Bloc-notes Éco

Assurance chômage : quelles leçons du système américain ?

Mise en ligne le 28 Février 2019
Auteurs : Jean-Baptiste Gossé, Roger Vicquéry

Billet n°105. Un système d’assurance chômage fédéral est en place depuis plus de 80 ans aux États-Unis. Il a contribué à amortir les effets des crises sans nécessiter de transferts budgétaires importants entre États fédérés. Ceci fournit l’exemple d’un système d’assurance chômage fondé sur des transferts temporaires et sur un modèle de subsidiarité entre niveaux fédéral et étatique.

Image Graphique 1. Des transferts fédéraux permanents limités hors crises exceptionnelles Note. Transferts nets annuels en % du PIB. Crise exceptionnelle : hausse du taux de chômage de plus de 5 points sur trois ans. Sources : calculs des auteurs à partir des données du NBER, Department Of Labor et Bureau of Economic Analysis.
Graphique 1. Des transferts fédéraux permanents limités hors crises exceptionnelles Note. Transferts nets annuels en % du PIB. Crise exceptionnelle : hausse du taux de chômage de plus de 5 points sur trois ans. Sources : calculs des auteurs à partir des données du NBER, Department Of Labor et Bureau of Economic Analysis.

La zone euro ne dispose pas encore d’un système d’assurance chômage commun permettant de stabiliser les chocs macroéconomiques auxquels elle est confrontée. Un point crucial de tension autour du projet de Fonds européen d'assurance chômage concerne la nature, permanente ou transitoire, et la taille des transferts budgétaires qu’il impliquerait. Quelles leçons peut-on tirer de l’expérience américaine en la matière ? Il convient de prendre en compte une plus grande hétérogénéité des marchés du travail de la zone euro par rapport aux États-Unis. Néanmoins, l’expérience américaine fournit un exemple de fonctionnement d’un système fédéral d’assurance chômage reposant sur des transferts entre États. Trois faits stylisés paraissent intéressants.

i) Un mécanisme fondé sur la constitution de réserves par chaque État et des transferts fédéraux temporaires peut constituer une première étape susceptible d’apporter un niveau de stabilisation suffisant hors période de crise exceptionnelle. Le graphique 1 montre le caractère hautement contra-cyclique des flux nets d’allocations étatiques et fédéraux versés depuis 1938.

ii) La crainte de transferts massifs entre États ne semble pas justifiée à la lumière de l’expérience américaine : les transferts permanents fédéraux via l’assurance chômage vers les régions débitrices nettes sont restés à 0,07% du PIB en moyenne annuelle depuis 1970 et, seulement, 0,01% si l’on exclut la dernière crise.

iii) Si certaines régions américaines ont été structurellement contributrices ou débitrices nettes du système, le cumulé net de ces transferts demeure limité. Par ailleurs, ces transferts interviennent principalement de manière discrétionnaire, sur décision du Congrès.

Un système d’assurance chômage cofinancé aux niveaux étatique et fédéral

Le système d’assurance chômage américain est composé de trois modules favorisant une grande plasticité du mécanisme durant les crises (graphique 2) :

Image Graphique 2. Un système d’assurance chômage américain en trois compartiments * Entre 2009 et 2013 l’Etat fédéral a financé 100% des compensations étendues. ** La loi fixe le maximum de semaines de compensation à 99 semaines au total, compensations normale, étendue et d’urgence comprises.
Graphique 2. Un système d’assurance chômage américain en trois compartiments * Entre 2009 et 2013 l’Etat fédéral a financé 100% des compensations étendues. ** La loi fixe le maximum de semaines de compensation à 99 semaines au total, compensations normale, étendue et d’urgence comprises.

Note. Ce schéma détaille le mode de financement du système d’assurance chômage américain par les entreprises et les administrations selon la période de compensation chômage. Voir le texte ci-dessous pour plus de détail.

i) un socle de base permet une indemnisation maximale autour de 26 semaines sans transferts budgétaires entre États. Il est financé par les réserves dont chaque État dispose auprès du Trésor, abondées par le biais d’un impôt local sur les salaires (State Unemployment Tax - SUT) ;

ii) un mécanisme de transferts temporaires permet de maintenir ce socle minimum d’indemnisation si les réserves s’épuisent, par emprunt au fonds fédéral. Les transferts reçus dans ce cadre sont remboursés dans les deux ans, des pénalités financières étant en place à cet effet ;

iii) les mécanismes de transferts permanents existent. Ils sont financés par un impôt fédéral (Federal Unemployment Tax – FUT) sur les salaires. D’abord limité aux dépenses de gestion du système, l’octroi d’une extension automatique du socle minimal d’indemnisation, co-financé par le niveau fédéral et les États, est mis en place à partir 1970. Des extensions discrétionnaires peuvent par ailleurs être votées par le Congrès. Ceci s’est produit à huit reprises depuis les années 1970.

