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Aides au logement, un moindre effet haussier sur les loyers si l’offre s’ajuste

Mise en ligne le 30 Janvier 2023
Auteurs : Céline Grislain-Letrémy, Corentin Trevien

Billet n°302. Nous évaluons l’effet à long terme des aides au logement sur le prix, la quantité et la qualité des locations privées en France. L’effet haussier global sur les loyers s’accompagne d’une augmentation du nombre total de logements. Ces effets dépendent du segment de marché considéré. Ils n’ont pas perduré pour les petits logements, dont la quantité a augmenté.

Image Part des aides au logement dans le PIB en France
Graphique 1 : Part des aides au logement dans le PIB en France
Source : Comptes du logement 2013 et 2021, Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires ; Comptes de la nation 2021, INSEE.

Les aides au logement, un outil majeur dans la politique du logement

Les aides au logement sont l'un des principaux outils de la politique du logement, en France comme dans de nombreux pays développés. Mis en place dans l’après-guerre, cet outil a été renforcé graduellement et représente aujourd’hui une dépense de 15,7 Mds€ en France en 2021, soit 0,6 % du PIB (Compte du logement 2021, Graphique 1), à comparer avec l’Allemagne ou le Danemark (0,7 % du PIB en 2020), la Finlande (0,9 %) et le Royaume-Uni (1,4 %) (OCDE, 2021). La réforme de 1977, dite réforme "Barre", constitue un premier tournant dans l’expansion de ce dispositif. Elle amorce un redéploiement des aides à la pierre pour le secteur social vers des aides à la personne, principalement versées aux locataires. Le premier objectif de la réforme est de contrôler la part des dépenses de logement dans le budget des ménages en ciblant les plus modestes. Le deuxième objectif, d’inspiration plus libérale, est de donner une plus grande place aux mécanismes de marché dans le domaine du logement, en orientant l’offre de logement dans le sens d’une meilleure adéquation avec la demande exprimée par les locataires, solvabilisés par les aides. Au début des années 1990, la réforme dite de « bouclage » consiste à généraliser le versement des aides à tous les ménages modestes, achevant de faire de cette politique publique un outil de redistribution.

Image Évolution des loyers effectifs en France en comparaison de l’indice des prix à la consommation
Graphique 2 : Évolution des loyers effectifs en France en comparaison de l’indice des prix à la consommation
Source : Indice annuel des prix à la consommation - Base 2015, pour les loyers effectifs et l’ensemble des prix, de l’ensemble des ménages en France , Insee.

En théorie, les aides au logement peuvent entraîner une augmentation de la demande globale de logements, et donc des loyers, du moins à court terme, lorsque l'offre de logements est considérée comme faiblement élastique. Dans ces conditions, l'allocation de logement serait en partie captée par les propriétaires. À long terme, les loyers et plus généralement l'équilibre dépendent de l'élasticité de l'offre. L'offre peut augmenter de manière extensive par un nombre croissant de logements ou de manière intensive par leur qualité accrue. L'offre de logements locatifs peut toutefois en pratique rester partiellement inélastique.

Un effet haussier à court terme sur les loyers mis en évidence dans de nombreux pays

Plusieurs études empiriques concordantes, conduites dans différents pays, ont déjà mis en évidence et mesuré l'effet inflationniste à court terme sur les loyers des aides au logement ciblant les locataires, comme aux États-Unis avec Eriksen et Ross (2015) ou Collinson et Ganong (2018).

En France, où les loyers ont augmenté plus vite que l’indice des prix à la consommation (Graphique 2), Laferrère et Le Blanc (2004) et Fack (2006) trouvent un effet positif des aides au logement sur les loyers dans les années 1990. Ces deux articles utilisent l'expérience naturelle fournie par la réforme des aides au logement au début des années 1990. Laferrère et Le Blanc (2004) montrent que l'effet significatif de ces aides sur les loyers n'est que faiblement expliqué par une qualité accrue des logements. Fack (2006) montre que la réforme a entraîné une augmentation des loyers qui représentait 78 % des aides, sans augmentation constatée de la qualité.

Une nouvelle méthode pour mesurer l’impact de long terme

Notre récente étude mesure l'effet à long terme des aides au logement sur les loyers, la quantité et la qualité des logements locatifs privés dans le cas français. Elle renseigne ainsi sur l'élasticité de l'offre de logements locatifs.

