Tribune

Les Echos : « La Banque de France et l’ouverture des services financiers »

27 Avril 2022
Denis Beau Intervention

Tribune de Denis Beau, Premier sous-gouverneur de la Banque de France.

 

Un tel alignement des planètes est rare. La forte accélération du rythme de l’innovation technologique va de pair depuis quelques années avec une montée en puissance de l’offre et de la demande de nouveaux services financiers. Cette conjonction de facteurs transforme en profondeur le paysage de la banque, de l’assurance et de l’épargne. De nouveaux acteurs apparaissent sur le marché, audacieux et agiles dans l’exploitation de données. L’ouverture s’élargit de la banque à la finance. “ L’open banking” évolue vers “l’open finance.”

Pour que ces transformations contribuent à des services bancaires et financiers durablement plus efficaces, accessibles et moins coûteux, elles doivent s’inscrire dans un cadre de confiance, auquel nous sommes particulièrement attentifs à la Banque de France et à l’ACPR, au titre de nos missions de stabilité monétaire et financière. Un tel cadre requiert en particulier de concilier ouverture de l’accès aux données et sécurité, innovation et intégration, concurrence et souveraineté.

Pour relever ces défis, un premier levier est la création de statuts adaptés. Dans le domaine des paiements l’évolution des statuts de prestataires ou d’agents a permis une progressivité et une proportionnalité dans l’application du cadre réglementaire, favorables à une entrée sur le marché et à un développement très rapide des fintechs : plus de la moitié des 62 établissements de monnaie électronique et des établissements de paiement aujourd’hui en activité en France ont été agréés après 2018.

Favoriser l’ouverture du marché ne doit toutefois pas se faire au détriment de la cohérence et de la simplicité : aux mêmes risques doivent s’appliquer les mêmes règles. En revanche, une différenciation est possible quand les usages et les risques sont différents : ainsi, par exemple, les règles applicables aux stablecoins doivent-elles être différentes selon qu’il s’agit de supports d’investissement ou de jetons destinés à des fonctions de paiement.

Favoriser l’ouverture de l’accès au marché et en particulier aux données, doit également s’accompagner d’exigences de sécurité adaptées et de mesures pour prévenir le risque de fragmentation entre des offres incompatibles entre elles. L’expérience du marché des paiements a montré l’utilité de définitions claires des données partageables, d’une allocation précise des responsabilités et de la promotion d’outils techniques (comme les API) standardisés. En outre pour prévenir la fragmentation, les banques centrales pourraient utilement proposer de nouveaux services aux intermédiaires financiers. C’est dans cette perspective que la Banque de France mène un programme d’expérimentations d’une monnaie numérique de banque centrale (MNBC) à usage interbancaire. Les expérimentations montrent notamment qu’une MNBC interbancaire permettrait de sécuriser et d’optimiser le règlement interbancaire d’actifs tokénisés sur registres distribués, y compris pour les règlements transfrontaliers.

Le développement de l’open banking et son extension vers l’open finance en France et en Europe appelle enfin la vigilance à l’égard du risque de concentration excessive des offres et la préservation de notre autonomie stratégique. Les banques centrales de l’Eurosysteme peuvent également ici apporter une contribution en mettant à disposition du grand public une monnaie numérique. Mais d’autres leviers seront nécessaires pour concilier concurrence et souveraineté. Le levier réglementaire d’abord. Le levier industriel ensuite. Si notre marché est et doit demeurer ouvert, il n’en est pas moins essentiel d’encourager l’innovation de la part des acteurs européens.

La Banque de France et l’ACPR sont pleinement engagées, dans l’exercice de leurs missions, pour contribuer à relever ces défis, en faveur du développement de services financiers toujours plus accessibles, efficaces et innovants, dans un cadre de confiance.