carbone varient selon le niveau de développement économique des participants (25-50-75 $/tCO2eq) pour, respectivement, les pays à bas revenu, les pays à revenu intermédiaire et les pays avancés.
Cette différenciation vise à rendre la mesure conforme au PRCD et rallier les pays émergents. Ce ralliement est en effet indispensable : l’action des seuls pays avancés ne suffit pas à établir une trajectoire d’émissions compatible avec l’Accord de Paris. Selon Global Carbon Project, les émissions territoriales de l’UE ont représenté environ 8% des émissions mondiales liées aux énergies fossiles en 2021, contre 30% pour la Chine. De plus, les pays qui n’appliquent pas de prix du carbone ne tireraient pas d’avantage économique de leur inaction en raison d’effets négatifs indirects (baisse des exportations vers les pays avancés appliquant une compensation carbone à la frontière), l’Inde étant le seul grand pays émergent pour lequel les bénéfices l’emporteraient sur la baisse de ces débouchés (Bellora et Fontagné, 2022-a).
Ce mécanisme présente toutefois trois difficultés :
- L’effort serait porté essentiellement par les pays émergents (Chine, Inde, Russie, Arabie saoudite, Afrique du Sud, Turquie), dont les Contributions Déterminées au niveau National (CDNs) correspondent actuellement à un prix implicite du carbone très inférieur au prix plancher envisagé. A l’inverse le prix plancher de 75$ est inférieur au prix du carbone correspondant aux CDNs de la plupart des pays avancés.
- Les différences de prix du carbone entre pays de niveaux de développement différents induiraient des fuites de carbone aux dépens des pays les plus ambitieux.
- La décarbonation pouvant se faire grâce à un prix du carbone, mais aussi à des réglementations et/ou subventions, la question des modalités de prise en compte du prix implicite des mesures hors prix se poserait.
Fuites de carbone et mécanisme d’ajustement
La différenciation des prix plancher du carbone induit un risque de fuites de carbone. Notamment, les industries fortement émettrices de CO2eq, pénalisées par le prix carbone, ont tendance à se déplacer vers des pays où le prix (ou les contraintes en matière d'émissions) sont moins strictes. Cela réduit ou annule donc l'effort de réduction des émissions prévu au niveau mondial. Le Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières (MACF) proposé par l’UE vise à contrer ce risque (Cezar, Grieco, 2021).
Pour le FMI, les inconvénients d’un MACF l'emporteraient toutefois sur ses avantages, notamment en raison des incertitudes sur sa viabilité juridique et pratique et de son absence d’impact sur les émissions globales de GES.
Cependant, ces réserves doivent être relativisées :
- Le MACF européen ne vise pas à réduire les émissions mondiales. Il a pour objet de limiter les fuites de carbone très élevées associées à l’ambition du paquet législatif Fit for 55 de l’UE, qui a bien lui pour objet de réduire les émissions européennes (Bellec, Bouthevillain, 2022).
- Le FMI, qui avance un taux de fuite de carbone dans la fourchette basse de la littérature (6,5 %), pourrait sous-estimer ce risque et, par conséquent, l'intérêt du MACF. Ce taux dépend fortement de la taille de la coalition (plus le nombre de pays coopérant en matière de climat est faible, plus le risque de fuites de carbone est élevé) et du respect ou non de leur CDNs par les différents pays. Dans le scénario PPIC du FMI (Chateau et al., 2022), les pays ont ainsi un prix carbone équivalent au maximum du prix plancher du carbone et du prix du carbone implicite dans leur CDN de novembre 2021. Par exemple, pour l'UE, si l'on prend en compte l'impact du fit for 55, le taux de fuite de carbone serait d’au moins 31%, sous l’hypothèse que seuls les pays disposant d’un marché du carbone au niveau national respecteraient leurs engagements (Fontagné, Bellora, 2022-b).
- Enfin, le FMI n’évalue pas les fuites de carbone qui pourraient advenir entre les participants au PPIC, du fait de la différentiation des prix planchers. En ce sens, le MACF de l’UE demeurerait pertinent même en cas d’application du PPIC.
Équivalence prix-carbone des mesures réglementaires
Le PPIC agrège instruments prix et réglementaires des politiques de transition nationales dans un prix total implicite du carbone. Sont incluses des mesures alternatives à la tarification « explicite », comme la réglementation, les subventions et les investissements climatiques.
Ces mesures ont le double avantage de bénéficier d’une plus grande acceptabilité politique et d’être complémentaires : la taxe carbone est plus efficace en termes de réductions de CO2, mais ses effets négatifs sur la croissance peuvent être amortis par d’autres instruments comme des subventions. Dès lors, il devient essentiel de pouvoir comparer ces différentes politiques en termes de coûts/avantages/efficacité. L'OCDE et le FMI ont entrepris des travaux dans ce sens.
Les récentes discussions internationales pointent vers des solutions alternatives ou complémentaires :
- Alors que le PPIC vise l’économie dans son ensemble, les travaux pourraient s’orienter vers des approches sectorielles, comme envisagé par le FMI dans son scénario de solution coopérative a minima avec un prix du carbone restreint aux secteurs à forte intensité carbone pour les pays émergents.
- La coopération internationale pourrait aussi se concentrer plutôt sur les résultats (réduction des émissions), que sur les politiques mises en œuvre pour y parvenir, même si cette approche ayant inspiré l’Accord de Paris n’a pas encore démontré son efficacité jusqu’ici.
Au-delà, se pose la question de l’utilisation des revenus de la taxation du carbone pour accompagner financièrement les efforts des pays émergents, dans lesquels l’efficacité à la marge d’un euro investi en décarbonation est très élevée. Ces politiques pourraient être financées par la redistribution des revenus fiscaux carbone ou des recettes des MACF des pays avancés. Plus généralement, les transferts financiers et technologiques internationaux doivent être encouragés.