Pour mesurer l'impact à long terme des aides au logement, nous comparons des agglomérations similaires recevant des aides plus ou moins importantes depuis la réforme des aides au logement dans les années 1990.

Un effet haussier global à long terme sur les loyers

Nous ne trouvons pas d'effet significatif des aides au logement sur les loyers dans les années 1980, lorsque les dépenses d’aides au logement étaient plus faibles. En revanche, nous montrons qu’elles ont provoqué une augmentation des loyers dans les deux décennies suivant la réforme (de 1995 à 2016), avec un effet plus fort à court terme (de 1995 à 1999).

Entre 2000 et 2016, les allocations ont un effet positif global sur les loyers, même pour les locataires non aidés. L'impact parmi les non-allocataires est important, tout comme aux États-Unis (Susin, 2002). En France, étant donné que plus de 40 % des locataires du secteur privé sont subventionnés, un propriétaire peut fixer un loyer tenant compte de l'aide au logement, avant de savoir si le locataire en bénéficie ou non.

L’effet positif sur les loyers se maintient avec une ampleur constante lorsqu'on subdivise la période d'étude 2000-2016 en deux sous-périodes (2000-2008 et 2009-2016). Cet effet inflationniste s'accompagne d'une augmentation de la quantité des locations privées ; aucun effet sur la qualité n'est détecté (Tableau 1).

Image Effet des aides au logement sur les loyers, la qualité et la quantité
Tableau 1 : Effet des aides au logement sur les loyers, la qualité et la quantité
Source : auteurs.
Note : les données permettent de mesurer l’effet sur la qualité uniquement en 1999, 2006 et 2016.

Un effet haussier sur les loyers très hétérogène selon les segments de marché

Nous montrons que cet effet inflationniste de long terme s'accompagne de réactions différentes sur le marché du logement, selon les segments de marché. Pour les logements de trois pièces ou plus, l'offre de logements locatifs est restée inélastique en qualité et en quantité et la hausse des aides au logement a conduit à une augmentation durable des loyers entre 2000 et 2016. Pour les logements d'une ou deux pièces, au contraire, les loyers ont cessé d'augmenter de manière significative entre 2000 et 2016 (après leur hausse entre 1995 et 1999) et la quantité de locations privées d'une pièce a augmenté en 1999, 2006 et 2016, sous l'effet des nouvelles constructions.

Notre constat pourrait refléter l'arrivée d'un plus grand nombre d'étudiants sur les marchés du logement où les subventions sont plus élevées. Pour les petits logements, le marché du logement a répondu à cette augmentation de la demande par une augmentation de l'offre en quantité. L'offre de location d'une pièce est probablement la plus élastique, car certains propriétaires qui optent pour l'investissement locatif acquièrent un petit logement tandis que d’autres, plus aisés, peuvent chercher à diversifier leurs risques en achetant plusieurs petits logements.

Comment réformer les aides au logement ?

Toute réforme des aides au logement doit prendre en compte le caractère hybride de cette politique publique, à la fois outil de solvabilisation de la demande de logement et instrument de redistribution en faveur des plus modestes. Par exemple, une baisse des aides au logement pourrait s’accompagner d’une diminution du loyer, comme au Royaume-Uni (Braakmann et MacDonald, 2020), mais pas forcément de même ampleur qu’à la hausse ni de même ampleur que la diminution des aides (Gibbons et Manning, 2006), avec dans ce dernier cas une potentielle diminution du niveau de vie des allocataires.

Plusieurs rapports ont suggéré ces dernières années de fusionner les aides au logement avec les autres minima sociaux, sous forme d’un impôt négatif ou d’une prestation sociale unique (Bozio et al. (2017)Trannoy et Wasmer (2013)). Ces propositions reposent sur l’idée que l’effet inflationniste sur les loyers est dû à une identification des aides au logement comme devant être totalement consacrées au logement et pouvant donc financer une augmentation de loyer. Si la dilution des aides au logement dans une prestation unique est susceptible de diminuer l’effet inflationniste, celui-ci pourrait néanmoins subsister si le nombre ou la qualité des logements proposés à la location n’augmente pas. En effet, notre étude confirme que l'augmentation de loyer est d’autant plus nette que l’offre de logement est inélastique. Elle souligne donc qu’il est indispensable d’accroître le nombre de logements offerts conjointement à la solvabilisation de la demande pour éviter la captation des aides par les propriétaires.