L’affaiblissement des fonctions cognitives peut engendrer, chez certaines personnes, une vulnérabilité particulière et faire naître un ensemble de risques auxquels les clients âgés sont plus fréquemment exposés dans leurs démarches financières (diminution progressive de la compréhension financière, renoncement à des produits nécessaires, baisse inopportune de l’aversion au risque…). Aux aspects relatifs à la prise de décision, s’ajoutent d’autres paramètres également corrélés à l’âge comme les problèmes de santé, l’isolement social et les accidents de vie (veuvage ou séparation, perte de revenus…) ou les difficultés d’adaptation aux nouvelles formes de communication, notamment dans un contexte de mutation digitale du secteur financier.
L’ACPR et l’AMF, dans le cadre de leur activité de veille et de contrôle des pratiques commerciales, ont en outre relevé que les personnes âgées pouvaient plus particulièrement être la cible de pratiques déloyales et d’arnaques.
Tous ces éléments ont mené à conduire une étude conjointe sur les pratiques de commercialisation à l’égard de la clientèle âgée, notamment lorsqu’elle devient vulnérable. L’une des conclusions intermédiaires de l’étude est que le déclin des capacités est un phénomène propre à chacun qui ne touche pas chaque individu de la même manière et au même moment de sa vie. Ainsi, l’âge n’est pas, en tant que tel, un indicateur suffisant de la vulnérabilité d’une personne : une personne de 70 ans peut déjà être très fragile et dépendante, tandis qu’une autre de 85 ans peut encore être en pleine capacité physique et intellectuelle.
Cette réflexion a donné lieu à la publication d’un rapport en décembre 2018 et à l’ouverture d’une consultation publique sur le sujet.
Un secteur financier déjà sensibilisé sur le sujet
Des entretiens bilatéraux avec un échantillon d’établissements et la consultation publique organisée début 2019 ont permis d’observer que le sujet de la protection de la clientèle âgée fait partie des axes de réflexion du secteur financier. Diverses mesures existent déjà au sein des institutions financières : limites de commercialisation de certains produits complexes ou risqués en fonction de l’âge, fixation automatique d’un entretien avec le client à l’atteinte d’un certain âge pour faire un point d’étape, ou encore formation et accompagnement des conseillers.
Les professionnels ont admis rencontrer des difficultés en présence de personnes âgées dont les capacités cognitives ont pu décliner, mais dont la vulnérabilité ne s’est pas traduite par une mesure de protection judiciaire – qui se situent dans ce qu’on peut appeler une « zone grise ». Discuter directement avec un client du niveau de ses capacités cognitives est en effet un exercice délicat, voire inapproprié, pour un conseiller.
Aussi, une partie importante des mesures existantes se fondent sur le seul critère de l’âge, ce qui n’est pas pleinement satisfaisant du fait de leur caractère potentiellement discriminatoire.
Vers une identification plus fine de la vulnérabilité des seniors ?
Pour mieux identifier les personnes âgées vulnérables, il peut donc s’avérer nécessaire de réfléchir à d’autres critères objectifs, dont la prise en compte permettrait aux conseillers de vente d’adopter une vigilance renforcée mieux ciblée durant le processus de commercialisation.
Afin d’identifier ces autres critères objectifs de vulnérabilité, un partenariat de recherche a été conclu avec la Fondation du risque de l’Université Paris-Dauphine pour un premier travail fondé sur la base de données SHARE (Survey on Health, Ageing and Retirement in Europe). Il a permis de d’identifier certains facteurs susceptibles de favoriser ou de témoigner de la vulnérabilité chez la personne âgée. Ainsi, un faible niveau d’éducation ou de revenus, un horizon court de planification financière ou une faible tolérance au risque sont autant d’éléments qui sont généralement associés à un plus faible niveau de « numératie » chez une personne, autrement dit sa capacité à maîtriser les concepts de base en mathématiques et en probabilités, compétence nécessaire à la bonne gestion de ses affaires financières.
Un modèle prédictif de vulnérabilité, élaboré sur la base de ces critères, pourrait fournir une estimation du niveau de numératie d’un client. Une telle information pourrait signaler la nécessité d’un accompagnement renforcé, ou du moins encourager le conseiller à vérifier la bonne compréhension par le client des informations qu’il lui délivre.
En 2019, l’ambition est de tester la viabilité de ce modèle théorique à partir de données réelles anonymisées d’établissements volontaires. En effet, les distributeurs de produits financiers, lorsqu’ils évaluent les connaissances de leurs clients en matière d’investissement, peuvent collecter des données susceptibles de refléter un niveau de numératie. Ces travaux de recherche visent à démontrer la possibilité d’une mise en place d’outils opérationnels permettant de participer à la détection précoce des signes de vulnérabilité, en complément de la relation humaine, fondamentale, entre le conseiller et son client.