Document de travail

Une évaluation en équilibre général du besoin en capital des banques

Mise en ligne le 8 Mars 2018
Auteurs : Eric Jondeau, Jean-Guillaume Sahuc

Document de travail n°668. Eric Jondeau & Jean-Guillaume Sahuc quantifient le besoin en capital des banques résultant d’une crise financière en utilisant un modèle DSGE de macro-finance qui tient compte des interactions entre les secteurs financier et réel de l’économie. Ils trouvent qu’une crise similaire à celle observée en 2008 engendre un besoin en capital (ou stressed expected loss, SEL) égal à 2,8 % du PIB de la zone euro, ce qui correspond à environ 250 milliards d’euros. Jondeau & Sahuc montrent que l’utilisation d’un ratio de capital dépendant du cycle qui répond à la fois à la croissance du crédit et du SEL a un effet positif sur la croissance économique tout en atténuant la prise de risque excessive du système bancaire. Enfin, leurs estimations confirment que la plus grande partie de la variabilité des variables macroéconomiques et financières à la fréquence du cycle d’affaires provient des chocs d’investissement et de risque.

Image A General Equilibrium Appraisal of Capital Shortfall : structure of the model

Une différence fondamentale dans le financement des entreprises entre la zone euro et les États-Unis réside dans le fait que les entreprises européennes dépendent davantage du crédit bancaire. Sur l'ensemble de la dette des entreprises dans la zone euro, 80 % proviennent des prêts bancaires et 20 % des marchés obligataires, soit presque l'inverse de la situation aux États-Unis. Dans ce contexte, lorsqu'une crise financière mondiale se produit, la sauvegarde du canal du crédit bancaire peut entraîner des coûts potentiellement élevés pour les contribuables européens. Dans le cadre d'une récente évaluation combinant un examen de la qualité des actifs et "stress test" sur 130 banques de la zone euro, la Banque centrale européenne (BCE) a estimé que, dans un scénario très défavorable, le manque de fonds propres du système bancaire avoisinerait les 263 milliards d'euros (BCE, 2014). Cette évaluation, qui est effectuée au niveau de chaque banque, nécessite une analyse massive des portefeuilles bancaires, y compris l'évaluation des prêts et des garanties et la revue des modèles d'évaluation. Cette évaluation repose sur un long processus n’est réalisée que sur une base semestrielle. Elle souffre également de deux inconvénients majeurs. Premièrement, elle évalue l'impact du scénario sur les bilans bancaires individuels en supposant que les banques ne réagissent pas au scénario (hypothèse statique du bilan). Deuxièmement, et de manière plus importante, elle ne tient pas compte de l'interaction entre le système bancaire et le reste de l'économie.

L'objectif de la présente étude est d'estimer le besoin en capital du système bancaire dans un scénario défavorable sévère, tout en tenant compte des interactions entre les secteurs financier et réel de l'économie. A cette fin, nous élaborons et estimons un modèle d'équilibre général stochastique dynamique de macro-finance dans lequel nous introduisons deux types de banques : les banques de dépôt, qui reçoivent les dépôts des ménages et octroient des prêts aux banques d'investissement ; et les banques d'investissement, qui utilisent ces prêts à court terme pour acheter des créances à long terme sur les actifs des entreprises. Cette description du système bancaire nous permet de capturer plusieurs faits stylisés importants. En particulier, les banques d'investissement empruntent auprès des banques de dépôts en déposant des actifs collatéraux, engendrant un phénomène d'amplification en cas de baisse de la valeur de ces actifs. En outre, en période de crise, ce mécanisme peut se traduire par une augmentation du levier financier des banques de dépôts et une diminution du levier des banques d'investissement, comme observé en 2008. Dans ce modèle, le manque de fonds propres correspond au capital supplémentaire qui serait nécessaire pour que les banques de dépôts puissent rembourser les déposants en cas de crise sévère. Nous quantifions cette mesure, que nous appelons "stressed expected loss (SEL)", en mettant en œuvre une expérience contrefactuelle similaire au scénario défavorable élaboré par la BCE dans son stress test. En outre, nous examinons le cas d'un ratio de fonds propres dépendant du cycle d’affaires (semblable à la réserve de fonds propres contracyclique promue dans le cadre réglementaire de Bâle III) comme moyen d'atténuer l'impact de la crise sur la croissance économique et la santé des banques.

Nous obtenons trois résultats importants. Premièrement, les estimations de notre modèle indiquent que la plus grande partie de la variabilité macroéconomique et financière à la fréquence du cycle d’affaires est due au choc d'investissement et au choc de risque. Nous définissons donc une crise comme une combinaison défavorable de ces deux chocs. Deuxièmement, lorsque nous simulons une crise similaire à celle observée en 2008, nous obtenons une augmentation substantielle de la probabilité de défaut des banques de dépôts et donc de leur besoin de fonds propres. Notre estimation du SEL est de 2,8% du PIB, ce qui correspond à environ 250 milliards d'euros. Nous constatons également que la perte totale de fonds propres d'une banque de dépôts pendant la crise équivaut à 46 % de ses fonds propres d’équilibre. Ce chiffre peut être comparé à la baisse de la capitalisation boursière des banques européennes entre fin 2007 et fin 2008 (environ 50%). Troisièmement, l'utilisation d'un ratio de capital contracyclique standard, qui repose sur la croissance du PIB ou du crédit comme indicateur de l'état de l'économie, nous permet d'améliorer le bien-être social au détriment d'un système bancaire plus fragile. Cependant, si l'on considère un ratio de fonds propres qui combine des préoccupations concernant la croissance du PIB ou du crédit et le SEL, un effet positif sur le bien-être social peut être atteint tout en atténuant la prise de risque excessive du système bancaire.