Des prestations largement assurées par les ressources propres des États, sauf crise exceptionnelle

En termes de stabilisation, le système d’assurance chômage américain est automatique, réactif et contra-cyclique, avec des transferts qui permettent de maintenir la consommation des agents privés d’emploi, sans poids excessif sur le budget des États les plus touchés.

Hors période de crise exceptionnelle, le système d’assurance chômage fonctionne avec un volume très limité de transferts permanents. Lors des quatre récessions intervenues entre 1970 et 2007, ceux-ci n’ont représenté qu’environ 20% des flux nets versés et, en moyenne, 0,01% du PIB chaque année. Cependant, la crise de 2008, par son ampleur, a nécessité une extension des périodes de couverture sans précédent. Au total, entre 2008 et 2013, les transferts nets se sont élevés à 2,3% du PIB, dont 1,8 % sous forme de transferts fédéraux permanents, alors qu’ils n’avaient jamais dépassé 0,4% du PIB auparavant.

Des transferts budgétaires structurels entre États d’une ampleur limitée

Afin de mesurer l’ampleur des transferts budgétaires indirectement opérés via le système d’assurance chômage, nous reconstituons les flux nets cumulés reçus par chaque État depuis 1970 comme étant la différence entre le montant de FUT versé par les entreprises de l’État au fonds fédéral, moins les flux reçus sous forme de 1) dotations pour l’administration du système, 2) transferts permanents automatiques et  discrétionnaires, et 3) transferts temporaires (prêts fédéraux) en attente de remboursement. Nous exprimons ces flux en dollars aux prix de 2010 par habitant.

Les graphiques ci-dessous montrent ces flux nets cumulés agrégés au niveau des huit régions définies par le BEA (graphique 3) et de chaque État (graphique 4). Deux faits stylisés majeurs émergent. Premièrement, jusqu’à la Grande Récession, sur la longueur du cycle, les allocations versées au niveau fédéral tendent à s’équilibrer avec les cotisations reçues. Par ailleurs, les transferts cumulés nets demeurent relativement faibles, avec un pic moyen de déficit autour de 100 dollars de 2010 par habitant des États-Unis.

Image Graphique 3. Faibles transferts fédéraux cumulés nets par l’assurance chômage et retour à l’équilibre jusqu’à 2008 Source : calculs des auteurs des transferts fédéraux cumulés nets exprimés en USD 2010 par habitant des États-Unis sur la base des données NBER, DOL et BEA.
Graphique 3. Faibles transferts fédéraux cumulés nets par l’assurance chômage et retour à l’équilibre jusqu’à 2008 Source : calculs des auteurs des transferts fédéraux cumulés nets exprimés en USD 2010 par habitant des États-Unis sur la base des données NBER, DOL et BEA.

Deuxièmement, si jusqu’à 2007 certains États apparaissent comme structurellement bénéficiaires (contributeurs) des flux fédéraux de l’assurance chômage, le transfert moyen par tête annuel de l’État continental le plus bénéficiaire n’était que de -25 USD de 2010 (Rhode Island) et celui du plus contributeur de +11 USD de 2010 (Virginie). La crise de 2008 a toutefois conduit à des transferts permanents sans précédent (graphique 3).

La hausse des transferts post-crise n’a rien eu d’automatique. Face à l’ampleur de la crise, le Congrès américain a décidé de mettre en place un plan d‘urgence –prolongé à plusieurs reprises – conduisant au versement de 230 milliards de dollars en transferts permanents. À la suite de la crise, la quasi-totalité des États sont devenus débiteurs nets des flux fédéraux en cumulé (Graphique 4). Ces transferts supplémentaires vers les travailleurs directement touchés par la crise ont permis d’en atténuer les conséquences sur le PIB : selon le Congressional Budget Office (2012), une extension du plan d’urgence de 2008 aurait entraîné une augmentation du PIB de 0,4 à 1,8 dollar (soit une moyenne de 1,1) par dollar de coût budgétaire. De plus, ces transferts ont permis de limiter les conséquences sociales des récessions économiques : le département du travail américain indique que 15% de la population active a directement bénéficié de ce plan d’urgence.

Image Graphique 4. La quasi-totalité des États bénéficiaires nets de transferts fédéraux depuis la crise de 2008 Source : calculs des auteurs des transferts fédéraux cumulés nets depuis 1970 via l’assurance chômage exprimés en USD 2010 par habitant sur la base des données NBER, DOL et BEA.
Graphique 4. La quasi-totalité des États bénéficiaires nets de transferts fédéraux depuis la crise de 2008 Source : calculs des auteurs des transferts fédéraux cumulés nets depuis 1970 via l’assurance chômage exprimés en USD 2010 par habitant sur la base des données NBER, DOL et BEA.

Si l’on s’abstrait des dynamiques exceptionnelles de la période récente, l’assurance-chômage américaine a donc fonctionné sur plusieurs décennies sans transferts budgétaires massifs entre États. L’expérience américaine fournit ainsi les bases pour un système essentiellement fondé sur des transferts temporaires et pour un modèle de subsidiarité entre niveaux fédéral et étatique.