La Grande Récession a mis en lumière les liens étroits qui existent entre le secteur financier et l'économie réelle. L'attention accrue accordée aux risques macrofinanciers et l'élaboration de cette nouvelle réglementation, nommée politique macroprudentielle, rendent nécessaire la mise au point d'un ensemble d'outils pour mener à bien les différentes étapes de l'analyse macroprudentielle : évaluation des risques, calibrage ex ante des instruments macroprudentiels et évaluation ex post de leur efficacité. En particulier, les modèles macroéconométriques d'avant la crise accordaient souvent peu d'attention aux variables macrofinancières, telles que le crédit ou les prix de l'immobilier, qui sont devenues des variables clés pour les régulateurs macroprudentiels.
Dans ce travail, nous développons un modèle économétrique macro-financier appelé ALIENOR qui vise à soutenir l'analyse macroprudentielle concernant: i) l'évaluation des risques, par exemple en élaborant des scénarios macroéconomiques défavorables qui serviront de base à des modèles de simulation de crise évaluant la solvabilité des banques et ii) le calibrage des instruments, en évaluant l'incidence des mesures macroprudentielles sur l'économie réelle. Ce modèle est composé d'un ensemble d'équations économétriques et comptables, décrivant la dynamique des agrégats macroéconomiques et financiers de l'économie française, en mettant l'accent sur les interactions entre variables financières et macroéconomiques. Ce modèle relativement parcimonieux est capable de produire des scénarios défavorables dans lesquels les évolutions financières jouent un rôle crucial dans la dynamique macroéconomique.
Il est important de noter que, bien qu'utilisable de manière purement autonome, nous avons l'intention d'articuler ALIENOR avec des exercices de stress tests de capital bancaire. Dans ces exercices, la résilience des banques est testée en tenant compte de différents scénarios macroéconomiques dérivés d'ALIENOR. Pour éviter la redondance, le capital bancaire est donc absent de l'ALIENOR.
Les résultats confirment quantitativement le rôle clé des canaux de transmission entre les variables financières et macroéconomiques. En ce qui concerne l'impact des variables financières sur les variables réelles, le modèle est construit afin d'obtenir un accélérateur financier : un ralentissement de la croissance du crédit a un impact négatif sur les dépenses et les prix des actifs. Le ralentissement de l'économie réelle fait encore baisser les prix des actifs et la propension des banques à prêter.
En ce qui concerne l'impact des variables réelles sur les variables financières, nous avons mis l'accent sur trois variables macrofinancières qui se sont révélées critiques dans les cycles financiers et les crises systémiques : la dette des ménages, la dette des sociétés non financières (NFC) et les prix immobiliers. Pour le dette des ménages, nous élaborons un modèle de déséquilibre du crédit (Maddala et Nelson (1974), Laroque et Salanié (1994)). Ce choix de modélisation permet de distinguer des régimes d’offre et de demande, ce qui donne des indications intéressantes sur l'efficacité des politiques macroprudentielles. Dans notre modèle estimé, en temps normal, le régime est déterminé par la demande, ce qui signifie que l'offre de crédit est supérieure à la demande. Inversement, en période de crise, le régime est dicté par l'offre : les banques fournissent moins de crédit que la demande des ménages, ce qui provoque un rationnement global du crédit. Pour le crédit aux entreprises, nous exploitons les informations fournies par l'évolution du bilan agrégé des entreprises. Cette conception permet d'exposer clairement les facteurs sous-jacents de la dynamique de la dette des entreprises. Pour le secteur du logement, l'équation des prix de l'immobilier inclut le ratio du service de la dette (en anglais Debt Service Ratio, ou DSR) des ménages comme principal facteur déterminant. Le ratio du service de la dette est la fraction du revenu que les agents utilisent pour rembourser leur dette (principal et intérêts), rendant ainsi compte du pouvoir d'achat des ménages.
Le modèle est utilisé pour produire des scénarios défavorables : nous analysons les effets sur l'économie de deux types de chocs différents : (i) une hausse exogène de 100 points de base des taux d'intérêt à long terme ; (ii) un choc immobilier négatif égal à une réduction initiale de -10 % des prix de l'immobilier. Dans le cadre de la hausse des taux d'intérêt à long terme, le secteur financier subit une hausse généralisée des taux d'intérêt. Dans l'ensemble, le crédit total dans l'économie diminue, avec des effets négatifs sur l'économie réelle. En outre, la hausse des taux d'intérêt et la baisse des revenus entraînent une baisse substantielle des prix des logements. Sous l'effet du choc des prix de l'immobilier, le modèle montre une baisse des dépenses des ménages, ce qui entraîne un ralentissement du côté de la demande globale. De plus, cette baisse fait encore diminuer les prix du logement, amplifiant le choc négatif initiale et entrainant un important mécanisme d'accélération financière.